Share

Savoir se faire pardonner

 

De retour chez Adrien, je m’enfermais dans ma chambre et m’allongeais sur mon lit. Mes yeux étaient rougis par les larmes. Je ne comprenais pas pourquoi Archambault acceptait si facilement cette séparation certes, « provisoire », sans se battre davantage. Peut-être s’était-il déjà lassé de moi ? Je savais que je n’aurais pas dû me lancer dans cette histoire et, qu’une fois de plus, j’allais encore souffrir.

Des questions se bousculaient dans mon esprit. Je ne savais toujours pas pourquoi j’étais, moi aussi, immortelle enfin à moitié. Mes parents ne s’étaient jamais ouverts à moi sur ce sujet. J’avais l’impression de ne plus savoir qui j’étais réellement bref, j’étais perdue. Adrien m’avait prélevé du sang lorsque Mme Vaire-Vache avait tenté de m’empoisonner à l’Aconite et il devait le faire analyser. Il restait mystérieux sur les résultats, chaque fois que j’abordais la question, il esquivait toujours en parlant de la pluie et du beau temps.

Il était presque 23 heures quand mon téléphone vibra. Je jetais un coup d’œil sur l’écran, c’était Archambault qui m’envoyait un texto :

Archambault :

Pourquoi es-tu partie précipitamment tout à l’heure ? Tu sais très bien que je t’aime et que cette séparation sera aussi douloureuse pour moi que pour toi. Je t’en supplie, j’aimerai que l’on passe un peu de temps ensemble avant ton départ.

Alix : j’étais très déçue que tu ne te battes pas plus pour notre couple, comme si cette séparation ne te faisait « ni chaud, ni froid. »

Archambault : tu sais, cette séparation me torture autant que toi. Excuse-moi si j’ai montré un peu de retenues, j’obéis aux ordres car c’est pour ton bien et tu le sais au fond de toi. Nous nous retrouverons après et plus rien ne nous séparera. J’aimerai t’inviter dans un endroit que j’affectionne avant ton départ, serais-tu d’accord, mon cœur ?

Pour la première fois depuis des mois de relation, je ne répondis pas à son texto même si ma petite voix intérieure en mourrait d’envie.

Au moment où j’allais reposer mon téléphone, celui-ci vibra de nouveau, c’était Justine :

Justine : salut ma belle ! je te rappelle qu’il faut qu’on s’organise une sortie en boîte !

Alix : oui, tu as raison j’en ai bien besoin, quand tu veux, je viendrai !

Justine : C’est cool, trop contente. Je vais le dire à Lisa et Sandra et bien sûr, tu viens seule ! laisse ton prince charmant de côté, cette fois !

Alix : Bien sûr, ce sera une soirée, « filles », comme au bon vieux temps !

Justine : On dit samedi soir dans 15 jours, c’est ok pour toi ?

Alix : C’est parfait !

Justine : Tu me caches quelque chose ! tu me raconteras cela !

Alix : Rien de grave mais on ne peut rien te cacher, c’est un don chez toi !

Justine : Et oui, que veux-tu, je suis extralucide ! bisous.

Elle avait bien raison sur ce coup-là.

Alix : Á samedi mais où va-t-on ?

Justine : Au V and B puis au Manoir. Lisa dit qu’on y passe de bonnes soirées, ils offrent des barres de shooters, c’est super tu verras !

Alix : Ok

Mes paupières se faisaient lourdes, toutes ces émotions m’avaient épuisée. Je m’endormis mais mon sommeil fut agité à cause de nombreux cauchemars.

En effet, je rêvais que j’étais prisonnière de sables mouvants et que je m’enfonçais inexorablement dans les profondeurs de l’abîme. Il y avait aussi un homme, vêtu de noir, qui me regardait sans me porter secours avec un rire sinistre, son visage était dans la pénombre, je n’arrivais pas à le voir. Vers deux heures du matin, je me réveillais en sursaut : des gouttes de sueur dégoulinaient le long de ma colonne vertébrale ainsi que sur mon front.

