L’avenir nous tourmente, le passé nous retient. C’est pour ces raisons que le présent nous échappe.
Gustave Flaubert
Lorsque le malheur frappe à notre porte, nous avons l’impression que jamais plus nous ne serons heureux, jamais plus nous ne ressentirons cette légèreté que nous apportait le bonheur. On commence par s’accrocher, en se disant que ça ira mieux. On a encore cet espoir mais la tristesse l’emporte. Elle gagne la bataille, alors on rend les armes car nos efforts sont vains. On est épuisé, découragé, on se laisse aller. On coule lentement afin de bien sentir la douleur. On observe puis on s’enferme dans cette jalousie malsaine, dans notre malheur. Le temps passe et plus il s’écoule, plus notre plaie s’agrandit. Notre cœur brûle et la seule envie que l’on a c’est de disparaître, mourir et fuir cette souffrance, car vivre dans le malheur ce n’est pas vivre…
À toutes les personnes qui ont du mal à tourner la page sur le passé, qui souffrent en silence et qui, malgré le soutien de leurs proches, s’obstinent à s’agripper à leurs démons. Le passé ne doit en aucun cas vous empêcher d’être heureux. Il est là pour nous reconstruire, nous pousser à grandir, nous aider à faire de meilleurs choix. Ne le laissez pas obscurcir votre vision du monde. Les regrets nous ouvrent les yeux sur la réelle valeur des choses que nous avions, du temps qui nous a été offert, des personnes que nous avons perdues.
Le temps n’efface pas toutes les blessures
Le journal d’Hélène
Nous gardons, enfouis en nous, des blessures qui, chaque jour, bataillent pour revenir à la surface, des trahisons que nous traînons journellement et qui nous retiennent prisonniers de la mélancolie. Je reste intimement persuadée que rien ne s’en va. Aucune trahison ne s’oublie, aucune blessure ne cicatrise. Ma mère me disait souvent que chaque larme que nous versons est comme une marque indélébile, elle ne disparaît pas. En clair, on n’oublie jamais une déloyauté, on l’assume, en priant que le temps nous apporte sa guérison. On essaye désespérément de laisser la douleur derrière nous. Comme une tumeur, elle nous ronge de l’intérieur jusqu’à ce que nous ne soyons plus qu’un corps sans âme. Certains meurent brisés par la douleur, d’autres s’enfoncent dans la sphère fuligineuse de la mélancolie, les plus déficients s’abrutissent à dose immodérée de tranquillisants, de narcotiques, de sédatifs, de drogues, ou d’alcool. Au fond, à chacun sa manière de faire face à l’affliction.
Peut-être, je fais partie de ces 70 % de la société qui s’autoflagelle à outrance ou simplement dans ce processus d’autodestruction, j’espère trouver du réconfort ou un certain dédommagement émotionnel. Certains disent qu’il est essentiel d’avancer aveuglément et de dire « au revoir » à son passé, mais est-ce si simple de sourire chaque jour et faire comme si de rien n’était quand son âme est alourdie ?
En même temps, qui pourrait se vanter d’avoir totalement tiré un trait sur son passé ? Rien ne s’oublie en fin de compte ! Même lorsque nous avons tourné la page sur une période sombre de notre passé. Il suffit d’un mot ou d’une image pour nous faire revivre les émotions qu’on a pu ressentir à cette période. Même lorsqu’elles sont guéries, nous gardons les cicatrices de nos blessures pour le restant de notre vie.
Aussi choquant que cela puisse paraître, je n’abandonne pas le passé, les souvenirs, les blessures. Non ! Je refuse de les laisser prendre le large. Je les retiens, m’y accroche rigoureusement jusqu’à ce qu’ils m’emportent avec eux dans leur déferlement. Malgré les conseils, je ne lâche pas prise, déterminée à les étreindre avec plus de hardiesse.
Jusqu’ici, je n’ai fait que ça, m’accrocher à un amour évanoui, à une enfance regrettable, à une mère schizophrène, violente et écervelée, à des mensonges surabondants. C’est comme l’abrogation de tout sens du discernement. Je ressens le besoin d’abreuver ma soif de haine et de douleur. J’ai plus de facilité à éterniser la mélancolie et m’exempter de toute béatitude. Malgré la petite voix bénigne dans ma tête qui me répète d’être plus heureuse, de vivre, de m’accrocher à des souvenirs joyeux, des pensées positives, d’épouser le monde.
