Léa
La serviette est à peine sèche sur mes épaules que je me lève d’un bond.
Je n’ai pas le luxe de m’écrouler. Pas ce soir.
Pas quand Liam est là-bas, seul, sous la lumière blafarde des néons hospitaliers.
Je m’habille rapidement.
Jean élimé, pull large, baskets déjà détrempées. Pas pour plaire. Juste pour tenir.
Je remets mes cheveux en chignon à l’arrache. Pas le temps de sécher, de peigner, d’embellir.
Ce n’est pas une visite. C’est un réflexe vital. Un besoin animal.
Je prends le tote bag qui traîne au pied du lit, le vide d’un geste rapide, puis file vers la cuisine.
Le frigo râle quand je l’ouvre. Il n’a pas grand-chose à offrir.
Je sors le sac de restes du fast-food.
Deux burgers à moitié tièdes. Des nuggets qui ont survécu. Un muffin.
Je les emballe comme je peux : papier aluminium déchiré, boîte à œufs reconvertie, sac plastique noué.
Je n’ai pas mangé.
Mais Liam d’abord. Toujours.
Je prends aussi sa boisson préférée : une mini brique de jus d’orange avec la paille collée sur le côté.
Il ne peut plus boire grand-chose avec ses perfusions, mais ça… ça le fait sourire.
Je rajoute un de ses livres de poche, cornés aux coins.
Une vieille BD. Et une photo de nous deux, collée dans le carnet. Il l’aime bien. Elle le rassure.
Moi aussi, elle me rassure. Me rappelle que je suis encore quelqu’un pour quelqu’un.
Je jette un coup d’œil à l’horloge : 1h22.
Le métro est fermé.
Le dernier bus est déjà passé.
Je n’ai pas d’autre choix : j’y vais à pied.
Quarante minutes de marche. Une traversée de ville, de zones grises, de silences froids et de rues à éviter.
Mais mon frère m’attend.
Et son souffle, chaque nuit, vaut plus que mon sommeil, ma peur ou ma fatigue.
Je prends une grande inspiration, referme la porte à double tour.
Et je descends les six étages à la hâte, sac au bras, cœur en vrac.
Dehors, l’air est plus coupant que tout à l’heure.
Il y a cette humidité étrange, poisseuse, qui colle à la peau et rend les pensées plus lourdes.
Je marche vite.
Les rues sont vides.
Pas un bruit, à part le froissement de mes pas sur le trottoir humide.
Je passe devant les mêmes coins que tout à l’heure.
Le gars à la couverture de survie dort toujours, sauf que maintenant, il a un chien roulé contre lui.
Le néon du magasin abandonné clignote dans une régularité quasi hypnotique.
Je baisse la tête, croise les bras sur ma poitrine.
Je ne veux pas attirer les regards. Pas dans ce quartier. Pas à cette heure.
Mais les pensées, elles, me rattrapent.
Je pense à Liam, à sa voix ce matin.
"Tu reviendras ce soir ? Promis ?"
Et moi, les yeux dans les siens :
"Promis. Même si je dois venir à pied."
Il a souri, malgré le masque, malgré les tuyaux.
Un de ces sourires qui font exploser la poitrine et réparer des semaines de vide.
Il est mon ancre. Mon urgence. Ma priorité.
Mais Kayden…
Lui, c’est autre chose. Un orage en approche.
Je me surprends à revoir ses yeux.
Son regard, direct. Intrusif. Troublant.
Comme s’il lisait en moi. Comme s’il voyait ce que j’essaie de cacher au monde entier :
la fatigue, le manque, la rage de ne pas pouvoir faire plus.
Je secoue la tête. Il n’a pas sa place ici. Pas ce soir.
J’arrive enfin à l’hôpital. L’entrée des urgences est déserte.
Je glisse par la porte arrière, celle des visites tardives.
L’infirmière de garde me connaît. Elle ne dit rien. Elle sait.
Un hochement de tête.
Un regard fatigué, mais complice.
Je monte à l’étage 4. Service pédiatrique , soins longs.
Les murs sont recouverts de dessins d’enfants et de guirlandes éteintes.
