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Chapitre 5 — Le sang du silence

Auteur: Déesse
last update Dernière mise à jour: 2025-08-04 05:03:10

Gracias

Je ne dis rien.

Pas un mot , pas un soupir. Même pas une larme.

Il me raccompagne jusqu’à ma voiture noire, silencieuse, cuir tiède, moteur qui ronronne doucement. Les vitres sont teintées. Le monde reste dehors.

— Si tu as besoin de quoi que ce soit… appelle-moi.

Il me tend une carte. Papier mat, blanc cassé, sobre et presque solennel. Une initiale dorée. Un numéro de téléphone. Rien d’autre. Aucun nom. Juste une promesse suspendue.

Je la prends comme on attrape une corde au bord du vide.

Il ne m’embrasse pas. Il ne me touche pas. Il ne me retient pas.

Il me regarde longtemps , comme s’il me voyait vraiment, moi, dans ce que je ne montre à personne. Son regard me traverse , me laisse nue et bizarrement, ça ne me fait pas peur.

Je monte dans ma voiture. Je démarre. Mes mains tremblent à peine , je roule.

La ville est une suite de lumières floues, de néons tachés, de silhouettes qui rient trop fort. Je n’entends rien. Je flotte. Je vais, sans vraiment avancer.

Quand j’arrive devant la maison, le portail est entrouvert.

Toujours cette négligence. Ce laisser-aller qui dit plus que des mots. Je freine doucement, je coupe le moteur. Et je reste là. Quelques secondes. Quelques battements de cœur.

La lumière de notre chambre est allumée. Une lumière douce. Intime. Pensée. Préparée.

Je sors de la voiture. Pas de sac. Pas de téléphone. Rien dans les mains. Juste la carte dans ma poche, et le poids de mon ventre qui me rappelle que je suis encore en vie.

J’ouvre la porte.

L’odeur me frappe d’abord. Un mélange d’alcool sucré, de parfum féminin, de transpiration. Mais surtout… mon parfum. Celui que j’ai porté ce matin. Celui qu’elle connaît. Celui qu’elle a volé.

Je monte les escaliers. Lentement. Chaque marche est un coup. Une gifle. Une montée vers l’enfer.

Et j’ouvre la porte.

Sans bruit. Sans colère. Juste… j’ouvre.

Ils sont là.

Ma sœur. Mon mari. Nus. Enlacés. Collés. Elle sur lui. Lui en elle.

Elle rit. Un rire de gorge. Un rire de victoire.

— Tiens donc… la sainte Gracias.

Sa voix claque. Aucune gêne. Aucun remords. Juste cette provocation pure, cruelle, qu’elle cultive depuis toujours. Je vois ses seins bondir. Je vois mon collier entre eux. Je vois tout.

Lui ne bouge pas. Il soupire. Exaspéré. Comme si j’étais un contretemps.

— T’as oublié tes clés ? Tu veux quoi maintenant ?

Il ne se cache même pas. Il reste allongé, paresseux, le bras autour de sa taille à elle.

Je ne dis rien.

Mon regard se promène sur les draps défaits. Ce sont les miens. J’ai lavé ces draps hier. J’ai parfumé cette chambre. J’ai repassé ses chemises dans ce silence épais, ce silence qui me tue un peu chaque jour.

— Tu croyais quoi, Gracias ? Que t’allais le garder avec un bébé ? Que t’allais jouer la bonne épouse alors qu’il s’ennuyait à mourir ?

C’est elle. Encore. Elle parle trop. Toujours. Et là, elle jouit de chaque syllabe.

— Tu fais pitié. Vraiment. T’as pas changé depuis le lycée. Toujours sage. Toujours naïve. Toujours prête à te faire bouffer.

Je reste là.

Je les regarde.

Je ne pleure pas.

Je souris même. Un sourire tordu. Tranchant.

— Vous êtes parfaits l’un pour l’autre.

Lui grogne. Il s’assoit, enfin, et cherche vaguement un drap. Mais il ne dit rien. Il ne nie rien. Il ne me demande même pas de partir.

— Tu veux dormir ici ? demande-t-elle, faussement douce. Tu veux t’installer avec nous ? Il reste un peu de vin dans la cuisine.

Et elle éclate de rire. Un rire aigu, laid. Le genre de rire qui détruit plus sûrement qu’un cri.

Je referme la porte. Doucement. Un clic sec.

Je redescends.

Je ne cours pas. Je ne tremble pas. Je suis vide. Glacée. Figée dans quelque chose que je ne reconnais pas.

Je marche jusqu’à la chambre d’amis.

Je n’y suis pas entrée depuis des mois.

Je l’ouvre. L’odeur est neutre. Il n’y a rien ici. Pas d’histoire. Pas de souvenirs. Juste un lit, des rideaux tirés, une armoire vide.

Je m’assieds. Mécaniquement. Les mains sur les genoux. Comme une enfant punie. Je reste droite. Le dos tendu.

Puis je sors la carte. Celle de l’inconnu. Du seul qui m’a regardée sans mépris ce soir.

Je la pose doucement sur la table de chevet.

Comme une dernière note de musique avant le silence.

Je m’allonge. Je ne ferme pas les yeux. Je regarde le plafond, blanc, impersonnel. Il ne me juge pas. Il ne m’accuse pas. Il m’ignore. Et c’est encore ce qu’on m’a offert de plus doux aujourd’hui.

Dans mon ventre, ça bouge. Une présence. Une certitude.

Je suis en miettes.

Mais il y a ça. Ce petit batt

ement. Cette vie. Ce rappel.

Et tout autour, dans cette maison qui ne m’appartient plus…

le sang du silence.

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