Élodie
La pièce est froide, trop froide. Le silence qui m’entoure semble étouffant, comme une étendue noire où le moindre bruit se perd. Il n’y a plus rien ici, rien sauf lui. Je le ressens derrière moi, chaque mouvement de sa part une menace tangible, un souffle qui me frôle. Mes muscles se tendent sous la pression de sa présence, mais je n'ose bouger, ni respirer. Je suis un pion dans un jeu qui m’échappe, et pourtant, une partie de moi se languit déjà de cette soumission. C’est absurde, mais je le sens. Ce désir obscur, cette faim qui me dévore de l’intérieur, me pousse à l’accepter. Mon cœur bat à tout rompre, et mes mains tremblent malgré moi.
Il n’a rien dit. Il m’a juste guidée jusqu’à cette place, m’ordonnant de m’agenouiller devant lui. Mes genoux touchent le sol froid et dur, mais ce n’est rien comparé à l’angoisse qui me broie. C’est comme si, à chaque seconde, la gravité elle-même était manipulée par ses gestes. Il est mon centre de gravité, et tout autour de moi se met à tourner sous l’effet de son pouvoir. Tout est vertige, tension et anticipation.
Je ferme les yeux une fraction de seconde, respirant plus profondément. Si j’essayais de m’échapper maintenant, que serait-ce ? Une fuite en avant, une illusion vaine. Je suis ici, je suis captive de ce que je ressens. Mes lèvres s’entrouvrent à peine, une sueur froide perle sur mon front. La chaleur qui monte en moi est plus brûlante que jamais. Tout en moi veut crier, se libérer, mais je me tiens là, muette. Ma gorge est serrée, comme un piège invisible.
Il n’a toujours pas bougé. Puis je sens une main se poser sur mon épaule, la pression douce, mais implacable. Je sens sa chaleur à travers le tissu de mon chemisier, et cette simple touche me fait frissonner tout le long de ma colonne vertébrale. Le contact me fait basculer, chaque fibre de mon corps s’embrasant de plus en plus. Ce n’est pas la douleur qui m’envahit, mais une vague de tension insoutenable, qui monte et descend en moi comme une marée déchaînée.
Il se penche légèrement au-dessus de moi. J’entends son souffle, chaud, lourd, presque palpable. Je le sens, chaque centimètre de lui, plus proche, toujours plus proche. Il ne parle toujours pas. Il attend que j’agisse, que je fasse le premier pas dans ce monde qu’il contrôle entièrement. Mais que dois-je faire ? Que dois-je dire ? Je suis paralysée. J’ai tellement de questions, tellement de doutes, mais la peur, une peur douce et brûlante, m’envahit. Elle me pousse à le chercher, à le désirer encore plus. Je sais, au fond de moi, que tout ce qui va se passer va me marquer pour toujours. Ce ne sera pas juste un jeu. Ce sera une transformation. Une chute.
Enfin, il parle, et ses mots sont lourds de sens, d’une autorité indiscutable.
« Tu te sens prête à tout perdre, Élodie ? »
Sa voix m’étreint, me fait frémir, et je n’ai pas de réponse. Pas de réponse à cette question absurde et infinie. Comment savoir si je suis prête à perdre tout ce que j’étais avant lui ? Mes doigts se crispent sur le sol sous moi, cherchant quelque chose à saisir, une ancre dans ce vide abyssal. Mais il n'y a rien. Rien d’autre que son regard qui me transperce, me fige dans cette position soumise. Il est mon maître, et je suis sa marionnette.
Il me prend alors par les cheveux, un geste ferme mais presque tendre, me forçant à relever la tête. La douleur qui naît de ce contact est aiguë, mais dans la même seconde, quelque chose d'inattendu m'envahit : une pulsion chaude, insidieuse, qui me fait sentir vivante d'une manière que je ne connais pas. Chaque fibre de mon être se tend, prête à céder. Je ferme les yeux à nouveau, m’abandonnant à ce geste.
Il attend. Il ne se contente pas de me regarder. Il me scrute, comme s'il attendait un signal de ma part. Mais je sais que je ne lui offrirai rien, pas encore. Il veut que je le supplie. Que je lui dise que je veux plus, que je veux aller plus loin. Et moi, je sais que tout ce que je fais, tout ce que je ressens, n'est qu'une préparation à ce moment où je serai prête à tout accepter.