Mais tout ici sent le chlore, la peur et les médicaments.
Je pousse doucement la porte de la chambre 408.
Mon cœur tape un peu plus fort.
Liam est là.
Allongé , immobile , branché à une perf, une machine bipant faiblement.
Sa poitrine se soulève lentement, difficilement.
Mais ses yeux s’ouvrent lentement . Ils sont lourds . Mais il me sourit.
Ce sourire bancal qui me tue et me ressuscite.
— T’as tenu ta promesse, murmure-t-il, la voix enrouée.
Je m’approche, lui embrasse le front, pose le sac sur la tablette.
— Bien sûr que j’ai tenu. Et j’ai ramené des trésors. À commencer par… des nuggets mous et un muffin à moitié explosé.
Il rit doucement.
— Le dîner de roi.
Je m’assois à côté de lui. Je déballe, je lui tends un morceau.
Il croque à peine. Pas vraiment d’appétit. Mais il fait l’effort. Pour moi.
On parle doucement.
De rien , de tout , de cette série qu’il adore , de ce médecin relou.
Et puis, il finit par s’endormir, main posée sur la mienne.
Je reste là . Je n’ai pas envie de bouger , pas encore.
Je le regarde respirer.
Chaque souffle est une victoire.
Et malgré moi…
le visage de Kayden revient encore.
Et si c’était ça, le vrai danger ?
Pas la pauvreté , pas la maladie.
Mais de sentir, malgré tout ça, que je pourrais tomber.
Tomber pour lui.
Tomber vraiment.
KAYDENJe sens que cette discussion ne peut pas rester enfermée ici. Chaque mot de cette femme résonne comme un venin qui risque d’atteindre Léa si je ne l’arrache pas de ses griffes.Alors je quitte la pièce sans un mot, laissant Matteo seul avec elle. Mes pas frappent le couloir à toute vitesse. Mon cœur cogne, mais cette fois ce n’est plus la peur, c’est la rage, l’urgence, la nécessité de mettre fin à ce jeu.Je pousse la porte de la chambre. Léa est assise au bord du lit, les yeux rougis, les mains crispées sur le drap. Elle relève brusquement la tête en me voyant.— Kayden…Sa voix tremble, déchirée entre colère et attente.Je m’avance, m’agenouille devant elle, prends son visage entre mes mains.— Je veux que tu entendes de ta propre oreille, Léa. Que tu vois par toi-même ce qu’elle dit. Plus de secrets. Plus de doutes.Ses yeux cherchent les miens, encore blessés, encore incertains. Mais elle hoche la tête, lentement.Je l’aide à se lever, sa main glissée dans la mienne, et no
KAYDENJe n’ai pas attendu que le chaos médiatique se tasse. Pas attendu que les caméras se détournent ni que les journalistes trouvent une nouvelle proie. À peine revenu dans la pièce, les veines encore en feu de l’adrénaline, j’ai pris mon téléphone. Mes doigts tremblaient mais je savais ce que je devais faire.— Tu es fou, souffle Matteo derrière moi, sa voix basse mais vibrante de colère. Tu viens de provoquer un séisme, et maintenant tu veux en rajouter ?Je compose déjà le numéro, mes yeux fixés sur l’écran, mes mâchoires serrées.— Pas un séisme… mais la vérité.Ma voix gronde, basse, rugueuse. Matteo ne répond pas. Il comprend que je n’ai pas l’intention de reculer.Le téléphone sonne. Une fois. Deux fois. Trois. Chaque tonalité résonne comme un coup de marteau contre ma poitrine. Puis, un déclic.— Allô ?Sa voix. Douce, lente, presque caressante. Comme un poison qui s’insinue sans prévenir.Je ferme les yeux un instant, prends une inspiration.— C’est moi, Kayden.Un silence
