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Chapitre 6 — Là où la trace saigne

Author: L'invincible
last update Last Updated: 2025-07-24 19:59:21

ZAREK

Je marche , ou plutôt, je traîne ma carcasse meurtrie dans les couloirs glacés de l’hôpital. Chaque pas est un supplice. Mes côtes râlent, mes muscles protestent, comme si chaque fibre de mon corps hurlait de rester immobile. Mais je ne peux pas. Je ne peux pas attendre. Attendre, c’est mourir.

Les néons au plafond clignotent, me déchirant les yeux. Le bruit métallique des chariots, plus loin, vrille mes nerfs. Ça résonne comme des chaînes dans ma tête. Tout sent le sang, le chlore, la peur. Une peur qui n’appartient à personne et à tout le monde, celle qui s’accroche aux murs, aux rideaux de plastique, aux corps qui passent.

Drystan me suit, un pas derrière, son souffle plus court que d’habitude. Je sens son regard me transpercer, lourd de reproches et d’inquiétude.

— Zarek, tu n’es pas en état…

Sa voix est un grondement, bas et tendu, comme un chien prêt à mordre. Je ne réponds pas. Je l’ignore.

Le bloc C n’est plus très loin. Je le sais. Je le sens. Ou plutôt… je la sens.

Un parfum. Pas un parfum humain. Pas vraiment. C’est autre chose. Une vibration ancienne, une pulsation dans l’air, comme une cicatrice ouverte dans la trame du monde. Un souvenir de feu et de cendre qui s’insinue dans mes poumons.

Je pousse la porte battante d’un coup d’épaule.

Le couloir s’étire devant moi. Blême, silencieux. Trop silencieux. Les néons grésillent, certains meurent, d’autres clignotent comme des signaux d’alarme. Chaque pas résonne. Trop fort. J’ai l’impression de marcher dans un cercueil ouvert.

Une chambre, au bout. Je sais que c’est là.

Je m’arrête. Inspire. Expire. La bête en moi s’agite, nerveuse, impatiente, prête à bondir. Elle veut voir. Elle veut sentir. Elle veut posséder.

Je pousse la porte.

Elle est là. Debout, dos à la fenêtre. Une silhouette de verre et d’ombre.

Ses cheveux tombent en cascade sombre sur ses épaules, luisant légèrement sous la lumière blanche. Elle tourne la tête, lentement. Trop lentement, comme si elle avait deviné ma présence avant même de m’entendre.

Et…

Je suis ébloui.

Non par une lumière surnaturelle.

Pas par une aura divine.

Mais par son humanité.

Elle est humaine. Juste humaine.

Et c’est pire que tout.

Parce qu’elle est belle comme une promesse impossible. Parce que ses yeux d’un gris clair, presque transparent, semblent reconnaître en moi quelque chose que je n’ai jamais voulu montrer.

Son souffle est court, mais elle ne recule pas. Elle me regarde comme si elle me connaissait. Comme si, en une fraction de seconde, elle avait vu ce que je suis : la bête sous la peau.

— Qui êtes-vous ? dit-elle, la voix tremblante mais ferme.

Je reste muet. Ma gorge se serre. Mon souffle se bloque. Je sens mes mains se crisper comme pour s’accrocher à la réalité.

Je ne sais pas. Je ne sais plus si je dois lui répondre ou l’arracher à cet endroit avant que le monde la dévore.

Drystan entre, arme en main, prudent, comme toujours. Elle sursaute. Ses yeux s’écarquillent un peu, mais elle ne crie pas.

— Zarek, murmure-t-il. Ce n’est pas elle. Je te l’avais dit. Ce n’est pas…

— Tais-toi.

Ma voix claque dans la pièce comme un coup de fouet. La bête gronde derrière mes dents.

Je m’avance, lentement. Elle ne recule pas. Elle serre les poings, mais ses doigts tremblent.

— Pourquoi tu sens comme elle ?

Elle fronce les sourcils.

— Comme qui ?

Je tends la main. Mes doigts frôlent son poignet.

Alors, soudain, une lumière éclate. Brutale. Vive. Aveuglante.

Un flash blanc comme un coup de tonnerre.

Nous clignons des yeux, aveuglés, figés dans cet éclat pur.

Puis je sens une corde de lumière s’échapper du creux de son bras. Fine, vibrante, chaude.

Elle glisse, serpente, bondit.

Elle vient vers moi.

S’enroule autour de mon bras meurtri.

Un frisson électrise ma peau. La douleur dans mes côtes, tenace depuis des heures, explose… puis disparaît, comme avalée par un feu doux et apaisant.

Je regarde mon bras.

Le sang noir et les blessures s’effacent, se recomposent, se referment sous mes yeux.

Elle est en train de me guérir.

Je cligne des yeux, incrédule.

Le contact de cette lumière, de cette énergie, me déchire et me guérit à la fois.

Un murmure intérieur, profond, enfoui, s’élève.

Une certitude nue.

— C’est toi.

C’est elle. Mon âme sœur.

Mais elle est humaine. Juste humaine.

Et c’est la douleur la plus vive, la plus cruelle que je n’ai jamais ressentie.

Je serre sa main, encore tremblante, et la regarde dans les yeux.

Ceux d’un gris clair, presque translucide, mais brûlants d’une vérité ancienne.

Je ne sais plus quoi dire.

Je suis partagé entre la rage de tout perdre encore, et l’espoir fou que peut-être, cette fois, je ne serai plus seul.

— Qui es-tu ? murmuré-je enfin, la voix brisée.

Elle baisse les yeux, honteuse, fragile.

— Je… je m’appelle Sarah .

Un nom doux, léger, comme un souffle dans la tempête.

Je serre les poings, mes pensées s’emmêlent, se bousculent.

Elle est humaine.

Elle n’a pas les pouvoirs, la nature que je croyais nécessaires.

Mais elle a cette lumière. Cette connexion.

Je sais, au fond de moi, que c’est elle.

Et pourtant, tout ce que je veux, c’est la protéger.

De tout.

Même d’elle-même.

Je fixe la corde de lumière qui nous relie encore, tremblante, fragile.

Elle ne doit pas se briser.

Parce qu’avec elle, peut-être, je peux enfin affronter la nuit.

Drystan m’effleure l’épaule.

— Zarek. On n’est pas seuls.

Je me retourne.

Un bruit de pas.

Des silhouettes en combinaison grise apparaissent au fond du couloir.

Sécurité ? Ou autre chose ?

Leurs gestes sont trop lents. Trop précis.

Pas des médecins. Pas des humains normaux.

Je serre les poings.

Tout ralentit.

Je sais ce qui va arriver.

Et ça ne me plaît pas.

— On sort, dis-je, la voix basse mais tranchante.

— Tu es blessé, murmure Drystan.

— Peu importe.

Je prends la main de Liora.

Elle hésite.

Ses yeux accrochent les miens, incertains, presque suppliants.

— Pourquoi… pourquoi vous me sauvez ?

Je la fixe, sans détourner le regard.

— Parce que tu as quelque chose que je dois comprendre.

Elle ne bouge pas.

Alors je serre un peu plus sa main.

Je la sens trembler, mais elle finit par suivre.

Je l’entraîne hors de la chambre.

Le couloir se remplit d’ordres hurlés, de bruits de pas précipités.

Les silhouettes grises avancent vers nous, armes ou seringues en main, je ne vois pas bien.

Mon cœur cogne comme un tambour.

La douleur dans mes côtes s’efface.

Mes sens s’aiguisent.

Je deviens la bête.

Et rien, rien, ne pourra m’arrêter.

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