Chapitre 6

Il me regarde avec une intensité qui me fait rougir. 

— Merveilleux ? 

— La façon dont tu bougeais, comme le loup. C’était la chose la plus belle que j’aie jamais vue. » Je détourne les yeux, gênée par ma propre franchise. « Je dois paraître ridicule. 

— Non. » Sa voix est douce, presque tendre. « Tu ne parais pas ridicule du tout. 

Nous restons silencieux un moment, écoutant les bruits de la nuit. Je n’arrive pas à croire que je suis là, en robe de nuit, en train de parler avec un loup-garou comme si c’était la chose la plus naturelle du monde.

— Kael ? 

— Oui ? 

— Pourquoi moi ? Pourquoi est-ce que tu ne t’es pas enfui quand tu m’as sentie ? 

Il réfléchit longtemps avant de répondre. 

— Je ne sais pas. J’ai senti ton parfum et… quelque chose en moi a refusé de partir. Comme si j’étais censé te rencontrer. 

— Moi aussi, j’ai ressenti ça. » Mon cœur bat si fort que je suis sûre qu’il peut l’entendre. « Comme si je t’attendais sans le savoir. 

•••Kael Blackthorne

Ses paroles résonnent en moi comme une révélation. Ce sentiment étrange que j’avais depuis des jours, cette certitude qu’un changement approchait… c’était elle. C’était Helena.

— Helena, » dis-je doucement « je dois te dire quelque chose. Je suis… je suis fiancé. 

Son visage se ferme légèrement. 

— Oh. 

— C’est un mariage arrangé. Je ne l’aime pas. » Les mots se précipitent hors de ma bouche. « C’est pour des raisons politiques, des alliances entre familles. Mais je ne l’aime pas. 

— Alors pourquoi l’épouser ? 

Comment lui expliquer les responsabilités d’un héritier de clan, les enjeux politiques, la pression de tout un peuple qui compte sur moi ? Comment lui dire que jusqu’à cette nuit, je pensais que l’amour était un luxe que je ne pourrais jamais me permettre ?

— C’est compliqué. Ma famille… nous avons des responsabilités. Des gens qui dépendent de nous. 

— Et moi ? » Sa voix est si petite que j’ai envie de la prendre dans mes bras pour la protéger du monde entier. « Qu’est-ce que je suis dans tout ça ? 

— Tu es… » Je m’arrête, cherchant les mots justes. « Tu es la première personne qui me donne envie de tout abandonner. 

Elle lève les yeux vers moi, et dans son regard bleu, je vois un mélange d’espoir et de douleur qui me brise le cœur.

— Mais tu ne le feras pas. Abandonner, je veux dire. 

— Je ne sais pas. » Et c’est la vérité. Jusqu’à cette nuit, mon chemin me semblait tracé, inévitable. Maintenant, tout vacille. « Je ne sais plus rien. 

Un bruit dans les buissons nous fait sursauter tous les deux. Mon instinct de loup-garou s’éveille immédiatement, et je hume l’air. Un parfum familier « Finn. »

— Cache-toi » murmure-je à Helena en me levant.

— Pourquoi ? 

— Quelqu’un arrive. Quelqu’un de ma… famille. 

Helena se glisse rapidement derrière un gros rocher, ramenant sa cape blanche autour d’elle pour se dissimuler. Juste à temps.

Finn émerge des buissons, l’air inquiet et essoufflé. 

— Kael ! Enfin, je te trouve. Gareth te cherche partout. 

— Qu’est-ce qui se passe ? 

— Il y a eu des… incidents. Des traces suspectes près des terres humaines. Gareth pense que quelqu’un de notre espèce chasse trop près des villages. » Finn jette un regard nerveux autour de lui. « Et il y a autre chose. Ton oncle Damien est arrivé. Il veut te voir. 

Damien. Mon sang se glace. Que fait mon oncle ici ? Il évite d’habitude le domaine principal, préférant ses terres isolées au nord.

— J’arrive » dis-je à Finn. « Va dire à Gareth que je rentre. 

Finn hoche la tête et repart vers le domaine. J’attends qu’il soit hors de portée avant de me tourner vers la cachette d’Helena.

— Tu peux sortir. 

Elle émerge de derrière le rocher, les joues rouges et les yeux brillants d’excitation. 

— C’était qui ? 

— Finn. Un… cousin. » Pas besoin de compliquer les choses. « Je dois y aller. 

— Oh. » La déception dans sa voix me fait mal. « Bien sûr. 

— Helena… » Je m’approche d’elle, luttant contre l’envie de la toucher, de la tenir contre moi. « Reviendras-tu demain soir ? Ici ? 

— Tu veux que je revienne ? 

— Plus que tout. 

Son sourire illumine son visage. 

— Alors oui. Je reviendrai. 

— À la même heure ? 

— À la même heure. 

Nous nous regardons pendant un long moment, et je sens quelque chose se nouer entre nous, invisible mais indéniable. Un lien qui n’existait pas une heure plus tôt et qui maintenant semble plus fort que tout ce que j’ai connu.

— Sois prudente en rentrant » dis-je finalement.

— Toi aussi. » Elle hésite, puis se hisse sur la pointe des pieds et pose un baiser léger sur ma joue. « À demain, Kael Blackthorne. 

Elle s’éloigne vers sa maison, et je reste planté là, la main sur ma joue, le cœur battant comme celui d’un adolescent au premier amour.

Parce que c’est exactement ce qui vient de m’arriver. Je viens de tomber amoureux d’une humaine. D’Helena Hartwell. Et cela va tout détruire.

•••Helena Hartwell

Je cours presque jusqu’à la maison, le cœur léger malgré les implications terrifiantes de ce qui vient de se passer. J’ai rencontré un loup-garou. Je lui ai parlé. J’ai accepté de le revoir. Et je suis en train de tomber amoureuse de lui.

En me glissant silencieusement dans ma chambre, je réalise que ma vie vient de basculer. Hier, j’étais Helena Hartwell, la fille malheureuse avec une belle-mère cruelle et un père absent. Ce soir, je suis Helena Hartwell, la femme qui a touché la magie.

Car c’est bien de la magie, cette sensation qui m’envahit quand je pense aux yeux dorés de Kael, à sa voix douce, à la façon dont il m’a regardée comme si j’étais précieuse.

Je me glisse sous mes couvertures, mais je sais que le sommeil ne viendra pas. Comment dormir quand on vient de découvrir que les légendes sont vraies ? Que les loups-garous existent ? Que l’un d’eux s’appelle Kael et qu’il m’attend demain soir ?

Dehors, quelque part dans la nuit, j’entends à nouveau ce hurlement. Mais cette fois, je ne frissonne pas de peur. Cette fois, j’y entends un appel, une promesse.

Demain soir, je retournerai au lac. Demain soir, je reverrai Kael. Et peut-être que demain soir, je comprendrai enfin pourquoi j’ai passé toute ma vie à attendre quelque chose sans savoir quoi. Parce que ce quelque chose, c’était lui.

Le baiser que j’ai posé sur sa joue brûle encore mes lèvres, et je souris dans l’obscurité de ma chambre. Pour la première fois depuis la mort de maman, je me sens vivante. Vraiment vivante.