Home / Romance / LA REVANCHE D'UNE HUMILIÉE / Chapitre 3 : Le Poison du Lis

Share

Chapitre 3 : Le Poison du Lis

Author: Déesse
last update Last Updated: 2025-11-16 03:58:29

Élianor 

Je cours, aveuglée par les larmes. Les rires de la cantine me poursuivent, se mêlant au battement affolé de mon cœur et au bruit de mes pas lourds sur le trottoir. Je ne sais pas où je vais. Loin. Juste loin de ces visages grimaçants, de cette cruauté institutionnalisée. Je m’engouffre enfin dans le petit parc public à l’orée de la ville, un endroit désert en cette heure de cours. Je me blottis sur un banc, au fond, cachée par un massif de lauriers. Mon corps est secoué de sanglots silencieux, des hoquets qui me déchirent la poitrine. La honte est un acide qui ronge tout à l’intérieur.

— Élianor ?

La voix est douce, masculine. Je relève la tête, effrayée, m’attendant à une nouvelle moquerie. Mais ce n’est pas un harceleur. C’est Raphaël.

Raphaël de Saint-Clair. Le garçon dont le simple passage dans un couloir fait battre tous les cœurs, y compris le mien, en secret, avec la certitude douloureuse de son impossibilité. Il est là, debout, ses cheveux châtains ébouriffés par le vent, ses yeux d’un vert troublant posés sur moi avec une inquiétude qui semble sincère. Il est encore plus beau de près, d’une beauté qui fait mal.

— Je… je t’ai vue partir. Ce qu’ils ont fait… c’était monstrueux.

Sa voix est un velours, une caresse sur mes plaies à vif. Il s’assied à côté de moi, sans me toucher, respectant l’aura de détresse qui m’entoure. Son parfum, discret et boisé, arrive jusqu’à moi.

— Je ne sais pas quoi dire, murmure-t-il en secouant la tête. Liora et les autres… ils dépassent les limites. Tu ne mérites pas ça.

Personne ne m’avait jamais dit ça. Personne. Les larmes coulent de plus belle, mais cette fois, c’est différent. C’est un mélange de douleur et d’un espoir fou, naïf, qui ose pointer son nez.

— Pourquoi… pourquoi est-ce que tu es là ? je balbutie, la voix rauque.

— Parce que c’est injuste, répond-il simplement. Parce que je ne supporte pas la lâcheté.

Il me tend un mouchoir en papier blanc, immaculé. Un geste d’une délicatesse infinie dans mon monde de brutalité. Je le prends d’une main tremblante, essuie mes joues mouillées.

— Ils sont tous des idiots, Élianor. Ils ne voient pas.

— Ils ne voient pas quoi ? dis-je avec un rire amer. Ils voient très bien.

Il se tourne vers moi, son regard intense, perçant.

— Ils ne voient pas que tu as les plus beaux yeux que j’aie jamais vus. D’un gris argenté, comme un ciel d’hiver. Ils sont pleins de choses, tu sais. De tristesse, oui, mais aussi d’une force. Une force qui ne demande qu’à éclore.

Ses mots me transpercent. C’est le plus beau compliment que l’on m’ait jamais fait. Le seul. Un souffle d’air pur dans mon cachot. Je le regarde, incapable de détourner les yeux, hypnotisée. Est-ce un rêve ? Un piège ? Mais son regard est si franc, si doux.

— Tu ne devrais pas être avec eux ? Avec les populaires ?

— Les « populaires » ? fait-il avec une petite moue dédaigneuse. Ils m’ennuient. Leur monde est petit, étriqué. Toi… je sens que ton monde, à l’intérieur, est immense.

Il pose sa main sur la mienne, sur le banc. Sa peau est chaude. La chaleur se propage le long de mon bras, inonde ma poitrine glacée. C’est la première fois qu’un garçon, qu’un être humain, me touche avec une telle tendresse depuis des années. Je fonds. Toute la méfiance, toute la carapace de honte se fissure sous le soleil de son attention.

— Tu es bien plus que ce qu’ils disent, Élianor. Bien plus que ce corps que tu détestes. Il y a une reine en toi. Attends juste qu’on lui donne la permission de régner.

Il parle, et ses mots sont un baume, un enchantement. Il me voit. Lui, Raphaël, le prince de cette école, il me voit. Et il ne voit pas un monstre. Il voit une reine.