« Hélène, vas-y, accroche-toi, tu peux y arriver ! Ne laisse pas le mal prendre le dessus sur ta magnifique âme, ne laisse pas ton passé la corrompre. Ouvre les yeux et souris. Le monde face à toi a tellement à t’offrir. Toutes ces choses horribles que tu as vécues sont à présent derrière toi. Construis un nouveau monde. »
Prologue
Les flammes grimpent avec furia vers le firmament déchaîné. Il fait froid et il pleut des cordes. Un véhicule ensanglanté est retrouvé dans un ravin, noyé dans une épaisse nuée blanchâtre. Un des secouristes aperçoit le corps inerte d’une jeune femme recouvert de sang, coincé dans la pesante masse de fer. Elle est inconsciente, trois balles lui ont transpercé le ventre. Elle respire encore. Son pouls est lent et son corps frigide et paralysé. Les secouristes s’attellent à retirer la jeune femme du véhicule, affrontant l’orage et la véhémence des flammes diluviennes. Tout s’enchaîne : les cris alarmistes, les pas pressés des secouristes, la tempête, la bourrasque, un violent éclair aveuglant dans le ciel. Soudain, le bruit effroyable d’une explosion vient brimbaler les âmes présentes sur les lieux de l’accident. Le véhicule a succombé à l’effroyable incendie. Une majorité d’hommes ont péri dans l’explosion, mais la jeune femme est transportée par les urgenciers. Une sublime bague de fiançailles est accrochée à son doigt. Son bonheur vient de chavirer et personne ne sait ni qui elle est ni comment elle s’est retrouvée dans ce véhicule, trois balles dans le ventre.
Chapitre I Six mois après le tragique accident Dans un cœur troublé par le souvenir, il n’y a pas de place pour l’espérance. Alfred Musset Autour d’elle, tout était si calme, si paisible. Le soleil était retombé sur la ville d’Accra avec une douceur inhabituelle. La plage était déserte et seul le doux murmure des vagues s’écrasant sur les rochers venait rompre le silence solennel qui l’entourait. Le soleil couchant dans le ciel azur se reflétait sur la mer, formant une aquarelle de couleurs luminescentes. Hélène prit une longue inspiration et emplit ses poumons de cet air marin qu’elle aimait tant. Elle errait sur la plage, songeuse. Elle avait ramené ses cheveux crépus en un chignon désordonné d’où s’échappaient quelques mèches rebelles et ses grands yeux marron cernés trahissaient la fatigue accumulée après plusieurs nuits d’insomnie. Sa vie était deven
ChapitreII Six mois plus tôt On dit que le temps apaise toute douleur, on dit que tout peut s’oublier, mais les sourires et les pleurs, par-delà les années, tordent encore les filtres de mon cœur. George Orwell Ils étaient à quelques jours de leur mariage. Ils attendaient une petite fille. Cet heureux événement était attendu avec enthousiasme. Tout avait été prévu, sauf la tempête qui s’est abattue sur eux cette nuit torrentueuse. Une panique glaçante se dessinait sur le visage médusé d’Hélène. Que se passait-il? Christophe roulait comme un forcené, faisant fi du brouillard et des gouttes de pluie qui se crachaient sur le parebrise comme des cailloux. Un véhicule noir arriva à vive allure derrière eux et elle comprit pourquoi il s’était précipité pour lui demander de faire ses valises au beau milieu de la nuit. Ils allaient foutre le camp et penaude, elle s’était co
En jean, en foulard de tissus et en blouson, Hélène contemplait le Kwame Nkrumah Mémorial Parc and Mausoleum dédié à l’un des pères précurseurs du panafricanisme: Kwame Nkrumah. Les magnifiques fontaines d’eau, la vaste verdure, les statues. C’était un parc bien conçu d’un point de vue architectural et artistique, offrant aux touristes, un musée bien fourni. Hélas, la beauté et le calme des lieux ne la consolaient pas. Égarée au milieu de temps de beauté, elle n’arrivait pas à taire le tumulte qui semonçait sa conscience. Christophe s’était infiltré pernicieusement dans sa vie et habitait chaque rue d’Accra, hantait ses pensées et torturait son âme à genoux. Les souvenirs de sa grossesse l’étaient encore plus. Regarder des enfants dans la rue pulvérisait sa q
