Quelques semaines avaient passé depuis que l'alliance historique avait été signée entre Nemtaba et Alkazar. Dans toute la cité renaissante, l’atmosphère était désormais empreinte d'une sérénité nouvelle, mais fragile. Si le peuple avait rapidement adopté ce climat de paix tant espéré, Aïcha, elle, restait prudente. Au fond d'elle-même, elle savait que cette tranquillité pouvait à tout instant être brisée.Dans les jardins du palais, désormais restaurés à leur splendeur d'autrefois, Aïcha marchait lentement aux côtés de Malik, profitant d’un rare instant de calme. Le parfum doux des fleurs et le murmure paisible des fontaines créaient une illusion parfaite de sécurité. Pourtant, son esprit restait troublé par mille questions.— Tu sembles préoccupée, murmura doucement Malik, devinant ses pensées.Elle sourit légèrement, reconnaissante de sa sollicitude constante :— Cette paix est précieuse, mais je ne peux m'empêcher de penser qu'elle est trop belle pour durer.Il hocha la tête, parta
Le ciel au-dessus de Nemtaba avait perdu son éclat. Des nuages sombres s’amassaient lentement à l’horizon, annonçant l'arrivée imminente d'une nouvelle tempête. Dans le palais, l'agitation grandissait tandis que les conseillers, généraux et alliés se réunissaient en urgence, conscients de l’importance cruciale des jours à venir.Dans la grande salle du conseil, Aïcha observait silencieusement ceux qui avaient répondu à son appel : Malik à ses côtés, Tahar, toujours aussi fidèle, Djibril et les représentants des peuples de Casamance, ainsi que les chefs nomades venus du désert. Leur visage sérieux témoignait de la gravité du moment.— La Confrérie des Ombres est de retour, commença-t-elle fermement. Vous connaissez tous les légendes qui entourent leur puissance et leur ambition. Aujourd’hui, ils menacent non seulement Nemtaba, mais aussi chaque peuple libre de notre monde.Un silence pesant accueillit ses paroles. Tahar, le premier à prendre la parole, déclara avec fermeté :— Majesté,
Le soleil se leva timidement sur Nemtaba, comme s’il hésitait à éclairer cette journée décisive. La cité entière retenait son souffle, consciente que cette aube pourrait marquer le début d’une bataille dont les enjeux dépassaient tout ce qu’elle avait connu jusqu’ici. Sur les remparts, soldats et guerriers alliés observaient l’horizon avec une inquiétude grandissante.Aïcha se tenait en tête des troupes, son armure dorée scintillant légèrement sous les premiers rayons du soleil. Malik était à sa droite, son regard grave fixé sur l’horizon, tandis que Tahar, silencieux et déterminé, se tenait à sa gauche, prêt à guider ses hommes dans la mêlée. Derrière eux, une armée unifiée rassemblait des guerriers venus de Casamance, du désert, et même d’Alkazar, tous liés par un même désir : protéger leur liberté face aux ténèbres qui approchaient.Soudain, un frisson parcourut la foule lorsqu’une silhouette solitaire apparut au loin, avançant lentement vers les portes de Nemtaba. Cette figure mys
Les jours qui suivirent la bataille furent étrangement silencieux. Un calme inhabituel avait enveloppé Nemtaba, donnant à la cité un aspect paisible et presque irréel. Pourtant, derrière les murs de chaque maison, dans chaque cœur, les cicatrices étaient encore profondes. Les pertes avaient été lourdes, mais la victoire définitive sur la Confrérie avait ramené l’espoir dans toutes les âmes.Aïcha, cependant, ressentait profondément le prix de cette victoire. Depuis qu’elle avait détruit le masque d’ivoire, elle sentait un vide constant en elle, une absence étrange qui lui rappelait sans cesse ce qu’elle avait sacrifié. Le masque avait toujours fait partie de son identité, de son héritage, et sans lui, elle avait du mal à se reconnaître.Un matin, tandis qu’elle contemplait le lever du soleil depuis le balcon du palais, Malik vint la rejoindre, silencieux mais attentif. Il percevait clairement le trouble qui habitait son esprit, mais il avait appris à respecter ses silences, sachant qu
Les jours qui suivirent la victoire furent consacrés à reconstruire ce que la guerre avait dévasté. À travers chaque rue, chaque maison, chaque coin de Nemtaba, les habitants travaillaient ensemble, animés par une énergie nouvelle et un élan collectif d’espoir. Chacun mettait la main à la tâche, souriant malgré les efforts et les douleurs encore fraîches, comme si reconstruire leur ville revenait à reconstruire leur propre cœur.Aïcha participait activement à ces efforts, refusant d’être simplement une souveraine distante donnant des ordres depuis le confort de son palais. Elle préférait marcher au milieu des siens, partager leur fatigue, leurs sourires, leurs histoires, et même parfois leurs larmes. Cette proximité la faisait se sentir vivante, utile, et surtout profondément connectée à son peuple.Un matin ensoleillé, elle se trouvait dans un quartier durement touché par les affrontements, aidant à remettre debout les murs d’une maison familiale détruite pendant l’assaut d’Alkazar.
