LOGINÉZRANLe cabinet du Dr. Arnaud est d’une blancheur immaculée, aseptisée, silencieuse. Un contraste brutal avec le tourbillon d’émotions qui m’habite. Je suis assis, les mains serrées sur les genoux, à attendre. Gracias est à la maison, sous la surveillance discrète de Liam. Je lui ai promis de la rappeler dès que je saurais.La porte s’ouvre. Le Dr. Arnaud, un homme d’un certain âge au regard perçant, entre avec une feuille de résultats à la main. Son expression est impénétrable.— Monsieur .Je me lève, incapable de prononcer un mot. Mon cœur bat à tout rompre, au point que j’ai l’impression qu’il va déchirer ma poitrine.— Asseyez-vous, je vous prie.J’obéis, les jambes molles.— Nous avons procédé à un spermogramme complet, ainsi qu’à une échographie doppler des voies génitales, comme vous le savez. Les résultats sont… surprenants.Il pose la feuille devant moi. Des chiffres, des graphiques. Un langage étranger qui détient pourtant la clé de mon âme.— Il y a cinq ans, le diagnosti
ÉZRANLes jours qui suivent sont un ballet délicat, réglé au millimètre par une anxiété transformée en dévotion. Je deviens l'architecte du bien-être de Gracias. Chaque geste est calculé pour la protéger, la choyer, éloigner d'elle le moindre souffle de négativité. Je l'aide à se lever, je prépare ses repas avec une attention maniaque, je l'enveloppe dans des lainages doux dès qu'une brise frôle la fenêtre.Ce matin, je la regardme fromager son toast, et une vague de terreur m'envahit. Est-ce assez nutritif ? Assez cuit ? Pas trop ? Je me surprends à compter les heures entre chaque petit repas que je lui sers, obsédé par l'idée qu'elle ou le bébé pourrait manquer de quelque chose.— Tu devrais te reposer, dis-je en lui prenant des mains l'assiette qu'elle vient de terminer.— Ézran, je viens juste de finir de petit-déjeuner, proteste-t-elle avec un sourire patient. Je ne vais pas retourner au lit.— Le médecin a dit d'éviter toute fatigue.— Manger n'est pas fatigant.Son ton est lége
ÉZRANLe trajet de retour depuis l'hôpital est un voyage entre deux mondes. Le monde d'avant, marqué par la perte et la lutte, et ce monde nouveau, incroyable, fragile, où l'impossible est devenu réalité. Je conduis avec une lenteur exagérée, chaque nerf de mon corps tendu pour protéger le précieux secret qui repose maintenant dans le ventre de Gracias. Mon regard ne quitte la route que pour se poser sur elle, encore pâle mais transfigurée par une lumière intérieure que je croyais à jamais éteinte.Elle regarde par la fenêtre, une main posée sur son abdomen, un sourire rêveur et incrédule aux lèvres. Je vois le reflet de ses larmes silencieuses dans la vitre. Des larmes de guérison.Quand j'ouvre la portière pour l'aider à descendre devant notre maison, c'est avec des gestes d'une délicatesse que je ne me savais pas capable. Comme si elle était en verre. Comme si notre avenir tout entier tenait dans ce moment.— Je ne suis pas une porcelaine, Ézran, murmure-t-elle avec un petit rire e
DEUX MOIS PLUS TARDGRACIASLe parfum de la cire d'abeille et des vieux livres flotte toujours dans notre maison, un parfum qui est devenu celui de la paix retrouvée. Les ombres de Lidia et d'Inès se sont estompées, reléguées au statut de cauchemars passés. Inès attend son procès en détention, et son nom n'est plus qu'un chuchotement amer dans notre quotidien. Nous avons appris à respirer à nouveau, à rire, à vivre dans le sanctuaire coloré qu'Ézran a créé pour nous.Mais depuis un mois, une ombre différente, plus subtile, plane sur moi. Une fatigue qui s'accroche, tenace, au creux de mes os. Des vertiges soudains qui me forcent à m'asseoir, le temps que le monde cesse de tourner. Des nausées qui montent, irrépressibles, au milieu de la journée. Je les mets sur le compte du stress post-traumatique, du deuil qui refuse de totalement lâcher prise. Je les cache. Soigneusement. La dernière chose que je veux est qu'Ézran s'inquiète à nouveau. Il a déjà porté tant de poids pour moi.Ce mati
GRACIASSon imploration résonne dans le silence. Je la regarde, et je vois enfin la vérité. Elle n’est pas venue pour moi. Elle est venue pour elle. Pour sauver les restes de son monde, même s’il est pourri jusqu’à la moelle.— Je ne peux pas, dis-je d’une voix calme, étrangement stable.— Bien sûr que si ! s’écrie-t-elle, un éclair de son ancienne autorité dans la voix. Tu es la victime ! Si tu retires ta plainte, l’affaire sera bien plus faible ! Je t’en supplie, au nom de tout ce que nous avons partagé, au nom de la famille…— JE NE PEUX PAS, répété-je, plus fort, coupant son délire. Je n’ai pas porté plainte.Le silence qui suit est lourd, interrompu seulement par son souffle haletant.— Quoi ? Mais… bien sûr que si. Pour l’agression…— La plainte pour meurtre, pour complicité, pour tout… ce n’est pas moi qui l’ai déposée. C’est Ézran. Au nom de notre enfant. Et c’est Marius qui a porté plainte pour les menaces et la machination. Les preuves sont entre les mains du procureur. Ce n
GRACIASLa maison est silencieuse, un sanctuaire trop calme après la tempête. Les murs aux couleurs chaudes, les livres alignés, les tapis profonds… tout semble attendre que la vie reprenne son cours. Mais la vie a été marquée du sceau de la trahison. Je marche de pièce en pièce, mes doigts effleurant les objets, cherchant un ancrage dans cette réalité nouvelle et brutale. La bague à mon doigt, si belle, si lourde de promesses, pèse aujourd’hui le poids d’une vérité terrible.Inès. Ma propre sœur. L'architecte de mon cauchemar. Celle qui a ordonné la violence qui m’a enlevé mon enfant.La colère que j’attendais, que je pensais mériter, ne vient pas. À sa place, une tristesse immense, un océan de chagrin pour la petite fille que nous avions été, pour les rires étouffés dans le jardin de notre enfance, pour les liens du sang brisés à jamais. Et au cœur de cet océan, un rocher de douleur pure, aiguë, intemporelle : mon enfant. Notre enfant. Une petite âme envolée avant même d’avoir eu un







