Share

Chapitre 2

Author: Claudia Lacan
Tania est montée dans l'ascenseur, l'esprit ailleurs. Lorsqu'elle a émergé de sa torpeur, la cabine s'était déjà arrêtée au niveau -1.

Une stagiaire s'est approchée d'elle avec enthousiasme : « Vous êtes venue pour l'exposition de Mlle Dolorès Grandis ? Suivez-moi, je vous en prie. »

Tania a réalisé alors qu'elle avait oublié de choisir son étage.

Machinalement, elle s'est laissée guider vers la salle d'exposition. La jeune femme lui a expliqué avec fierté : « L'exposition est intégralement financée par M. Dubos. Une tournée nationale est même prévue ensuite. »

Son regard était soudain aimanté par l'une des toiles : on y voyait la silhouette nue d'un homme, dos au spectateur, ses muscles dorsaux finement ciselés, et surtout cette cicatrice distinctive en bas des lombaires. Tania en avait tant de fois tracé les contours dans l'obscurité qu'elle a reconnu immédiatement à qui elle appartenait.

Dolorès avait peint de nombreuses œuvres le représentant. Dans le coin inférieur droit de chaque toile, une date était apposée, précise et brutale :

Le 20 juin : Édouard devant les fourneaux, sa silhouette baignée d'une lumière dorée.

C'était son troisième jour de séquestration. Elle était alors en grève de la faim, vaincue par des douleurs gastriques qui l'avaient fait s'évanouir. Et lui ? Il préparait un repas pour Dolorès.

Le 1er juillet : Des mains masculines pliant une chemise de nuit en soie, l'alliance jumelle à son doigt scintillant froidement.

Son treizième jour de réclusion. Elle s'était entaillé les poignets en signe de protestation, le sang imbibant les draps. Et lui ? Il rangeait méticuleusement les affaires de Dolorès.

Le 15 juillet : Lui marchant sous un parapluie le long d'une allée, les bords du tableau laissant deviner des doigts entrelacés avec ceux d'une autre.

Son vingt-huitième jour d'assignation à domicile. Enchaînée au lit par son père, brûlante de fièvre, recroquevillée sur des draps trempés de sueur. Et lui ? Il se promenait main dans la main avec Dolorès aux premières lueurs de l'aube.

Chaque coup de pinceau était un coup de couteau.

Pendant ce mois de ténèbres, il ne se battait donc pas pour elle. Il passait son temps avec Dolorès. Sa mise en scène, la tasse brisée, les déclarations médiatiques et l'annulation des contrats n'étaient que théâtre !

Ses ongles se sont enfoncés dans ses paumes jusqu'à faire perler le sang, mais la douleur physique restait sourde comparée à l'effondrement de son univers.

Impossible de supporter cela plus longtemps, elle a tourné les talons et a quitté l'exposition sans un regard en arrière.

...

Après avoir programmé l'interruption de grossesse pour la semaine suivante, elle s'est rendue au manoir des Grandis pour récupérer les affaires de sa défunte mère.

À peine avait-elle franchi la porte que son père lui a jeté un billet d'avion : « Mireille et moi avons discuté. Nous voulons que Dolorès passe ses derniers jours avec Édouard. Ton vol est dans dix jours. Pars en vacances, ça te changera les idées. »

Elle a serré le billet entre ses doigts, les lèvres blêmes.

Comment ne pas comprendre que ces prétendues « vacances » n'étaient qu'un prétexte pour libérer l'espace au couple ? En son absence, Édouard et Dolorès pourraient vivre leur « idylle » sans entraves.

« Tania, ne le prends pas mal... » sanglotait Mireille, ressortant son discours éculé, « Nous voulons juste que Dolorès parte en paix... »

D'une voix neutre qui a glacé l'air, Tania l'a coupée court : « C'est inutile d'en dire plus. Je partirai. »

Édouard ? Elle y renoncerait.

Cette famille ? Elle n'en voulait plus.

Son père, surpris par cette docilité soudaine, a cru à un apaisement de son caractère. Il a adouci sa voix : « Nous organisons une cérémonie d'adieu pour Dolorès après-demain. Sois présente. »

« D'accord. »

...

De retour chez elle, Tania a sorti un carton et a entrepris méthodiquement de vider son passé : les gobelets assortis qu'Édouard lui avait offerts pour son anniversaire ; les tickets de cinéma jaunis de leur première séance ; les photos où il boudait face à son objectif rieur...

Au moment où elle scellait le carton, la clé a tourné dans la serrure. Édouard est apparu, le regard immédiatement attiré par la boîte pleine à craquer.

« Tania... Qu'est-ce que tu fabriques ? » a-t-il demandé en s'approchant d'un pas vif.
Continue to read this book for free
Scan code to download App

Latest chapter

  • L'heure des vérités   Chapitre 24

    Le temps volait, et déjà, les fêtes de Noël étaient de retour. Tania s'est rendue comme à son habitude à l'église de la périphérie, priant pour les enfants de l'orphelinat.Une fraîcheur forestière flottait dans l'air. Elle a resserré son châle de cachemire et se tenait au centre de la nef, recueillie.La lueur dansante des cierges et la lumière colorée filtrant par les vitraux apaisaient son âme.Puis elle a gagné le fontaine à l'arrière et y a jeté une pièce de monnaie.C'était alors qu'elle a remarqué un homme vêtu d'une robe grise, penché sur un balayage de feuilles mortes. Cette silhouette lui était si familière qu'elle en a retenu son souffle.Oui, c'était bien Édouard.L'ancien maître tout-puissant du groupe Dubos avait maigri, ses pommettes saillantes sous une peau devenue presque translucide. L'arrogance et l'ombre malfaisante qui habitaient son regard avaient disparu, remplacées par une sérénité limpide.« C'est notre nouveau frère chapelain », lui a expliqué une sœur qui av

