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L'heure des vérités
L'heure des vérités
Author: Claudia Lacan

Chapitre 1

Author: Claudia Lacan
Tania est sortie de la mairie telle une somnambule, le regard vide, la démarche chancelante. Ce n'était qu'une fois installée dans le taxi que les larmes qu'elle refoulait depuis trop longtemps ont coulé enfin, silencieuses.

Il y avait quatre ans, pour préserver l'honneur des deux familles, c'était elle qui avait épousé Édouard à la place de sa sœur fugueuse.

Au début, l'homme s'était montré distant envers elle. Mais plutôt que de se plaindre, Tania avait pris soin de lui avec une dévotion minutieuse, veillant à son confort au quotidien.

Petit à petit, au fil de sa présence assidue, Édouard avait laissé tomber ses défenses. Il avait commencé à tolérer qu'elle bouscule son emploi du temps, à écouter patiemment ses blagues sans sel, et même à lui confier la gestion de documents confidentiels liés à son travail.

Puis, il s'était mis à être de plus en plus attentionné. Il l'avait emmenée découvrir tous les restaurants étoilés, lui avait offert une carte noire sans plafond. Même lorsqu'elle manifestait une envie soudaine de mille-feuille aux amandes en pleine nuit, il ne refusait jamais. Il se contentait de lui pincer la joue en soupirant : « Je n'ai jamais vu une petite gourmande aussi capricieuse que toi », avant de prendre la route et de traverser la moitié de la ville pour lui rapporter la pâtisserie.

À cette époque, Tania avait cru avoir enfin réchauffé le cœur d'Édouard.

Mais voilà que, deux mois plus tôt, Dolorès, atteinte d'un cancer, était brutalement réapparue.

Leur père avait convoqué une réunion de famille le soir même. D'un ton grave, il avait annoncé à Tania : « Dolorès est en phase terminale. Il ne lui reste tout au plus que six mois. Son plus grand regret est de ne pas avoir pu épouser Édouard. Par conséquent, tu vas te mettre en retrait. Après le décès de ta sœur, Édouard te reviendra. »

Sa belle-mère, Mireille, l'avait suppliée en sanglotant : « Dolorès est ta sœur, accorde-lui son dernier vœu. »

Dolorès, elle aussi, pleurait de manière déchirante : « C'est le seul souhait que j'ai avant de mourir, je t'en supplie. »

Tania ne pouvait croire qu'ils osent formuler une demande aussi ignoble. Les yeux rougis par l'émotion, elle leur avait lancé, chaque mot teinté d'une douleur sanglante : « C'est vous qui m'avez poussée telle une marionnette à épouser Édouard à sa place. Et maintenant, vous voulez que je cède ma place à Dolorès ? Mais pour vous, je suis quoi, au juste ? Je refuse ! »

Son père avait fait la sourde oreille à ses reproches. Il était allé jusqu'à la placer en résidence surveillée, la menaçant : elle ne retrouverait la liberté qu'en acceptant.

Le troisième jour de son résignation à résidence, elle avait appris qu'Édouard avait fracassé une tasse devant son propre père, fou de rage.

Le treizième jour, elle avait vu sur son téléphone qu'Édouard annonçait haut et fort aux médias : « Mme Dubos ne peut être que Tania ».

Le vingt-huitième jour, Édouard avait gelé purement et simplement toutes les collaborations commerciales avec son père, les forçant à lui rendre Tania.

Un mois plus tard, la porte verrouillée s'est ouverte enfin.

En repensant à tout ce qu'Édouard avait fait pour elle durant cette période, Tania avait fondu en larmes. Sans même prendre le temps de mettre ses chaussures, elle s'était précipitée, chancelante, dans ses bras.

Mais à la seconde suivante, elle l'avait entendu lui dire d'une voix rauque : « Tania, je suis désolé… Tes parents ont été intraitable. Ils sont même tombés à genoux pour me supplier. Pour préserver l'amitié de longue date entre nos deux familles, je dois exaucer le dernier vœu de Dolorès... »

« Mais sois tranquille », avait-il ajouté, « ce ne sera qu'un mariage factice. Toi seule seras toujours mon épouse. »

À cet instant, Tania avait senti son cœur se glacer soudainement. Chaque respiration lui causait une douleur aiguë.

