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Chapitre 4 : L'Illusion

Author: Déesse
last update Last Updated: 2025-11-16 03:59:29

Élianor 

Les deux semaines qui suivent sont un rêve éveillé, un songe doré et irréel dont je crains à chaque instant de me réveiller. Raphaël ne se contente pas de sa promesse. Il l’incarne.

Il est partout.

Le lendemain de notre rencontre au parc, je retourne au lycée, la peur au ventre, m’attendant à un nouveau calvaire. Mais à mon casier, une fleur sauvage, un bleuet, est glissée dans la fente. Pas de mot. Juste cette tache de couleur vive contre le métal gris. Mon cœur fait un bond.

Dans le couloir, il marche à mes côtés. Il ne me prend pas le bras, ne m’étreint pas la main, sa présence seule est une déclaration. Il parle, sa voix calme couvrant les chuchotements.

— Tu as fini le livre dont je t’ai parlé, Élianor ?

Les regards sont différents. Moins de mépris, plus de stupéfaction. De la curiosité. De la jalousie, même, dans les yeux de certaines filles.

Les jours passent. Le bleuet est remplacé par une pâquerette, puis par une petite branche de lilas. Chaque matin, une surprise silencieuse m’attend. Il déjoue tous mes plans pour manger seule, s’installant en face de moi à la cantine avec son plateau. Il ne semble même pas remarquer les regards en biais, les rires étouffés qui, peu à peu, s’espacent.

— Raconte-moi, dit-il. Raconte-moi ce que tu penses de cette poésie.

Il m’écoute. Vraiment. Ses yeux verts sont fixés sur les miens, il hoche la tête, il sourit à mes réflexions. Il me traite comme une intellectuelle, comme une égale. Il parle de mes « yeux pleins de tempêtes » et de la « douceur » de ma voix. Ses compliments sont des bouées auxquelles je me raccroche, me maintenant à la surface d’un océan de doute.

Nos rendez-vous secrets au vieux moulin deviennent une habitude. Les soirs où je peux m’échapper, nous nous retrouvons là, assis sur la pierre froide, à regarder la rivière couler. Il se rapproche. Un soir, son épaule effleure la mienne. Un frisson me parcourt. Un autre soir, il écarte une mèche de mes cheveux de mon visage, ses doigts effleurant ma joue. Je retiens mon souffle.

— Tu es si différente d’elles, Élianor. Tellement plus… réelle.

Ses mots sont un baume sur les cicatrices laissées par les « baleine » et les « gros tas ». Sous son regard, je commence, timidement, à exister. Je me surprends à sourire. À rire, même, un son oublié, étranger à mes propres oreilles. Je me surprends à oublier, par moments, le poids de mon corps. Il ne le mentionne jamais. C’est comme si, pour lui, cette enveloppe n’existait pas. Il ne voit que l’intérieur, l’âme qu’il prétend découvrir.

C’est une cour assidue, patiente, envoûtante. Il construit autour de moi un palais de verre fait d’attention et de paroles douces. Je m’y installe, je m’y sens en sécurité, protégée. Aimée ? L’espoir, interdit et fou, germe dans mon cœur meurtri. Et si c’était vrai ? Et si lui, Raphaël, voyait ce que personne d’autre n’avait jamais vu ?

Une nuit, sous la lune, alors que le chant des criquets berce nos silences, il se tourne vers moi. Son visage est si proche que je peux sentir sa respiration sur ma peau.

— Élianor, murmure-t-il.

Il ne dit rien d’autre. Il n’a pas besoin de mots. Il se penche et effleure mes lèvres des siennes. Un baiser. Léger comme une plume, bref comme un battement d’aile. Le premier. Un éclat de pure magie dans ma nuit.

Quand il se recule, je suis pétrifiée, le souffle coupé, les lèvres brûlantes. Il sourit, un sourire triste et doux à la fois.

— Il faut que j’y aille. À demain.

Il part, me laissant seule, tremblante, le cœur battant la chamade. Je porte mes doigts à mes lèvhes. Le goût de lui y est encore. Le goût du mensonge, aussi, mais je suis trop ivre pour le reconnaître.

Je rentre chez moi ce soir-là en flottant. Ma sœur, Liora, me jette un regard en coin, méprisant, mais aussi intrigué.

— Tu as l’air bizarre. Tu as encore trouvé un paquet de chips à engloutir ?

Je ne réponds pas. Je monte dans ma chambre, je me regarde dans le miroir. Mon reflet est le même. La masse informe, le visage rond. Mais pour la première fois, je crois voir, dans mes yeux gris, une lueur. Une lueur que Raphaël y a allumée.

Je me couche, le visage enfoui dans l’oreiller, revivant ce baiser encore et encore. C’est la plus belle nuit de mes dix-sept ans. La plus douce. La plus cruelle.

Je ne sais pas encore que je danse sur une corde raide, au-dessus d’un abîme. Je ne sais pas que chaque regard tendre, chaque fleur, chaque parole douce est un coup de ciseau qui fragilise un peu plus la glace sous mes pieds. Raphaël n’est pas mon sauveur.

Il est l’architecte de ma chute ultime. Et dans deux semaines, jour pour jour, il poussera lui-même la trappe.

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