Adrien qui avait entendu l’agitation dans ma chambre vint à mon chevet, le visage inquiet :

— Que se passe-t-il ? Tu as fait un cauchemar ?

— Ce n’est rien, tu peux aller te rendormir.

— Cela fait plusieurs nuits de suite, j’ai le sommeil léger et je t’entends hurler parfois !

— Sûrement un peu de surmenage, ne t’inquiète pas pour moi, mentis-je. Je sentais les larmes monter.

— Si, je me fais du souci pour toi, c’est normal tu es ma nièce, je te rappelle, et je tiens à toi comme si tu étais ma propre fille.

Il s’était assis sur le bord du lit et me prit les mains dans les siennes, tendrement.

— Dis-moi ce qui te tracasse, tu peux tout me dire, tu le sais. Me demanda-t-il d’une voix douce et réconfortante.

— Je me pose des questions sur mes origines, et puis…

Je n’eus pas le temps de poursuivre Adrien me coupa la parole

— Je m’en doutais. C’est ma faute, j’aurai dû t’informer de mon enquête sur toi mais je n’ai que peu d’éléments pour le moment.

— La prise de sang que tu as effectué n’a rien donné ? demandais-je.

— Oui et non, c’est troublant, je dois encore vérifier des choses et en parler au conseil des Protecteurs. Je te tiendrai informée rapidement.

Est-ce que tout va bien avec Archambault ?

— Il est étrange parfois on dirait qu’il se détache de notre relation. Je ne comprends pas ce comportement et j’en souffre un peu, avouais-je.

— Il ne faut pas lui en vouloir. Tu sais, en plusieurs siècles, il a eu beaucoup d’histoires d’amour avec d’autres femmes. Avec toi, il est différent. Je le côtoie depuis des décennies. Il te dévore du regard, il tient à toi, c’est certain.

— Oui, mais jusqu’à quel point ? répliquai-je.

Adrien ne répondit pas, il se contenta de m’embrasser sur la tête en disant :

— Repose-toi et n’y pense plus.

Puis il quitta la pièce, me laissant seule avec mes pensées. Je pris une douche bien chaude et une infusion à la verveine puis je finis par me rendormir avec quelques sanglots étouffés. Dehors le ciel était clair parsemé d’étoiles scintillantes.

Quelques jours passèrent. Comme chaque matin, je me réveillais difficilement. Je me regardais dans le miroir, j’avais des cernes et les veines sous mes yeux étaient bleuâtres et toutes gonflées : bref j’avais une tête à faire peur. Je regardais mon téléphone, j’avais plusieurs appels, en absence, de Guillaume. Une petite voix intérieure m’ordonnait de le rappeler mais je n’en fis rien. Il n’avait qu’à attendre un peu cela ne lui ferait pas de mal, pensais-je. Je m’occupais l’esprit avec mon travail de Conservatrice du Vieux-Château.

Ce matin-là, je pris mon petit déjeuner tranquillement dans le salon, Adrien était parti tôt. Il avait fait le café très fort, à en « réveiller un mort » comme à son habitude, et avait déposé des viennoiseries encore chaudes sur la grande table de la salle à manger. Il était adorable et toujours aux petits soins pour moi comme un père aimant.

J’allais filer au travail, j’étais même légèrement en retard mais en ouvrant la porte qui débouchait sur l’escalier monumental en pierre qui menait à la cour intérieure, j’ai cru que mon cœur allait défaillir. En effet, les marches étaient encombrées de nombreux vases remplis de roses oranges qui signifiaient dans le langage des fleurs que j’avais étudié récemment, le désir, des lys : sentiments purs, des tulipes blanches : le pardon et enfin du lierre : amour éternel. Il était donc très clair que Guillaume voulait me faire passer un message très ciblé avec toutes ces fleurs mélangées. On pouvait dire qu’il avait l’art de se faire pardonner !