Après deux secondes de stupeur, le cœur serré, elle avait caressé tendrement la joue amaigrie d'Édouard et avait refoulé ses larmes : « Tu as déjà fait tout ce que tu pouvais. »

Par la suite, elle avait assisté, impuissante, sous les projecteurs et le regard de tous, à ce qu'Édouard passait la bague de fiançailles au doigt de Dolorès...

Et oui, il avait continué de bien la traiter. Seulement, le temps qu'il consacrait à Dolorès ne faisait qu'augmenter. Ses visites à Dolorès s'était faites d'abord occasionnelles, puis il avait commencé à passer plusieurs nuits de suite dehors, la laissant seule dans leur lit vide.

Quand Tania lui avait fait des reproches, l'homme avait pris patiemment le temps de lui expliquer : « Je n'ai aucun amour pour elle. Je veux juste, en ami, l'accompagner jusqu'au bout de son chemin. »

Tania avait cru à ces paroles. Mais sa naïveté lui est revenue maintenant en plein visage, telle une gifle cinglante.

...

Lorsque la voiture s'est arrêtée au pied de la tour du groupe Dubos, Tania avait déjà repris contenance, serrant fébrilement le faux acte de mariage dans sa main.

À peine arrivée au dernier étage, elle est tombée nez à nez avec Lucas, le secrétaire d'Édouard.

Ce dernier, en la voyant, a affiché un certain malaise : « Bonjour, Mme Dubos. Quelle surprise... Que puis-je pour vous ? »

« Je viens voir Édouard. »

« Il est en réunion en ce moment, il n'est pas disponible... »

Ignorant ses tentatives pour la retenir, Tania s'est dirigée d'un pas décidé vers le bureau. Alors qu'elle s'apprêtait à pousser la porte, la voix de Dolorès lui est parvenue de l'intérieur.

« Édouard, regarde-moi dans les yeux et réponds-moi. » La femme tirait sur sa cravate de la main gauche, tandis que sa main droite était pressée contre son cœur. « Est-ce qu'il reste toujours une place pour moi, ici ? »

Édouard a dégluti, le souffle coupé par la brûlure des doigts de Dolorès sur sa peau. Mais sa voix est restée d'un calme calculé : « Tu vois des choses qui n'existent pas. »

« Ah oui ? » a ricané Dolorès, « À l'époque, tu as épousé Tania pour m'attendre, n'est-ce pas ? Et dès mon retour, tu as officialisé notre union. »

« Et puis, il y a toutes ces choses que tu as écrites dans ton journal. »

« Tu as dit que tu avais accepté de l'épouser pour me forcer à revenir... Ah ! »

Dolorès était interrompue par le baiser sauvage qu'Édouard lui a arraché. L'homme a emprisonné sa nuque d'une poigne de fer, scellant toutes ses paroles dans un baiser presque violent.

Son regard était brûlant, chaque mot semblant jaillir entre ses dents serrées : « Oui. Je ne t'ai jamais oubliée. Alors, Dolorès, comment comptes-tu me payer ta dette ? »

Dehors, Tania a senti un froid glacial l'envahir tout entière, une torpeur qui la privait presque de toute sensation.

Elle s'est souvenue des paroles qu'Édouard lui avait murmurées quelques jours plus tôt. L'homme l'avait serrée contre lui, les lèvres dans ses cheveux : « Tania, Dolorès appartient au passé. Toi, et toi seule, mérites ma sincérité désormais. »

Maintenant, ces mots lui semblaient si ridicules.

La prétendue sincérité de cet homme n'était qu'un mensonge calculé. Et leur mariage n'avait jamais été qu'une mascarade depuis le début !

Tania a fermé lentement les yeux, luttant de toutes ses forces pour retenir ses larmes.

Puisqu'il avait fait son choix, elle le laisserait partir, le laisserait vivre pleinement sa passion avec celle qui comptait vraiment !
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