  • L'heure des vérités   Chapitre 23

    Six mois plus tard, Florian a offert à Tania un mariage somptueux. Le domaine le plus exclusif était submergé de roses blanches, les rayons du soleil dansaient entre les pyramides de coupes de champagne.Devant le miroir sur pied de la suite nuptiale, Tania contemplait sa silhouette en robe immaculée.Est-ce que tout cela était réel ? Pourquoi avait-elle l'impression de vivre un rêve ?Elle a repensé à cette heure solitaire passée dans le couloir de l'hôpital après le diagnostic médical. Ces soixante minutes à ressasser l'impensable : l'héritier que les Jaubert exigeaient et qu'elle ne pourrait donner ; cet amour encore trop fragile entre Florian et elle pour supporter un tel sacrifice…Ce n'était que lorsque son téléphone avait sonné qu'elle était sortie de sa torpeur.« Où es-tu en ce moment ? » avait demandé la voix de Florian, calme et posée comme à l'accoutumée.« Je… suis en train de faire du shopping. »Rien n'avait paru alerter Florian. Sur le même ton détendu, il avait répondu

  • L'heure des vérités   Chapitre 22

    Après leur officialisation, la vie de Tania conservait sa sérénité.Seule une ombre persistait : les séquelles de sa fausse couche causée par Édouard. Les hémorragies avaient gravement endommagé son utérus, rendant toute grossesse ultérieure improbable.Florian répétait que cela importait peu, mais Tania savait qu'en tant qu'héritier unique du groupe Jaubert, ses parents ne partageraient pas cette indifférence.Cette conscience la hantait jour et nuit, la poussant à consulter en secret.Le médecin a examiné ses résultats et a secoué la tête : « Désolé... mais aucune méthode efficace n'existe actuellement. Je vous conseille de… de... revoir à la baisse vos attente concernant une éventuelle grossesse... »Tania a quitté le cabinet, le diagnostic papier lui brûlant les doigts.Soudain, un appel faible comme un souffle a retenti : « Tania… »Cette voix était si ténue qu'elle semblait provenir de très loin.Elle s'est retournée et a entrevu par la porte entrouverte d'un service un visage qu

  • L'heure des vérités   Chapitre 21

    Le jour où Tania a reçu son prix littéraire, une neige fine s'est mise à tomber.Devant la baie vitrée, elle contemplait le paysage quand Florian l'a rejointe sans bruit.Il a posé délicatement un manteau de cachemire sur ses épaules et lui a proposé : « J'ai réservé une table pour fêter ça ce soir. »Lorsqu'ils étaient arrivés à ce restaurant, un serveur les a guidés vers une alcôve privée dominant la ville. Trois parois de verre offraient une vue panoramique sur les lumières nocturnes. Au centre, une nappe de velours rouge portait un candélabre cristal et des roses écarlates.Florian a levé son verre dans un toast léger, puis, tel un magicien, il a fait glisser vers elle une enveloppe liée d'un cordon rouge délavé.« Une surprise pour toi. Ouvre-la », a-t-il demandé.Tania a arqué un sourcil et a défait le lien. Malgré l'encre partiellement effacée, le « T » griffonnée dans un coin lui a coupé le souffle.« Ce sont… »« Ouais, les lettres que tu écrivais à ton correspondant F au lycé

  • L'heure des vérités   Chapitre 20

    La sirène de l'ambulance s'est éteinte au loin. La pluie cinglait le visage pâle de Tania, mêlant ses larmes à l'eau froide. Debout sur le béton devant la villa, elle sentait encore sur ses doigts la texture poisseuse du sang d'Édouard.Soudain, des phares perçant le rideau de pluie, une Maybach noire a freiné brutalement devant elle. Florian en a jailli alors sans même ouvrir son parapluie, l'enveloppant dans son manteau comme pour l'arracher à la nuit.« Tania... » Ses bras se sont refermés sur elle, comme pour la fondre dans sa propre substance, « N'aie plus peur. Je t'emmène loin d'ici. »Tania a enfoui son visage dans son épaule et a respiré son odeur de cèdre qui lui était désormais familière et rassurante.Cette étreinte était si forte qu'elle en avait mal aux côtes, mais paradoxalement, son corps cessait de trembler.Dans la voiture où le chauffage rugissait, Florian l'a enveloppée méthodiquement dans une couverture. Quand son regard a retrouvé enfin de la conscience, il a osé

  • L'heure des vérités   Chapitre 19

    Les jours se sont écoulés dans cette villa-prison, rythmés par les tentatives de séduction d'Édouard.Il faisait amener des trésors du monde entier : antiquités de ventes aux enchères, robes sur mesure...Tout défilait devant Tania comme un flux ininterrompu.Mais que valaient ces cadeaux somptueux ? Ils ne suscitaient en elle pas la moindre émotion.Elle restait assise seule dans le jardin, un ordinateur portable sur les genoux, ses doigts tapotant sur le clavier un murmure continu.Édouard avait d'abord cru à un passe-temps, jusqu'à cet après-midi où Lucas lui a tendu une tablette, le visage troublé : « M. Dubos, regardez donc ceci... »Sur l'écran s'affichait le roman que Tania publiait en ligne.À mesure qu'il lisait, son expression s'assombrissait, car l'héroïne vivait une histoire étrangement similaire à la sienne !Elle avait alors transformé ses blessures en mots, exposant sa propre histoire au jugement public.Les lecteurs découvraient également par son fiction les secrets des

More Chapters
Explore and read good novels for free
Free access to a vast number of good novels on GoodNovel app. Download the books you like and read anywhere & anytime.
Read books for free on the app
SCAN CODE TO READ ON APP
DMCA.com Protection Status