Avec l’alliance désormais scellée, Nemtaba commença à goûter pleinement à la paix retrouvée. La vie reprenait lentement son rythme habituel, et les habitants, soulagés de ne plus vivre sous la menace constante d’une guerre, commençaient enfin à sourire sincèrement, à rêver de nouveau, et à envisager l'avenir avec sérénité.Pourtant, au cœur du palais, malgré la joie extérieure, de nouvelles tensions discrètes commençaient à naître. Aïcha sentait profondément cette agitation silencieuse. Quelque chose se préparait dans l’ombre, quelque chose qu’elle ne comprenait pas encore, mais qui troublait profondément son esprit.Un après-midi tranquille, alors qu’elle parcourait les couloirs du palais, elle surprit involontairement une conversation chuchotée entre deux conseillers, dissimulés dans une alcôve éloignée des regards indiscrets. Leur ton bas et inquiet alerta immédiatement son attention.— Tu crois vraiment qu’elle sera capable de maintenir cette alliance ? murmurait l’un d’eux, visib
La nuit qui suivit la tentative d’assassinat d’Arkanis fut longue, éprouvante, et chargée d’une tension oppressante qui imprégnait chaque recoin du palais. Aïcha, profondément bouleversée, ressentait douloureusement la trahison qui s’était glissée dans l’endroit même où elle pensait pouvoir être en sécurité. Elle avait passé la nuit à veiller personnellement sur Arkanis, dont l’état, bien que stable, demeurait préoccupant.Le lendemain matin, alors que le soleil venait à peine d’illuminer les murs encore sombres du palais, Malik vint la retrouver, inquiet mais déterminé :— Nous n’avons toujours aucune trace de l’agresseur, murmura-t-il doucement. Quelqu’un le protège sûrement de l’intérieur. Cette menace est proche, Aïcha. Très proche.Elle hocha lentement la tête, le visage marqué par la fatigue et la déception profonde :— Je sais, Malik. Mais comment est-ce possible ? Qui dans notre entourage pourrait vouloir détruire tout ce que nous avons construit ensemble ?Il soupira légèreme
Le jour du procès du conseiller Idriss arriva rapidement. Dès l'aube, une atmosphère tendue avait envahi la cité entière. Les habitants de Nemtaba, encore fragiles après les récents événements, ressentaient vivement l’impact de cette trahison interne. Le palais, d’ordinaire chaleureux et accueillant, était devenu froid, silencieux, et étrangement hostile, comme si les murs eux-mêmes ressentaient le poids du drame qui s’y déroulait.La grande salle du trône avait été aménagée spécialement pour ce jugement crucial. Tous les dignitaires de Nemtaba ainsi que les représentants d’Alkazar et des autres royaumes alliés avaient été conviés pour assister au procès. La présence du roi Arkanis, toujours blessé mais déterminé à soutenir Aïcha publiquement, renforçait l’importance symbolique de l’événement.Assise sur son trône, Aïcha arborait une expression calme mais sévère. À ses côtés, Malik et Tahar observaient en silence, profondément conscients des enjeux de cette journée. Lorsqu’Idriss fut
Ils avaient quitté la forêt au petit matin.Le soleil filtrait à travers un ciel de nuages éclatés, comme des morceaux de rêves qui tardaient à s'effacer.Le sol sous leurs pieds était doux.Souple.Recouvert d’une herbe fine et dorée qui semblait chuchoter à chaque pas.Ils marchaient sans urgence.Comme si le temps, désormais, n'était plus une menace.Seulement une respiration.Un battement de cœur.Un rythme doux dans lequel ils s’accordaient sans y penser.Très vite, ils ressentirent une présence.Pas lourde.Pas imposante.Une présence ancienne.Stable.Comme un rocher silencieux dans le courant d'une rivière.Ils avancèrent, attentifs.Et ils le virent.Assis au centre d'une clairière minuscule.Un vieil homme.Tout simplement là.Comme s'il avait toujours été là.Comme s'il avait attendu leur venue depuis toujours.Il était petit.Courbé.Sa peau était sillonnée de rides profondes, comme les strates d’un tronc séculaire.Ses yeux brillaient d’une lumière douce, ni moqueuse, ni
