Chapitre 4

Quand Lira est revenue, j'étais déjà affalée sur le coussin en peau de bête, en train d'engloutir un énorme sachet de viande séchée aux fruits et de noix grillées. Je regardais une vidéo sur les techniques de soin utilisées dans la meute tout en grignotant.

« Hé, Lira, tu veux goûter ? Cette viande séchée au goût fruité est vraiment trop bonne. »

Elle a fait voler la viande de mes mains :

« Ton cerveau a été rongé par du poison d'argent ou quoi ?! Tu peux encore manger dans un moment pareil ?! Mathis, ce sale bâtard, t'a trahie ! »

« La femelle qui n'arrêtait pas de tousser près de lui, c'est Élise, sa petite demi-sœur ! C'est aussi la compagne avec qui il a conclu le lien aujourd'hui, pendant la cérémonie ! Tu sais quoi ? Elle est atteinte d'une maladie incurable, et faire le marquage avec Mathis était son dernier vœu ! »

C'est étrange, mais je n'ai ressenti absolument rien. Je lui ai tendu un autre morceau de viande séchée au fruit :

« Sérieux ? C'est trop dramatique. Et ensuite ? »

Lira a attrapé le morceau avec les dents, l'a mâché en me foudroyant du regard :

« Ton compagnon non-lié te trompe avec une autre louve et prévoit une cérémonie avec elle ! Et toi, ça ne t'affole pas ?! »

Crunch, crunch.

« Wah… ça, c'est du lourd. » J'en ai mis deux autres morceaux de viande dans ma bouche.

« Empoisonnement à l'argent, amour ravivé, changement de compagne… on dirait un spin-off de Légende de la nuit. Mais franchement, je le connais même pas, alors qu'il se lie à qui il veut, ça me regarde pas. »

Lira a levé les yeux au ciel et a décidé de m'ignorer. Elle s'est lancée toute seule dans un déballage de potins qu'elle avait ramassés ces derniers jours chez les gardes-loups.

Mathis voyageait dans le Nord avec Élise, disant qu'il accomplissait leur 'voyage des vœux'. Il avait organisé une grande cérémonie de marquage pour elle, dansé avec elle pendant la Fête de la Lune, et prononcé le vœu : « Dans une autre vie, je serai encore ton compagnon. »

Dans la meute, on disait maintenant que Mathis était un modèle de fidélité, un mâle passionné et loyal.

Lira était hors d'elle :

« Tu vas le laisser s'en sortir comme ça ?! »

« Je me souviens pas de lui. Il n'existe pas dans ma tête. Pour moi, c'est comme une fourmi. Je vais pas me battre avec un loup inconnu. »

Lira restait sans voix, mais elle ne comptait pas lâcher l'affaire.

Elle avait même acheté une vidéo de la cérémonie du marquage.

Sous la lumière argentée de la Fête de la Lune, Mathis tenait Élise par la main, ils avançaient sur l'autel baigné de clair de lune, échangeaient des vœux sous les bénédictions d'autres membres de la meute, s'embrassaient comme deux âmes liées pour l'éternité.

Au clair de lune lors de la Fête de la Lune, c'était particulièrement féérique, comme un rêve éveillé.

Lira était tellement fâchée qu'elle bondissait sur le canapé :

« Ces fleurs-là, ce sont les fleurs de lune qu'on a mis deux semaines à trouver ensemble à la frontière ! C'était un symbole de loyauté éternelle ! Il les a offertes à une autre femelle ?! »

J'ai été prise de court.

Toute la décoration de cette cérémonie — les lumières, les compositions florales — c'était moi qui les avais dessinées, choisies, préparées nuit après nuit.

Lira a explosé :

« Il est malade ou quoi ?! À peine tu l'oublies qu'il saute dans les bras d'une autre ?! Et en plus il a fait disparaître ta louve ?! Mais c'est un crime ! »

J'ai haussé les épaules :

« Bah… ça ferait un super conte tragique, non ? La petite demi-sœur malade, le premier amour qui reste jusqu'au bout. Une vraie romance dramatique. »

Lira, elle, continuait de suivre leurs faits et gestes. Elle m'a raconté qu'ils étaient en 'lune de miel' dans le sanctuaire des falaises du Nord, qu'ils avaient pris des photos à l'arbre d'Éden — ce lieu ancien où les compagnons véritables venaient autrefois en pèlerinage.

Quant à ma louve… je savais bien qu'elle n'avait pas disparu. Elle n'était pas non plus scellée. Elle dormait simplement. Un sommeil temporaire.

Moi, j'ai continué mes études et mes expériences. Les jours passaient, banals, sans heurt.

Sauf que parfois, au milieu d'un test, j'avais une douleur soudaine à la poitrine, et les larmes coulaient toutes seules, le long de mon menton.

Je secouais la tête et reprenais mon travail.

De toute façon, j'avais tout oublié. Donc ce n'était pas grave.

Jusqu'au jour où, 21 jours plus tard, mon téléphone s'est mis à vibrer comme un fou.

Quand j'ai ouvert l'écran, il était rempli d'images intimes : la vidéo complète de la cérémonie, des photos de la lune de miel, des selfies mielleux…

Et un message écœurant :

« Merci à toi de m'avoir laissé la place ! Mathis s'est précipité chez toi dès l'atterrissage, je n'ai pas eu le temps d'effacer les photos, je compte sur toi pour t'en occuper à ma place ! »

?

Ils ont perdu l'esprit ou quoi ?

J'en pouvais plus. J'ai craqué et j'ai répondu d'un trait :

« Tu es sûre que ce qu'il te faut, c'est un traitement contre l'empoisonnement à l'argent ? Parce que moi je vois plutôt une urgence en psychiatrie. »

Je supprimais les images en râlant, jusqu'à avoir mal au poignet.

J'en avais tellement marre que j'étais à deux doigts de les faire transférer dans un centre de soins mentaux à l'est — un endroit spécialisé pour les loups complètement fous.

Furieuse, j'ai pris des captures d'écran de tout ça et je les ai envoyées à Lira pour qu'on se lâche ensemble.

On était en train de s'envoyer nos pires insultes quand, soudain —

« PAF ! »

La porte s'est ouverte à la volée.

Et ce salaud, celui qu'on venait de maudire pendant dix minutes… Mathis était là, planté devant moi.

Il m'a regardée droit dans les yeux et a dit :

« Mélodie, je t'aime. Mais ma petite sœur avait plus besoin de moi à ce moment-là. Mais maintenant, je suis revenu. On peut reprendre notre histoire. »