Chapitre 2 : Le sang sur la soie
LE POINT DE VUE D'AMAYA
Je m’agenouille brusquement à côté de lui.
— Hé… ! Reste avec moi, je t’en prie ! murmuré-je, prise de panique.
Son visage est pâle. Trop pâle. Il transpire, son torse se soulève à peine. Ses paupières mi-closes tremblent et son front est brûlant. Mon cœur se serre. Il est en train de… de glisser. De partir.
Je regarde autour de moi. Il n’y a rien ici, pas même une trousse de secours. Et moi ? Moi je suis là, en robe de mariée, impuissante face à cet inconnu en train de mourir.
Sans réfléchir, j’arrache le foulard en tulle qui entoure mes épaules, l’un des détails délicats de ma robe, et je le presse contre la plaie, juste en dessous de sa côte droite. Le tissu s’imprègne de sang presque aussitôt.
— Respire. Reste là… Reste là, d’accord ? Tu ne me laisses pas comme ça, tu m’entends ?!
Il gémit. Faiblement. Et j’essaie de comprimer plus fort, les mains tremblantes, la gorge nouée. Le sang. Il y en a trop. Mes doigts sont rouges, ma robe est foutue… mais je m’en fous.
Je tends le bras vers mon téléphone posé sur la chaise. Je vais appeler les secours, appeler quelqu’un, n’importe qui !
Mais une voix glaciale dans ma tête me rattrape.
Et s’ils étaient encore là ? Les hommes. Ceux qui le cherchaient. Et s’ils t’entendaient crier ?
Mon souffle se bloque.
Je me redresse et j’ouvre la bouche… mais je ne crie pas.
Je plaque mes mains sur ma bouche, les larmes aux yeux. Je suis piégée. Je veux de l’aide, mais je ne peux pas en demander. Pas sans nous exposer tous les deux.
Soudain, un bruit de pas précipités résonne à l’entrée de la boutique. Je me redresse, le cœur battant à tout rompre.
— Patron ! Patron !!
Trois hommes en costume sombre surgissent, essoufflés, les regards affolés. L’un d’eux s’agenouille près de l’inconnu. Les deux autres inspectent la vitrine, les alentours. Je recule d’un pas, déboussolée.
— Il est blessé, vite ! Balance la trousse, il perd trop de sang ! ordonne l’un d’eux.
— Attendez… vous… vous le connaissez ? je balbutie, les mains toujours tachées de rouge.
— Bien sûr qu’on le connaît, mademoiselle. C’est notre patron.
Patron ? Mon regard passe de l’homme inanimé aux visages sérieux de ces hommes sûrs d’eux.
— On vous remercie pour ce que vous avez fait, ajoute l’un d’eux sans même lever les yeux. Vous lui avez sûrement sauvé la vie.
Je reste figée. Mon cœur cogne plus fort encore.
Ils le soulèvent avec précaution, glissent un bras sous ses jambes, un autre sous sa nuque, et le transportent hors de la boutique.
Je ne bouge pas. J’ai l’impression que le monde vient de basculer. Moi qui croyais aider un inconnu au hasard du destin… je découvre qu’il est quelqu’un. Quelqu’un d’important. De puissant. De dangereux, peut-être.
Je baisse les yeux vers mes mains. Pleines de sang. Puis vers ma robe. Souillée.
Et je sens, malgré tout, une chaleur étrange me traverser la poitrine.
Parce que ce qu’aucune cérémonie, aucun baiser timide n’avait encore éveillé en moi… ce regard, ce corps blessé, ce souffle entre mes doigts… l’a allumé en une seconde.
Je ne sais même pas son nom.
LE POINT DE VUE DE KAEL
Je reprends conscience lentement.
Un bruit aigu me perce les tympans, puis le bourdonnement s’atténue. Le plafond est blanc. Trop blanc. L’odeur de désinfectant me monte au nez. Putain. L’hôpital. J’ai horreur de ces endroits. Mais je suis vivant… donc quelqu’un m’a sorti de là. Je tente de bouger, une douleur vive me transperce le flanc.
Ma main glisse doucement sur mon ventre, là où la balle a frappé.
Des flashs me reviennent.
Des cris. Des tirs. La trahison.