Le chemin de verre s’effaça doucement derrière eux, comme un rêve rendu à la mer.Devant eux, la terre devint plus sombre.Plus riche.Chaque pas soulevait une odeur d’humus, de racines profondes, de souvenirs anciens.Le vent avait changé de voix.Il ne portait plus seulement des chants.Il murmurait.Bas.Continu.Comme un chœur discret, né du sol même.Ils avancèrent, le cœur lent, les yeux grands ouverts.Ils savaient.Ils sentaient.Ils étaient entrés dans la Forêt des Mémoires.Les arbres étaient immenses.Leurs troncs larges comme des murailles.Leurs branches tissées en voûtes naturelles.Chaque feuille semblait porter une lumière intérieure.Un éclat discret.Pas éclatant.Pas aveuglant.Chaleureux.Ils marchaient, fascinés.Les troncs, les branches, les racines semblaient vibrer doucement sous leurs pas.Et sur chaque tronc… des traces.Des empreintes.Des signes.Parfois une main gravée.Parfois un mot.Parfois juste une forme imprécise.Des marques d’âmes passées.Ils comp
La plaine disparut derrière eux dans un dernier frémissement de vent tiède.Leurs pas, désormais, ne cherchaient plus à fuir.Ils avançaient par désir d'être.Par curiosité douce.Par appel intérieur.Le chemin devant eux n’était plus une fuite en avant, ni une quête désespérée.Il était rencontre.Rencontre avec eux-mêmes.Avec ce qu’ils étaient devenus.Et avec ce qu’ils allaient encore devenir.Très vite, ils sentirent le changement.L'air, d'abord, devint plus dense.Plus frais.Le sol sous leurs pieds semblait vibrer légèrement.Et devant eux…Une lueur.Étrange.Irréelle.Un miroitement qui semblait respirer.Ils accélérèrent.Le cœur battant.Et la virent.La mer.Mais pas une mer d’eau.Une mer de verre.Immobile.Cristalline.Étendue à perte de vue.Chaque vague figée en plein mouvement.Chaque crête scintillante sous la lumière douce du ciel.Ils s’approchèrent du rivage.Et s'aperçurent que le verre n'était pas opaque.Qu'en se penchant au-dessus, on pouvait voir à travers.
Le matin fut long à venir.Quand ils ouvrirent les yeux, la grotte étoilée s'était évanouie comme un rêve heureux.Le monde qui les attendait dehors semblait plus vaste.Plus nu.Le vent glissait doucement sur la plaine, soulevant des volutes de poussière pâle.Un vent léger.Presque timide.Ils marchèrent.Droit devant eux.Pas parce qu’ils savaient où ils allaient.Mais parce qu'ils avaient appris à faire confiance à l’appel muet des chemins.Au bout de plusieurs heures, ils sentirent le changement.Pas une frontière.Pas un panneau.Un frisson subtil dans l’air.Une densité nouvelle.Comme si l’espace lui-même leur chuchotait :"Ici, quelque chose vous attend."Devant eux, la plaine s’étendait à perte de vue.Vide.Ou presque.Quand ils plissèrent les yeux, ils virent des formes.Des reflets.Des lignes floues.Et peu à peu, ils comprirent :Des portes.Pas des portes dressées.Pas des portes sculptées.Des portes invisibles.Posées dans l’air.Suspendues.Comme des promesses silen
La nuit tomba plus tôt ce jour-là.Non pas brusquement.Mais comme une caresse.Un drap tiré doucement sur leurs épaules.Ils marchaient depuis des heures déjà, leurs nouveaux trésors serrés dans leurs mains ou nichés contre leur cœur.Et au loin, dans la pénombre, une lumière.Faible.Clignotante.Pas un feu.Pas un village.Quelque chose d’autre.Quelque chose de vivant.Ils échangèrent un regard.Puis accélérèrent le pas.À mesure qu'ils approchaient, la lumière se clarifiait.Elle venait d’une ouverture dans la roche.Une grotte.Large.Béante.Mais douce.Presque accueillante.Comme une bouche ouverte prête à chanter.Devant l’entrée, une stèle de pierre.Simple.Sur laquelle était gravé :> "Chaque souffle que tu offres éclaire une nuit que tu ne vois pas."Ils restèrent un moment devant l’inscription.À la laisser entrer dans leur peau.Dans leur souffle.Puis, sans un mot, ils entrèrent.La grotte était vaste.Froide au premier abord.Mais étrangement réconfortante.Le sol éta