LÉALa télévision grésille encore, saturée de flashes et de voix criardes. Les images défilent en boucle, Kayden derrière ce pupitre, son visage fermé, ses épaules tendues, son regard sombre qui balaye la foule.Je suis restée figée tout le long. Le bol de soupe que j’avais posé devant moi a refroidi, intact. Mes doigts crispés sur la télécommande sont blancs d’effort. Mon souffle est resté coincé quelque part entre ma poitrine et ma gorge, incapable de circuler.Quand il a prononcé son nom… celui de cette femme… j’ai eu un sursaut. Comme si le mensonge avait enfin une cible tangible. Puis il a lâché ces mots : elle n’est pas enceinte de moi. Clairs. Durs. Sans détour.Et le chaos a éclaté. Des cris, des questions, des caméras qui se levaient comme des armes, une marée de bruit qui a presque fait trembler les murs de mon salon à travers l’écran. Mais moi, je n’ai entendu que lui. Sa voix. Grave, ferme. Trop ferme pour être feinte.Je me surprends à murmurer, presque sans m’en rendre c
KAYDENLa pièce ressemble à une cage. Trop étroite, trop close, saturée d’un air lourd qui colle à ma gorge. J’ai l’impression que chaque respiration m’écorche les poumons. Je suis assis seul, les coudes appuyés sur mes genoux, les mains jointes qui tremblent malgré moi. Je tente de les immobiliser, de les contraindre, mais rien n’y fait. La peur s’infiltre, invisible, et refuse de se taire.De l’autre côté de la porte, les voix s’élèvent, nerveuses, étouffées par le bois. Mon équipe se déchire en conseils contradictoires. Ne fais pas ça. C’est trop tôt. Attends. Mais il n’y a pas d’attente possible. Chaque seconde de silence me condamne davantage. Chaque rumeur répandue comme un poison ronge ce qu’il me reste de crédibilité.Je ferme les yeux, inspire profondément, et leur visage surgit aussitôt. Léa. Ses yeux rougis de larmes, son corps tendu, sa colère vibrante. Et Ethan, fragile, pâle, accroché à la vie comme à un fil trop mince. Si je continue à me taire, c’est eux que je perds,
LÉAL’eau chaude ruisselle sur ma peau, effaçant la sueur, les frissons, les traces de sa bouche et de ses mains. La vapeur emplit la salle de bain, dense, enveloppante, presque étouffante. Je ferme les yeux, m’appuie contre le carrelage froid, et laisse mes pensées dériver malgré moi.Mon cœur bat encore vite, comme si Kayden était toujours là. Comme si son souffle brûlant se glissait encore dans mon cou, comme si ses mains m’emprisonnaient contre lui, me rappelant qu’il peut me désarmer en un instant. Et ça me terrifie. Parce qu’il me suffit d’un de ses regards pour que ma colère s’effrite, pour que mes résolutions se fissurent.Pourtant, sous la chaleur de l’eau, une autre émotion s’invite. Pas la colère — elle s’est dissoute comme du sel dans l’océan — mais une fatigue profonde. Un poids invisible qui s’accroche à mes épaules, lourd, tenace. Ses secrets, cette femme enceinte, cette ombre constante de son passé… Je peux fermer les yeux, inspirer profondément, tenter d’effacer l’ame
LéaJe serre les poings, incapable de détacher mes yeux de Kayden. La colère bouillonne en moi, brûlante, incontrôlable. Comment a-t-il pu me cacher quelque chose d’aussi énorme ? Une femme enceinte de lui… et il ne m’a rien dit ? Je le sens prêt à me rassurer, à répéter ses mots mille fois, mais à cet instant, je ne veux rien entendre.— Comment… comment as-tu pu me laisser découvrir ça à la télévision ? hurle-je, ma voix tremblante. Comment ?Kayden recule légèrement, surpris par mon éclat, mais ses yeux restent fixés sur moi, emplis de cette intensité qui me fait à la fois trembler et fondre.— Léa… je… murmure-t-il, tentant de calmer la tempête qui me dévore. Ce n’est pas ce que tu crois…— Pas ce que je crois ? siffle-je entre mes dents. Je crois qu’une ex de toi, enceinte de toi, choisit ce moment pour se montrer et que tu… tu ne m’as rien dit ! Rien ! Et tu oses me dire que ce n’est pas vrai ?Mon souffle s’accélère, mon cœur bat à tout rompre. Il s’avance vers moi, mais je rec