Chapitre 2

Point de vue de Mia

Kyle est sorti de la salle de bain. J'ai détourné précipitamment le regard de son téléphone, le cœur battant à tout rompre. Il a saisi son portable sans m'adresser un mot, puis a quitté la chambre. La porte s'est refermée derrière lui dans un léger clic.

J'ai ramené mes genoux contre ma poitrine et les ai entourés de mes bras. Même à travers la porte close, j'entendais encore le murmure de sa voix. Il parlait toujours à elle avec cette douceu. Une douceur qu'il ne m'avait jamais réservée.

J'ai enfoui mon visage contre mes genoux, essayant de retenir mes larmes. Ma main s'est posée instinctivement sur mon ventre. Que dirait Taylor si elle apprenait que j'étais enceinte de Kyle ? Ma demi-sœur m'avait déjà arraché trop de choses : mon père, ma maison, mon droit d'héritage… Et maintenant, elle voulait reprendre Kyle.

Les souvenirs sont remontés à la surface, me donnant la nausée. J'avais quinze ans lorsque ma mère était tombée dans le coma. Je pensais que mon père serait là pour elle. Mais je m'étais trompée.

Une semaine plus tard, il était rentré avec sa nouvelle femme et sa fille, Taylor. C'est à partir de là que mon monde s'est écroulé. C'est aussi à ce moment-là que j'ai découvert l'horrible vérité : il entretenait une liaison avec elles depuis des années. Il n'avait épousé ma mère que pour son argent. Celle qu'il avait toujours aimée, c'était la mère de Taylor.

Je me suis levée du lit, prise d'un besoin de bouger. La chambre me paraissait soudain étroite et suffocante. Je suis allée jusqu'à la fenêtre, posant mon front contre la vitre froide. Dehors, les lumières de la ville scintillaient comme si de rien n'était.

Lorsque Kyle est repassé près de la porte, sa voix s'est faite plus distincte : « Jeudi, c'est parfait. Je réserverai dans ton restaurant préféré. »

Mes doigts se sont crispés contre le verre. Jeudi. Il planifiait un rendez-vous avec elle, pendant que moi, je portais ses enfants. Des enfants dont il ne voulait pas. Des enfants qui allaient à l'encontre de notre contrat.

Je me suis souvenue du jour où Taylor était arrivée chez nous pour la première fois. Elle avait treize ans, deux de moins que moi, mais s'était comportée comme si cette maison lui appartenait. Peut-être que c'était déjà le cas. En quelques jours, mon père avait relégué toutes les affaires de ma mère au grenier. Quelques semaines plus tard, il avait redécoré toute la maison selon les goûts de la mère de Taylor. Comme si ma mère n'avait jamais existé.

« Tu es comme ta mère », me lançait Taylor à l'école avec mépris. « Toujours dans les pattes. Toujours à essayer de t'accrocher à ce qui n'est pas à toi. »

La porte de la salle de bain s'est ouverte et Kyle est entré. J'ai essuyé mes larmes à la hâte, mais je ne pouvais rien faire contre ma pâleur. Le reflet dans la fenêtre me renvoyait l'image d'une femme fantomatique.

« Tu n'as pas l'air bien », a-t-il dit d'un ton froid, détaché - si différent de celui qu'il employait avec Taylor. « Va voir un médecin demain. »

Je me suis retournée pour lui faire face, les bras croisés contre moi. « Tu parlerais comme ça à Taylor ? » Les mots m'avaient échappé avant même que je ne les aie pensées.

Le visage de Kyle s'est durci. « Ne prononce pas son nom. Et ne te compare jamais à elle. »

Ses mots ont frappé fort. Bien sûr. Comment pouvais-je l'oublier ? Je n'étais qu'un plan de secours. L'épouse pratique qui restait dans l'ombre pendant qu'il poursuivait son véritable amour.

« Tu as raison », ai-je murmuré, la voix tremblante. « Je ne suis pas à la hauteur. Je suis seulement la femme que tu as épousée parce que le conseil d'administration voulait que tu renvoies une image stable. Je ne suis que la secrétaire qui fait semblant d'être ta femme. »

La mâchoire de Kyle s'est contractée. « On avait un accord, Mia. Tu savais très bien dans quoi tu t'engageais. N'essaie pas de changer les règles. »

J'ai ri, un son qui ressemblait plus à un sanglot. « Un contrat. Voilà donc ce que représente notre mariage, n'est-ce pas ? Juste une autre transaction commerciale. »

« Oui », a-t-il répondu froidement. « C'est exactement ça. Alors respecte-le. »

Avant même de m'en rendre compte, ma main était revenue se poser sur mon ventre. Mais Kyle s'était déjà détourné et se dirigeait vers la porte. « J'ai une réunion tôt demain matin. Ne m'attends pas. »

La porte s'est refermée derrière lui avec un dernier clic. Je me suis effondrée sur le lit, incapable de rester debout une seconde de plus. Les larmes que je me suis acharnée à retenir avaient finalement coulé, incontrôlables.