La clairière du tisserand s’évanouit derrière eux comme un rêve dont on garde la chaleur mais dont les détails s’effacent.Leurs pas, légers malgré la fatigue, semblaient désormais habités d’un nouveau rythme.Un rythme intérieur.Non pas dicté par la destination, mais par la justesse du moment.Ils marchaient longtemps.Peut-être des heures.Peut-être des jours.Le temps avait perdu son ancienne forme.Ils étaient devenus autres.Et le monde autour d’eux semblait s’ouvrir en réponse.À l’orée d’une grande plaine, le vent leur apporta quelque chose d’inattendu.Des voix.Des rires.Des appels.Mais pas bruyants.Pas commerciaux.Des voix pleines de douceur, de souvenirs murmurés.— Il y a un marché, souffla Komi, plissant les yeux.— Mais il n’est pas comme les autres, répondit Salimata.Ils avancèrent.Et découvrirent.Une multitude d’étals.Pas de tentes criardes.Pas de cris de vendeurs.Chaque étal était une île de lumière.Et sur chaque table…Pas des objets neufs.Pas des trésor
Ils quittèrent la tour à l’aube.Derrière eux, le paysage semblait avoir changé de lumière.Comme si le monde lui-même avait entendu leurs aveux.Ils marchaient sans parler.Mais leur silence n’avait rien de vide.Il était plein de ce qu’ils étaient devenus.Leurs pas étaient plus ancrés.Leur souffle plus libre.Et dans leurs regards, une reconnaissance nouvelle.Non pas de l’autre.De soi.Ils ne cherchaient plus à arriver quelque part.Ils se laissaient guider.Par ce qu’ils ressentaient.Et par ce que le monde leur murmurait.Le sentier les mena à une clairière.Large.Ouverte.Mais couverte d’une brume douce.Presque vaporeuse.Au centre, une grande toile suspendue entre quatre arbres.Et autour… des vêtements.Suspendus dans l’air.Mais sans corde.Sans cintre.Flottants.Invisibles.Parfois, un pli se dessinait.Une manche.Un col.Une étoffe qui ondulait comme une pensée.Et tout près, un homme.Assis.Silencieux.Il tissait.Pas avec une machine.Avec ses mains.Et son souffl
Ils marchaient depuis deux jours sans croiser âme qui vive.Le paysage avait changé.Les arbres étaient devenus plus rares, plus noueux.Le ciel semblait plus proche.Et l’air, plus dense.Pas étouffant.Chargé.Comme si les pierres, les herbes, la terre elle-même retenaient leur souffle.À chaque pas, le silence s’intensifiait.Non pas vide, mais attentif.Ils sentaient qu’ils s’approchaient de quelque chose.Quelque chose de haut.Et soudain… elle fut là.Une tour.Plantée au centre d’une plaine nue.Ni forêt autour.Ni collines.Juste elle.Étrange.Brute.Presque organique.Elle semblait née de la terre, plutôt que bâtie.Pas de porte visible.Pas d’escaliers.Aucune ouverture.Juste cette masse haute, droite, impossible à ignorer.Et pourtant… étrangement invitante.Ils s’approchèrent.Chaque pas vers elle semblait plus lourd.Comme si la tour pesait sur l’air lui-même.Ou sur leurs épaules.Sur leurs pensées.Et en arrivant à sa base, ils virent une inscription gravée dans la pi
Le matin se leva sans hâte, étirant ses couleurs comme on déploie une couverture sur un corps endormi.Les enfants, encore enveloppés dans les souvenirs vibrants de la montagne d’échos, marchaient d’un pas calme, presque méditatif.Leur silence n’était plus pesant.Il était plein.Plein de ce qu’ils avaient déposé là-haut.Plein de ce qu’ils ne savaient pas encore nommer.Et dans l’air, une douceur.Un parfum de terre, de mousse, de promesse.Ils ne savaient pas où ils allaient, mais ils savaient que quelqu’un les attendait.Et ils avaient appris, désormais, à faire confiance au chant du monde.Au milieu de la journée, ils atteignirent une vallée.Fermée.Paisible.Presque retenue.Comme un lieu qui ne veut pas trop s’offrir.Le sentier descendait doucement, bordé de fleurs pâles, de pierres rondes.Et au fond, une maison.Ou plutôt, une forme.Faite de bois, de tissus, de silence.Elle ne ressemblait à aucune autre.Elle semblait tissée d’absence.Et pourtant, tout en elle disait : e