Nous restons là un long moment, silencieux parfois, à parler à d’autres. Il me parle de peinture, de livres que personne d’autre ne lit, de son désir de quitter cette ville étouffante. Il me demande mon avis. Il écoute ma réponse. C’est enivrant. C’est dangereux.

Quand la cloche sonne au loin, annonçant la fin des cours, il se lève à regret.

— Il faut y aller. Mais… je veux te revoir. Seule. Ce soir. Au vieux moulin, au bord de la rivière. Tu viendras ?

Son regard est une promesse. Une prière.

Mon cœur affolé crie « oui ». Mon instinct, à peine audible, murmure « méfie-toi ». Mais comment résister à un phare quand on a navigué toute sa vie dans les ténèbres ?

— J’… j’essaierai, je murmure.

Il sourit, un sourire qui pourrait faire fondre les pôles.

— Parfait. À ce soir, alors.

Il s’éloigne, et je reste sur le banc, le mouchoir chiffonné dans ma main, son parfum dans l’air, ses mots en écho dans ma tête. « Une reine en toi. » La honte de tout à l’heure est toujours là, mais elle est recouverte d’une couche dorée, brillante et trompeuse. Raphaël. Il m’a choisie, moi. Contre tous.

Je me lève, les jambes flageolantes, mais pour la première fois de la journée, je relève la tête. L’espoir est un poison doux-amer. Et je suis prête à m’enivrer, sans savoir que le lendemain, la gueule de bois sera d’une violence inouïe. La chute n’était que le prélude. La vraie trahison, la plus déchirante, vient de commencer.

Continue to read this book for free
Scan code to download App

Latest chapter

  • LA REVANCHE D'UNE HUMILIÉE    Chapitre 9 : La Marque de Cain

    ÉlianorLe lendemain matin, le verrou tourne avant l'aube. La porte de ma chambre s'ouvre sans un bruit. Ma mère se tient sur le seuil, son visage un masque lisse et impénétrable.— Tu vas à l'école, annonce-t-elle d'une voix neutre. Ton père et moi estimons que la routine est salutaire. Et il n'est pas question que tu aies des retards.Je hoche la tête, silencieuse. Je me lève, m'habille avec les vêtements qu'elle a déposés sur ma chaise , une robe simple, presque austère, qui n'est pas de mon goût. Je suis un pantin. J'obéis.Le petit-déjeuner est un exercice de torture silencieuse. Liora, radieuse, parle de ses projets, de ses cours, de sa vie parfaite. Ses yeux brillent d'une joie malveillante chaque fois que son regard croise le mien. Mon père lit le journal, ignorant ma présence. Ma mère sippe son thé, surveillant mes moindres gestes.Quand l'heure arrive, je prends mon sac, soigneusement inspecté par ma mère au préalable. Aucun téléphone. Aucun livre qui ne soit pas scolaire. R

  • LA REVANCHE D'UNE HUMILIÉE    Chapitre 8 : La Sentence

    ÉlianorJe reste adossée contre la porte, les paumes à plat sur le bois comme pour m'ancrer à ce qui reste de mon monde. Les voix chuchotantes de ma mère et de Liora filtrent à travers, sifflantes et venimeuses. Je ne distingue pas les mots, je n'en ai pas besoin. Le ton suffit. C'est un conseil de guerre dont je suis l'ennemi à abattre.La boule de glace dans mon ventre grandit, se propage. Elle gèle le tremblement de mes mains, assourdit le martèlement de mon cœur. La douleur entre mes cuisses n'est plus qu'un lointain souvenir, un simple rappel physique d'une fracture bien plus profonde.Je me pousse loin de la porte et marche jusqu'au miroir au-dessus de mon lavabo. La fille qui me regarde me semble étrangère. Ses yeux sont cernés d'un halo violacé, son visage est pâle, ses lèvres gercées. Mais dans ses pupilles, il n'y a plus de larmes. Juste un froid absolu. Le reflet de la glace intérieure.Je passe le reste de la journée cloîtrée dans ma chambre. Personne ne vient frapper. Auc