Parmi les vases les plus proches, il y avait une enveloppe à mon nom avec la belle écriture penchée et curviligne de Guillaume. Je l’ouvris frénétiquement. Mon cœur s’emballait, mon esprit n’était plus qu’un mélange d’émotions contradictoires, de désirs, d’impatience. La colère ressentie quelques jours plus tôt était encore présente mais petit à petit, elle commençait à s’estomper un peu à fur et à mesure que je lisais les mots couchés sur le papier :

Ma tendre et douce Alix,

Par ces fleurs, je viens te demander pardon et te prouver que mon amour est ardent et sincère et comme tu l’auras compris : éternel. Tu es la lumière qui m’éclaire lorsque je sombre dans les ténèbres. Cupidon m’a frappé d’une flèche, il y a déjà plusieurs mois, je ne peux demeurer loin de toi plus longtemps, j’étouffe lorsque tu es loin de moi. Tu es ma reine et tes baisers sont pour moi comme un doux nectar enivrant. Tes lèvres douces et fruitées sont un refuge soyeux dont je ne peux me détacher, une source intarissable à laquelle je voudrais m’abreuver encore et encore. Je t’en supplie, pardonne mon vil comportement et rejoins-moi ce soir, à vingt heures au donjon du vieux château. Ton amant éternel,

Archambault VI

Pense à celui qui t’écrit ces mots en attendant le crépuscule.

Mon Dieu, c’était la plus belle demande en pardon qu’une femme rêverait de recevoir. Je ne m’étais pas rendue compte que j’étais assise sur les marches du perron, c’était comme si j’avais fondu sur place à la lecture de ces mots si intenses qu’ils avaient transpercé mon être de part en part, comme s’ils avaient été marqués au fer rouge sur mon corps.

Je passais ma journée de travail sur mon petit nuage. Mon esprit était ailleurs, forcément avec une telle lettre, n’importe quelle femme serait perturbée. Mon bureau se situait au 2ème étage du vieux château, la vue était imprenable sur Montluçon, les toits du vieux Montluçon et sur l’avenue Marx Dormoy et ses platanes centenaires. Il m’arrivait souvent de me mettre la fenêtre pour rêvasser un peu. Je devais organiser un tournoi de joutes médiévales qui se déroulerait sur l’esplanade du château pour l’été prochain ainsi qu’un concert avec troubadours et ménestrels bref ce n’était pas le travail qui manquait. Il m’était difficile de me concentrer car je pensais sans cesse à ce soir et c’était comme si Guillaume m’envoyait des images de son visage en télépathie. Il y avait des travaux dans la salle d’apparat, Adrien m’avait formellement interdit d’y entrer depuis deux jours.

Il était environ 17 heures lorsque je quittais le château. En passant près de la prison, je croisais un camion blanc qui montait en direction de l’esplanade : certainement une livraison de dernière minute, pensais-je.

Arrivée à la maison de mon oncle, je m’affairais dans la salle de bain à me faire belle pour le rendez-vous du soir : masque de beauté, épilation, bref je passais tout en revue pour être au top. Les fleurs reçues le matin avaient été déposées ça et là dans la maison et leur parfum embaumait toutes les pièces, sur le balcon, etc… je me dirigeais vers ma chambre et en ouvrant la porte, je découvris une magnifique robe médiévale d’un pourpre éclatant avec des coutures en fil d’or. Elle était déposée sur mon lit avec un bijou de tête et une cape en velours blanc. Je touchais le tissu soyeux, c’était un merveilleux cadeau. Il y avait un petit mot posé dessus :

« Pour la Damoiselle de mes rêves »

Quelle délicate attention, sincèrement, Archambault était vraiment le Prince charmant, cette fois.

 

Related chapter

Latest chapter

DMCA.com Protection Status