Il relâche enfin ma tête, et mes cheveux retombent sur mes épaules. L’air autour de moi semble plus lourd, plus chargé. Il s’éloigne d’un pas, tout en gardant ses yeux rivés sur moi. Il va et vient, comme une ombre qui se faufile dans mes pensées, qui se glisse dans chaque coin de ma conscience. Je suis en train de me perdre. Pas physiquement, pas seulement. Je suis en train de me perdre moi-même.
Tout à coup, il revient à ma hauteur, et sans prévenir, il me prend par la taille, me faisant basculer dans ses bras. L’instant suivant, je suis sur le canapé, mes jambes étendues, mon corps vulnérable sous ses mains. La peur est là, mais elle est mêlée à un désir que je ne peux plus ignorer. Je ne peux plus faire semblant de ne pas le ressentir. La chaleur, l’humidité qui monte entre mes cuisses, tout me trahit.
Il ne dit rien. Il ne fait rien pour m’apaiser. Il me laisse trembler, me laisse en proie à l’incertitude. Ses mains glissent sous mon haut, effleurant ma peau, remontant le long de mes côtes. Chaque toucher, chaque caresse semble la brûler, éveiller en moi une sensation d’extase inouïe. Et je veux plus. Je veux qu’il prenne ce que je suis, qu’il m’arrache ce contrôle illusoire que je m’efforce de garder.
Sa main se pose sur ma gorge, une pression délicate mais puissante, et je m’enfonce encore plus dans cette sensation de soumission. Mais cela ne me suffit pas. Je veux m’effondrer. Je veux être tout à lui. Ses doigts se resserrent légèrement, et je me sens m’abandonner à lui, au point de ne plus savoir où je commence et où il finit. Le désir me ronge, et je me rends.
À cet instant précis, tout disparaît. Le monde extérieur, tout ce qui m’entourait avant cette rencontre, tout cela n’a plus de sens. Je ne suis plus moi-même. Je ne suis plus qu’un instrument entre ses mains. Et paradoxalement, cela me rend plus vivante que jamais.
ÉLODIEIl est tôt , très tôt.Le genre d’heure suspendue entre la nuit et le jour, où même le vent semble hésiter à se lever.La chambre est tiède, paisible.Il y a une lumière laiteuse qui filtre entre les rideaux, douce comme une caresse sur la peau nue.Je suis réveillée, mais je ne bouge pas.Pas encore.Son bras m’enlace.Son torse nu, chaud, contre mon dos.Je sens son souffle sur ma nuque, lent, régulier, profondément ancré dans le sommeil.Et moi, pour la première fois depuis que je suis tombée amoureuse vraiment amoureuse je n’ai pas peur.Je ne me pose pas de questions.Je ne cherche pas à fuir avant qu’il ne se réveille.Je ne me prépare pas à l’effondrement.Je suis là : vivante , calme , entière et aimée .Et ce n’est pas un rêve.Je ferme les yeux, mais pas pour m’endormir.Pour m’imprégner.De la chaleur de son corps.De la sensation d’être là où je devais toujours être.De cette vérité que je n’osais pas imaginer : parfois, l’amour ne détruit pas. Il reconstruit.Je me
ÉLODIELa nuit est tombée sans bruit.Pas comme une fin, mais comme un voile doux qu’on tire sur le monde pour en préserver l’intime.La lumière des bougies résiste, crépite, éclaire nos silences sans les interrompre. Elle danse sur les murs, sur les verres vides, sur sa chemise déboutonnée à peine et sur cette bague à mon doigt, irréelle, trop réelle.Le oui flotte encore entre nous.Il est là, dans chaque souffle, dans chaque battement ralenti.Un mot simple.Mais qui a déplacé des montagnes.Je n’ai plus peur.Plus des silences, plus de ses absences passées, plus de moi-même.Il est là.Il n’a pas bougé.Et c’est cette immobilité-là, cette certitude calme, cette promesse muette, qui me donne le vertige.Je me lève.Lentement.Comme si j’avais peur de briser le moment, comme si chaque mouvement devait être un remerciement.J’enlève mes chaussures.J’ai presque envie de pleurer devant la simplicité de ce geste.Parce qu’il n’y a plus rien à cacher.Ni la fatigue, ni les cicatrices, n
