EmilyJe l’ai vu dans ses yeux, ce regard impitoyable, glacé, où l’homme et le roi se confondent en une seule décision absolue irrévocable, immuable, lourde du poids de toutes les nuits sans sommeil, de toutes les batailles silencieuses. Ce regard n’avait plus rien d’humain. C’était le point de non-retour. Celui où la moindre hésitation disparaît, où la vie et la mort se confondent dans un instant suspendu.Lucia, elle aussi, avait senti ce changement. Lentement, presque avec une grâce douloureuse, elle avait tourné la tête vers moi. Son regard n’était ni suppliant ni effrayé, mais chargé d’une intensité déchirante qui m’a traversée comme un couperet. Elle ne fuyait pas ; elle me regardait une dernière fois, comme pour me dire que cette histoire, aussi sanglante soit-elle, ne s’éteindrait pas avec elle. Que la flamme continuait de brûler, quelque part entre nous, malgré tout.— Lorenzo... murmura-t-elle d’une voix basse, presque fragile, une tentative désespérée de ramener un peu de r
EmilyJe savais qu’il nous convoquerait.Lorenzo n’aime pas le désordre qu’il n’a pas orchestré.Il sent. Il pressent.Et quand le vent tourne, il appelle les tempêtes à table.Lucia est arrivée avant moi.Elle ne m’a pas regardée. Pas tout de suite.Mais ses épaules étaient droites.Trop droites pour une femme qui recule.Et dans ses yeux, il n’y avait ni défi, ni peur.Il y avait une position.Je suis entrée sans frapper.La pièce était vide d’autres présences.Mais pleine de lui.Lorenzo.Debout.Face à la cheminée éteinte.Le dos tendu.Les poings ouverts mais crispés.Pas un mot.Pas un geste.Pas encore.J’ai fermé la porte derrière moi. Lentement.Et alors seulement, il s’est retourné.Son regard.Pas de colère.Pas de tendresse.Autre chose.Un mélange de lucidité et d’orgueil blessé.Comme s’il voyait pour la première fois la scène qu’il n’avait pas écrite.Il nous a regardées toutes les deux.Pas comme un homme regarde deux femmes.Mais comme un souverain jauge un putsch sil
LorenzoJe suis le roi.Pas par héritage.Par construction.Je n’ai pas hérité d’un trône.Je l’ai forgé.À coups de pactes, de regards, de sang versé dans le silence.Chaque homme que j’ai fait plier, je l’ai regardé dans les yeux.Je n’ai jamais tremblé.Jamais attendu que l’histoire m’accueille.Je l’ai forcée à m’écrire.Et pourtant ce soir…tout semble me glisser entre les doigts.Pas d’un coup.Mais grain après grain,comme un sablier que plus rien ne retient.Je suis debout dans mon bureau.Le feu dans la cheminée s’éteint lentement.Même lui semble me juger.Mourir lentement, sans flamme, comme si ma volonté ne suffisait plus à l’alimenter.Je n’ai pas bougé depuis des heures.Je ne sais plus très bien si je veille…ou si je veille ma propre fin.Il y a des silences plus bruyants que les balles.Et c’est ça que j’entends maintenant.Ce qui gronde, ce n’est pas la haine.C’est l’indépendance.C’est la tentation du pouvoir.Emily.Lucia.Elles ne m’ont pas quitté en fuyant.Elle
LuciaJe n’ai rien dit en sortant.Ni au garde. Ni au silence.Je suis descendue sans un bruit, comme on descend d’un rêve trop dense pour survivre à l’aube.Emily ne m’a pas poursuivie.Elle n’avait pas besoin.Ce qu’elle m’a laissé n’avait pas besoin de mots supplémentaires.C’était là, sous ma peau.Un verdict sans gavel.Un adieu sans départ.J’ai marché longtemps.Les rues étaient désertes.La nuit pesait comme une fièvre qu’on ne peut pas briser.Je sentais mes pas me porter, mécaniques.Mais c’est mon esprit qui saignait.Pas de colère. Pas encore.Plutôt ce vertige ancien, celui qu’on ressent quand le sol commence à refuser de nous appartenir.Je suis rentrée chez moi à pied.Le vent était froid.Pas autant que l’idée que quelque chose venait de basculer et que ce n’était plus moi qui tirais les ficelles.Peut-être ne l’avais-je jamais fait.Peut-être avais-je juste été la ficelle.Je suis restée longtemps dans l’ombre du couloir, la main sur la poignée.Mon front contre le b
LorenzoJe n’ai pas dormi.Pas depuis trois nuits.Et je n’ai pas cherché le sommeil non plus.Le sommeil est devenu un territoire ennemi.Un piège de visions.Une répétition d’échos.Des mains qui s’éloignent. Des voix que je ne contrôle plus.Et ce goût métallique, chaque matin, dans la bouche :le goût du pouvoir qui se délite.Le manoir est silencieux. Trop.Mais ce n’est pas un silence naturel.C’est un silence qui pèse.Un silence qui observe.Comme si les murs savaient que quelque chose est en train de se décider sans moi.Emily. Lucia. Moi.Ou plutôt : ce qu’il reste de moi.Pas le chef.Pas le monstre.Pas l’amant.Rien de tout ça ne tient, quand les fondations deviennent des cendres.Je traverse les couloirs comme un homme qui cherche un fantôme.Mais ce n’est pas elle que je cherche.C’est moi, avant.Avant qu’on me contredise sans trembler.Avant qu’on ose refuser de me craindre.Avant qu’elle ne me regarde à travers,comme si j’étais devenu transparent.J’ouvre la porte d
EmilyJe l’ai entendue avant de la voir.Pas seulement les talons.Le rythme. La manière.Pas une entrée. Une décision.Lucia.Elle a refermé la porte comme on referme une cicatrice.Et dans le silence suspendu qui a suivi, j’ai su : elle était prête à me détester, ou à me comprendre.Mais pas à m’ignorer.Elle m’a regardée.Sans expression. Mais pas vide.Comme on regarde une énigme trop familière pour être résolue sans risque.Moi, je suis restée droite.Les mains sur la table froide. Le dos droit. La respiration contenue.Je savais que chaque posture était déjà un mot. Une avancée. Une détonation possible.Et puis, sa voix. Tranchante.— Tu crois que c’est toi, le feu ?Pas un doute. Une attaque.Une gifle qui attendait ma joue depuis des mois.Je n’ai pas souri. Pas encore.Juste un souffle, mesuré.— Non, Lucia. Moi, je suis l’allumette.Et c’est toi, le sol imbibé.Un silence. Épais.Elle ne s’attendait pas à ça. Ou peut-être que si.Mais elle voulait m’obliger à brûler la premi