Cette nuit-là, prisonnière du monde des songes, contrée lointaine sur laquelle elle n’avait aucune forme de contrôle, elle tomba dans la pénombre, terrifiée et perdue. Ses hurlements saccadés résonnaient dans le silence accablant qui enveloppait la chute, mais il n’y avait personne pour lui venir en aide. Elle était seule et la solitude était sa plus grande hantise. Elle la plongeait irrépressiblement dans un puits sans fin de mélancolie et de désespoir. Elle faisait souvent ce rêve étrange dans lequel elle tombait interminablement dans les profondeurs d’un gouffre obscur, sans jamais s’écraser sur le sol. La sensation de vertige qui lui tenaillait les tripes n’était pas agréable. Quand elle se réveillait, elle était saisie du sentiment angoissant d’avoir échappé de justesse à une mort affreuse. Comme chaque fois qu’elle faisait ce cauchemar, elle se réveilla avant que son corps ne se disloque sur le sol spongieux de ses angoisses les plus intimes. Le cœur pantelant
Une délicieuse odeur de café flottait dans la cuisine. Enveloppée d’un peignoir en soie bordeaux, Hélène beurrait des tartines en fredonnant, lorsque Boris la rejoignit. Son complet noir fringant et sa chemise bleu acier rehaussaient l’éclat de sa peau tannée. Il déposa un petit baiser sur les lèvres de la jeune femme, puis s’assit.—Monsieur est très élégant ce matin! lâcha Hélène, extasiée, en le caressant du regard.—La journée sera longue, annonça-t-il. Une grosse intervention chirurgicale aujourd’hui. J’ai oublié de t’en parler hier.Hélène lui servit du café. Il prit une tartine et ajouta:—Chaque fois que je dois opérer un patient, je pense à toi. Ça m’évite de paniquer. La vie d&rs
ChapitreIIIOn ne regrette pas les personnes qu’on a aimées. Ce qu’on regrette, c’est la partie de nous-mêmes qui s’en va avec elles.Lucia Etxebarria de AsteinzaSeul et perdu, Christophe avait besoin d’entendre une voix amicale. Il ne savait pas ce qui le poussait à ne pas entretenir des contacts à distance, mais il trouvait plus agréable de s’entretenir avec des personnes en face. Il affectionnait particulièrement les rencontres réelles.Ce qu’il n’avait jamais voulu affronter lui entrait à présent dans le corps. C’était comme un éblouissement ou comme une décharge électrique. Tout lui revenait. Il marchait sur la rue vide, escorté par l’écho de son pas. Frôlé par les ombres de quelques passants ivres ou
Seul le bruit des couverts qui s’entrechoquaient résonnait à table. Irène la petite sœur d’Hélène mangeait doucement, d’une manière qui l’agaçait, sans raison particulière. De son côté, elle regardait son téléphone avec perplexité. Ses grands yeux songeurs le lacéraient avec insistance et scepticisme. Elle essayait malgré la bruine dans sa tête de se remémorer le numéro de téléphone qui s’affichait à l’écran, en vain. La sonnerie avait attiré la curiosité des deux jeunes femmes. C’était rare que quelqu’un l’appelle. D’ailleurs, le seul qui le faisait constamment c’était Boris, ce bellâtre romantique, aussi jaloux qu’aimable. Irène lui adressa un sourire facétieux tandis qu’elle pianotait su
ChapitreIVLa tristesse est momentanée, la douleur est toujours éternelle.Samuel Ferdinand-Lop—Évidemment! Ça devait arriver! dit-elle, pâle de colère.D’un pas vif, elle s’apprêta à rentrer chez elle, mais Boris la retint aussitôt par le bras.—Attends, soyons prudents. Je vais entrer en premier.À ce moment-là, le voisin de palier ouvrit sa porte. Il tenait une canette de bière et semblait quelque peu éméché.—Je savais bien que j’avais entendu des bruits, dit-il à Hélène d’une voix indifférente. En constatant les dégâts, j’ai appelé la police. C’est ce qu’on doit faire dans ces cas-là n’est-ce pas?