DAMIENJ’ai cuisiné toute la journée.Pas pour impressionner, pas pour montrer quelque chose que je ne suis pas, pas pour camoufler les failles ou occuper mes mains non, pas cette fois.J’ai cuisiné comme on écrit une lettre, comme on sculpte une offrande, comme on tremble à l’idée de se montrer tel qu’on est, sans artifice, sans défense, sans fuite.C’était lent.Concentré.Et silencieux.J’ai sorti les bougies, pas les petites pour les coupures de courant, mais celles qu’on n’ose jamais allumer, celles qui prennent la poussière sur l’étagère parce qu’elles brillent trop pour les soirs ordinaires.J’ai repassé la nappe blanche, celle qui n’a jamais servi, que ma mère m’avait donnée en me disant : « Pour une grande occasion », et que je n’avais jamais crue utile avant aujourd’hui.J’ai essuyé les verres en cristal, un par un, les doigts tremblants, comme si j’avais peur de les briser rien qu’en les touchant.J’ai même mis une chemise.Bleue nuit.Pas parce que je voulais être beau.Pa
ÉLODIEJe me réveille la première.Le jour n’est encore qu’une promesse pâle derrière les rideaux clos.Une lumière hésitante, comme si même lui n’osait pas déranger ce qui repose ici.Je reste immobile, respirant à peine, prisonnière volontaire d’un silence plus vaste que la pièce.Un silence qui ne demande rien, qui n’attend rien sauf peut-être d’être habité.Il est toujours là.Et ce simple fait me bouleverse.Sa main repose sur ma hanche, chaude et lourde, comme une ancre.Son souffle est lent, paisible, contre ma nuque.Et son corps, ce corps que j’ai appris à désirer, à toucher, à comprendre dans ses tensions et ses retraits, est encore contre le mien, mêlé au mien, comme s’il n’avait jamais eu l’intention de partir.Comme si, pour une fois, quelqu’un avait décidé de rester.Je ne bouge pas. Je n’en ressens ni le besoin, ni l’envie.Je me contente d’être là.D’écouter le rythme lent de sa respiration.D’accueillir cette étrange sensation de calme un calme qui ne vient pas de l’o
ÉLODIEIl ne m’a pas demandé si je voulais.Il ne m’a pas ordonné non plus.Il m’a regardée.Et dans ce regard, il n’y avait pas de pardon, pas de promesse.Juste une tension brute, une vérité nue, le genre de silence qui vous traverse jusqu’à l’os.Il était là , nu. Vraiment nu.Pas dans son corps dans sa faille.Dans ce qu’il ne pouvait plus contenir.Dans ce qu’il n’avait jamais donné à personne.Et moi, j’ai tendu la main.Pas pour le consoler.Pas pour le réparer.Pour le réclamer.Pas ce qu’il m’offre.Ce qu’il est.Je soulève la couverture, lentement.J’ouvre un espace. Un souffle.Je ne dis rien.Mais il comprend.Il s’approche.Ses doigts ne tremblent pas.Mais son souffle… si.DAMIENJe la regarde.Allongée dans mes draps. Le regard calme. Le cœur à vif.Et je sais.Je sais que si je fais un pas de plus, il n’y aura plus de retour.Plus de barrières.Plus de boucliers.Juste nous.Nus de tout , bruts , blessés.Alors je m’avance.Je me penche.Et je l’embrasse.Pas doucement
DAMIENElle dort.Enfin.Pas un sommeil léger. Pas un refuge.C’est une chute. Un abandon. Un effondrement complet.Elle s’est laissée tomber sur mon lit comme on se laisse mourir un peu sans bruit, sans protestation.Et moi, je n’ai pas bougé.Je l’ai laissée prendre sa place.Pas dans notre lit. Dans le lieu où elle venait de se briser.Je suis resté là, debout, adossé au mur.À la regarder respirer.À la regarder exister.Comme si je ne savais plus comment faire partie du tableau sans l’abîmer davantage.Parce que ce qu’elle m’a donné ce matin… je ne peux pas l’ignorer.Elle a déposé devant moi une vérité sale, nue, sanglante.Elle a osé dire ce que des années de survie l’avaient obligée à taire.Alors ce soir, je n’ai plus le droit de me taire.Je m’assois.À distance d’abord.Comme si j’avais peur de contaminer le silence avec mes souvenirs.Et je parle.— Je ne t’ai jamais parlé de la première.Ma voix est basse. Brûlée.— Elle s’appelait Clara.Je prononce son nom comme on ouv