— Ces fils de chiens…
Ils ont osé me doubler. Dans MON deal. Sur MON territoire. J’étais censé récupérer une cargaison d’armes discrètement, sans effusion. J’avais organisé la transaction dans un entrepôt au bord du fleuve, avec des hommes de confiance. Enfin, je le croyais.
J’avais à peine fait deux pas hors de la voiture qu’ils ont ouvert le feu.
Un des miens est tombé immédiatement.
Moi, j’ai eu le temps de répliquer. Deux de leurs gars sont morts. Le reste s’est dispersé, mais pas avant qu’un enfoiré bien planqué ne me loge une balle juste sous la côte. J’ai couru. Blessé. Seul. Comme un chien traqué.
Et c’est là que je l’ai vue.
Elle. La fille en blanc.
Son image m’éclate en pleine tête comme un souvenir fiévreux.
Debout dans une boutique de robes, comme une apparition. Une mariée. Trop belle pour être réelle. La lumière tombait sur elle comme sur une œuvre d’art. Son regard s’est planté dans le mien, choqué. Et pendant une seconde… je me suis demandé si j’étais mort.
Ses lèvres. Putain, ses lèvres.
Plein, douces, pulpeuses… J’ai dû les prendre. J’avais besoin d’un abri, d’un leurre… mais c’était plus que ça. C’était vital. C’était animal.
J’ai plaqué mes lèvres sur les siennes comme un homme qui se noie, et elle… elle s’est débattue, bien sûr. Mais ensuite, elle a compris. Elle a joué le jeu. Et dans cette mascarade, j’ai ressenti quelque chose de bien plus réel que tous les baisers que j’ai connus jusqu’ici.
Elle sentait la soie, la peur… et un goût d’innocence.
Une innocence que je n’aurais jamais dû toucher.
Je m’humecte les lèvres, malgré moi. Son parfum est encore là, dans un recoin de ma mémoire. Une fragrance douce et féminine, qui contraste si violemment avec la poudre, le sang, et la trahison de cette nuit.
— Patron ? Vous êtes réveillé ?
Je tourne lentement la tête. C’est Lior, l’un de mes hommes de confiance. Toujours sobre, toujours droit.
— Qui m’a amené ici ? je demande, la voix encore rauque.
— Vos hommes vous ont retrouvé juste à temps. Dans une boutique. Une femme vous avait protégé. Comprimé la plaie. On a failli vous perdre… Elle vous a sauvé, patron.
Je ferme les yeux.
Oui. Elle m’a sauvé. Avec ses mains tremblantes. Avec son corps immobile contre le mien. Avec sa robe de mariée, désormais tâchée de mon sang.
Je rouvre les yeux, mon regard s’assombrit.
— Je veux savoir qui elle est. Où elle vit. Son nom. Tout.
Lior fronce les sourcils.
— Bien, patron. Vous pensez qu’elle est un danger ?
— Non. Je pense qu’elle est un miracle.
Et les miracles, dans mon monde, sont rares. Et précieux. Je vais la retrouver.
Chapitre 5 : Sous son emprise. LE POINT DE VUE DE d'AmayaKael s’est approché de moi avec une lenteur calculée. Ses yeux noirs ne me quittaient pas, et je sentais dans son regard une chose dure, sauvage, presque animale. Puis, sans prévenir, il m’a attrapée par le bras. Fermement. Comme s’il pensait que j’allais m’enfuir d’un instant à l’autre.J’ai immédiatement essayé de retirer mon bras, mais sa poigne était comme du fer.— Lâche-moi ! ai-je craché, furieuse. Putain, lâche-moi !Il n’a pas bronché. Pire, il a approché son visage du mien, jusqu’à ce que nos souffles se mélangent. Mon cœur battait trop vite, ma poitrine se soulevait de colère… ou d’un autre truc que je refusais d’admettre.Je l’ai fixé avec tout le mépris que j’avais en stock.— Relâche-la ! a grondé mon grand-père en se levant d’un bond, sa canne à la main.Mais Kael… il n’en avait strictement rien à foutre.— Tu as peur de moi, Amaya ? a-t-il soufflé contre mes lèvres.Je suis restée muette un instant. Pas parce q