Comment avais-je pu en arriver là ? Quand étais-je devenue cette femme pitoyable, acceptant les miettes d'attention d'un homme amoureux d'une autre ? Et cette autre, ce n'était autre que celle qui avait fait de mon adolescence un enfer.

Je me souvenais de la première fois où j'avais vu Kyle. C'était à une soirée de lycée - une soirée où je n'aurais jamais dû mettre les pieds. Taylor m'avait clairement fait comprendre que je n'étais pas la bienvenue, mais j'y étais allée quand même. Kyle était là, entouré de ses amis, vêtu de son uniforme de footballeur, grand, séduisant. Il n'avait d'yeux que pour Taylor.

Tout le monde savait qu'ils formaient le couple parfait. Kyle Branson, le quarterback vedette issu d'une famille riche. Taylor Matthews, la belle pom-pom girl à la vie sans défaut. Et moi ? Je n'étais que la demi-sœur maladroite, celle qui ne rentrait pas dans le moule.

Mais je l'avais aimé. Silencieusement, sans espoir, je m'étais éprise de Kyle. Même après le lycée, quand j'avais décroché un poste de secrétaire chez K.T. Entreprises, sa société, mes sentiments n'avaient pas changé. Si quelque chose avait évolué, c'était bien l'intensité de cet amour.

Puis, il y avait eu le scandale. La réputation de Kyle s'était trouvée menacée, et le conseil d'administration avait exigé qu'il redore son image. Il lui fallait une épouse - discrète, sans histoires. Quelqu'un prêt à signer un contrat et à rester dans l'ombre.

J'étais la candidate idéale. La secrétaire silencieuse qui savait déjà se faire oublier. La fille prête à tout accepter, tant qu'elle pouvait rester près de lui.

Et aujourd'hui, trois ans plus tard, j'étais enceinte de ses jumeaux… pendant qu'il projetait de sortir avec ma demi-sœur.

Je me suis levée pour attraper mon sac à main et en avais sorti l'échographie. Dans l'obscurité de la pièce, j'arrivais à peine à distinguer les deux petits points qui allaient tout changer. Mes bébés. Nos bébés. Même si Kyle ne m'aimait jamais, même si cette grossesse violait les termes de notre accord, je ne les abandonnerais jamais.

Mon téléphone a vibré, une notification apparue. Un message de Linda, l'assistante de Kyle - la seule personne au courant de notre mariage.

« Tu vas bien ? Tu n'avais pas l'air dans ton assiette aujourd'hui. »

J'ai fixé le message, les larmes embrouillant à nouveau ma vision. Non, je n'allais pas bien. Pas du tout.

Mais je devais rester forte. Pour mes bébés, je devais trouver la force de tenir.

J'ai répondu simplement : « Ça va », puis j'ai éteint le téléphone. Demain, je devrais retourner au travail. M'asseoir à mon bureau, faire semblant que tout allait bien. Regarder Kyle et Taylor ensemble, tout en sachant que je portais ses enfants.

Allongée dans le lit, une main posée sur mon ventre en geste protecteur, j'ai pris une décision. Je ne dirais rien à Kyle au sujet de ma grossesse. Pas pour l'instant. Pas tant que je n'aurais pas trouvé quoi faire. Ces enfants étaient à moi. Dans ce mariage factice, ils étaient la seule chose authentique. Je les protégerais, coûte que coûte.

J'avais sursauté en entendant le moteur de la voiture de Kyle démarrer dans l'allée. Il s'en allait - sans doute vers son penthouse du centre-ville. Celui où il allait lorsqu'il ne voulait plus faire semblant avec son épouse contractuelle.

Je me suis recroquevillée un peu plus sous la couette, cherchant un semblant de chaleur dans ce lit vide. Demain serait un autre jour dans la peau d'une épouse invisible. Mais ce soir, dans l'obscurité de notre chambre, je me suis autorisée à pleurer pour tout ce que je risquais de perdre, quand la vérité finirait par éclater.