  • LA REVANCHE D'UNE HUMILIÉE    Chapitre 7 : L'Éveil dans les Décombres

    ÉlianorLa dernière goutte d'eau se perd dans le siphon, emportant l'illusion de la pureté. Le silence qui envahit la salle de bain est plus lourd, plus accusateur que le grondement du jet. Il ne dure qu'un instant.— ÉLIANOR !La voix de ma mère transperce la porte, une lame aiguisée d'angoisse et de colère. Mes muscles se figent. Mon cœur, à peine calmé, cogne à tout rompre contre ma cage thoracique, un oiseau affolé pris au piège.— Élianor, sors de là immédiatement !J'obéis. Le silence qui suit l'arrêt de l'eau est pire. Je m'enveloppe dans une serviette rêche qui gratte ma peau comme du papier de verre. À l'intérieur, tout crie, tout saigne. Mais un calme étrange, mortifère, s'est emparé de moi. La douleur, la honte, la nausée… tout est comprimé, gelé en une boule de glace au creux de mon estomac.Quand j'ouvre la porte, elles sont là. Toutes les deux. Un tribunal en peignoir.Ma mère. Son visage est décomposé, mais ce n'est pas seulement l'inquiétude que j'y lis. C'est une déce

  • LA REVANCHE D'UNE HUMILIÉE    Chapitre 6 : L'Éveil dans les Décombres

    Élianor La nuit m’a avalée. Après avoir fui la salle des fêtes, les rires collés à la peau comme une brûlure, je n’ai pas eu la force de rentrer chez moi. Affronter le regard de Liora, les questions feutrées de mes parents ? Impossible. Mon corps n’était plus qu’une coquille vide, vibrante de honte.Je me suis retrouvée devant un bar miteux en périphérie de la ville, un endroit où la lumière était faible et les regards indifférents. J’ai poussé la porte. L’odeur de bière rance et de tabac froid m’a accueillie. C’était parfait.Je me suis installée au comptoir, et j’ai commandé un verre. Puis un autre. L’alcool brûlait ma gorge, mais c’était une douleur simple, propre, qui noyait l’autre, celle, déchirante, de la trahison de Raphaël. Chaque gorgée était un baume empoisonné qui effaçait un peu plus le souvenir de son sourire, de ses mots doux, de ses mensonges.Les lumières du bar sont devenues floues. Les voix se sont transformées en un bourdonnement lointain. Je ne pensais plus. Je n

  • LA REVANCHE D'UNE HUMILIÉE    Chapitre 5 : La Couronne de l'Humiliée

    Élianor Aujourd’hui, j’ai dix-huit ans. Un anniversaire qui, dans toute autre circonstance, serait passé inaperçu, noyé sous les quolibets et l’indifférence générale. Mais cette année, tout est différent. Cette année, il y a Raphaël.Les deux dernières semaines ont été un conte de fées pervers. Sa cour assidue n’a pas faibli ; elle s’est intensifiée. Chaque regard, chaque mot chuchoté, chaque effleurement furtif a tissé autour de moi un cocon d’espoir. Le baiser au vieux moulin a changé la donne. Depuis, une attente palpable vibre entre nous. Il me parle d’une « surprise » pour mon anniversaire, quelque chose de « spécial », qui montrera à tous ce que je vaux vraiment. Ses yeux brillent d’une excitation mystérieuse qui me rend folle d’impatience.— Fais-moi confiance, Élianor. Aujourd’hui, tout va changer.Toute la journée, au lycée, je suis sur des charbons ardents. Je surprends des sourires en coin, des chuchotements que je n’arrive plus à interpréter comme de la méchanceté. Peut-ê

  • LA REVANCHE D'UNE HUMILIÉE    Chapitre 4 : L'Illusion

    Élianor Les deux semaines qui suivent sont un rêve éveillé, un songe doré et irréel dont je crains à chaque instant de me réveiller. Raphaël ne se contente pas de sa promesse. Il l’incarne.Il est partout.Le lendemain de notre rencontre au parc, je retourne au lycée, la peur au ventre, m’attendant à un nouveau calvaire. Mais à mon casier, une fleur sauvage, un bleuet, est glissée dans la fente. Pas de mot. Juste cette tache de couleur vive contre le métal gris. Mon cœur fait un bond.Dans le couloir, il marche à mes côtés. Il ne me prend pas le bras, ne m’étreint pas la main, sa présence seule est une déclaration. Il parle, sa voix calme couvrant les chuchotements.— Tu as fini le livre dont je t’ai parlé, Élianor ?Les regards sont différents. Moins de mépris, plus de stupéfaction. De la curiosité. De la jalousie, même, dans les yeux de certaines filles.Les jours passent. Le bleuet est remplacé par une pâquerette, puis par une petite branche de lilas. Chaque matin, une surprise si

More Chapters
Explore and read good novels for free
Free access to a vast number of good novels on GoodNovel app. Download the books you like and read anywhere & anytime.
Read books for free on the app
SCAN CODE TO READ ON APP
DMCA.com Protection Status