Chapitre 4 : La visite LE POINT DE VUE D'AmayaJe suis toujours à table avec mon grand-père, un doux moment suspendu entre les vapeurs parfumées du riz et nos rires partagés. On parle encore du mariage, de la robe, des invités... Je sens dans ses yeux une fierté qui me serre le cœur. C’est rare de le voir aussi joyeux, et ça me touche plus que je ne saurais l’expliquer.Mais soudain… un vrombissement brutal vient casser la magie.Je fronce les sourcils. Le bruit est sourd, agressif, mécanique. On entend des pneus crisser à l’extérieur, puis des portières claquer, une à une, comme une série de battements de guerre. Je me lève d’un bond, le cœur battant plus vite que je ne veux l’admettre. Mon grand-père se fige, puis tourne lentement la tête vers moi. À travers les rideaux entrouverts, j’apercevais l’éclat des phares et les silhouettes menaçantes de grosses voitures noires. Des SUV blindés, vitres teintées. Le genre de voitures qu’on voit dans les films… quand les ennuis arrivent— T
Chapitre 3 : L’ombre dans mes penséesJe m’efforce de sourire.Assise en face de mon grand-père, je coupe distraitement une bouchée de poisson, mais je ne la porte pas à ma bouche. Il parle, enthousiaste, les yeux brillants d’émotion. Il évoque les guirlandes, les fleurs blanches, les musiciens qu’il a réservés depuis des mois. Tout est prêt, dit-il. La salle, le traiteur, même la chorale de l’église.Je hoche la tête. J’acquiesce. Je souris encore.Mais à l’intérieur, tout est… flou.— Tu es certaine que tu veux garder la décoration ivoire et or, ma fille ? Parce que Léonardo, lui, avait suggéré du rouge bordeaux, je crois.Je hausse les épaules doucement, sans trop réfléchir.— Ivoire et or, c’est très bien, Papy. C’est… sobre. Élégant.Il me regarde avec tendresse. Il ne dit rien tout de suite, mais je sais ce qu’il pense. Il sent que je suis ailleurs.Et il a raison.Je suis là, physiquement. Assise à cette table que je connais par cœur. Entourée de murs rassurants, des odeurs fam
Chapitre 2 : Le sang sur la soieLE POINT DE VUE D'AMAYA Je m’agenouille brusquement à côté de lui.— Hé… ! Reste avec moi, je t’en prie ! murmuré-je, prise de panique.Son visage est pâle. Trop pâle. Il transpire, son torse se soulève à peine. Ses paupières mi-closes tremblent et son front est brûlant. Mon cœur se serre. Il est en train de… de glisser. De partir.Je regarde autour de moi. Il n’y a rien ici, pas même une trousse de secours. Et moi ? Moi je suis là, en robe de mariée, impuissante face à cet inconnu en train de mourir.Sans réfléchir, j’arrache le foulard en tulle qui entoure mes épaules, l’un des détails délicats de ma robe, et je le presse contre la plaie, juste en dessous de sa côte droite. Le tissu s’imprègne de sang presque aussitôt.— Respire. Reste là… Reste là, d’accord ? Tu ne me laisses pas comme ça, tu m’entends ?!Il gémit. Faiblement. Et j’essaie de comprimer plus fort, les mains tremblantes, la gorge nouée. Le sang. Il y en a trop. Mes doigts sont rouges,
Chapitre 1 : La robe avant la tempêteJe tourne lentement sur moi-même, les pans de la robe caressant le sol comme une vague de soie. Le tissu blanc épouse mes courbes avec une élégance presque irréelle. Je n’en reviens pas. C’est bien moi, là, dans ce miroir. Amaya. Vingt ans. Future épouse.Je souris. Pas parce que je suis follement amoureuse, non. Pas encore. Léonardo, je le connais à peine. Un fils de bonne famille, poli, toujours bien mis, avec ce genre de regard discret qui ne dépasse jamais la ligne de l’indécence. On s’est vus quelques fois, surtout lorsqu’il venait rendre visite à mon grand-père. Des échanges de regards timides, des politesses de convenance… et maintenant, nous allons nous marier.Ce mariage a été décidé entre les familles. Un accord. Une alliance. J’aurais dû m’en offusquer, peut-être. Me rebeller. Mais non. Au fond, je me sens paisible. Curieuse. Léonardo est gentil. Sécurisant. Et ce monde, celui des épouses respectables et des dîners mondains, m’attend av