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Chapitre 78 — Les Fondations

Author: Déesse
last update Last Updated: 2025-11-06 02:48:55

Marco

Le verre de jus de fruit est posé entre nous comme un talisman, une offrande fragile dans le no man's land de notre histoire. Sarah le sirote à petites gorgées, assise au bord du canapé, ses pieds ne touchant pas le sol. Ses yeux, toujours aussi vifs, continuent d'explorer la pièce, cherchant des repères dans cet environnement inconnu.

Claire est debout, près de la cheminée. Elle n'a pas touché à son verre. Son bras croisé, elle observe. Elle observe la manière dont la lumière frappe différemment les murs depuis que la cloison a été abattue. Elle observe la qualité du travail de peinture, les plinthes impeccables. Elle m'observe, moi, debout de l'autre côté de la pièce, conscient de chaque mouvement, de chaque respiration.

— Tu as vraiment fait ça ? demande-t-elle enfin, d'une voix neutre, en désignant le mur absent.

— La plupart. Henri m'a guidé.

— Henri.

Elle goûte le nom, comme un fruit étrange.

— Le vieil homme dans le jardin.

— Oui.

Un silence retombe. Seul le bruit des pet
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    Deux ans.Le temps n'a pas tout guéri, mais il a pansé les plaies les plus vives, transformant les cicatrices en souvenirs, doux-amers, mais acceptés.Je ne vis plus dans la villa. Elle était devenue trop grande, trop chargée du fantôme de l'homme que j'avais été. Je l'ai vendue. L'argent a servi à autre chose.Henri et moi, nous avons monté notre petite affaire. « Atelier Marco & Henri ». Nous réparons. Des charpentes qui menacent de s'effondrer, des parquets qui grincent, des âmes de maisons fatiguées. Nous n'employons pas de jargon marketing. Notre réputation se fait par le bouche-à-oreille. On dit de nous que nous sommes lents, chers, mais que notre travail tient. Comme les fondations sur lesquelles nous bâtissons.Je vis dans un appartement, plus modeste, près de l'atelier. Il y a des livres qui traînent, de la poussière parfois, une guitare que j'apprends à jouer maladroitement. Il y a de la vie. Ma vie.Ce soir, c'est vendredi. Le soir que Sarah passe avec moi.Elle a huit ans

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    Marco La réponse de Claire à la photo ne vient pas tout de suite. Le silence s'étire, tendu comme une corde. Henri et moi, nous posons la moquette dans la chambre de Sarah, un gris doux et résistant. Chaque coup de rouleau est un acte de foi. Je fixe mon téléphone, posé sur le sol, espérant et redoutant à la fois la vibration qui annoncera son verdict.Ce n'est qu'en fin d'après-midi, alors qu'Henri vient de partir, que le téléphone vibre. Un message.« Elle n'arrête pas de parler de la couleur bleue. Elle veut savoir si le tableau est pour elle. »Le souffle que je retenais depuis des heures sort dans un soupir tremblant. Ce n'est pas une réconciliation, mais c'est une brèche dans le mur. Une minuscule ouverture.Je prends le téléphone, les doigts moites. Je ne veux pas me tromper. Pas maintenant.« Oui. C'est pour elle. Pour qu'elle dessine ce qu'elle veut. »La réponse est presque immédiate.« Elle veut venir le voir. Demain. Seulement une heure. »Mon cœur fait un bond douloureux

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    Marco Les jours qui suivent sont étrangement calmes. La visite de Claire et Sarah a laissé une empreinte dans la maison, une vibration subtile qui persiste, comme la note tenue d'un diapason. Le verre de jus de fruit est toujours sur la table basse. Je ne peux pas le toucher. C'est une relique.Henri et moi attaquons la pergola. Le bois est vieux, certaines poutres sont pourries. Il faut tout démonter, trier, remplacer. C'est un travail plus complexe, plus physique. Je manie la scie, le marteau, la masse. Mes mains, déjà marquées, se couvrent d'ampoules qui crèvent et se reforment. Henri est un maître exigeant. Il ne tolère pas l'à-peu-près.— Une charpente, ça doit être carré, Marco. Si les fondations sont de travers, tout le reste va suivre. C'est comme dans la vie.Je hoche la tête, concentré sur la ligne que je trace à la craie. Je suis dans l'effort, dans la précision. Penser aux poutres, aux angles, aux clous. Ne penser à rien d'autre.Pourtant, des images reviennent. Le visage

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    MarcoDeux semaines ont passé. Deux semaines de poussière, de peinture, de sueur. La maison n'est plus un décor. Elle est devenue un chantier, puis un lieu en convalescence. Les murs du salon sont nets, d'un blanc qui semble plus vrai, plus profond que celui d'avant. Henri est venu tous les jours. Nous avons réparé, poncé, repeint. Nous avons même, sur un coup de tête un après-midi, démonté une cloison inutile qui séparait le salon de la véranda. La lumière est plus abondante maintenant.Henri ne parle pas beaucoup. Il agit. Et à son contact, j'apprends. J'apprends à tenir un marteau, à distinguer un tournevis plat d'un cruciforme, à sentir si une surface est bien lisse. J'apprends la patience. La satisfaction du travail bien fait, pour lui-même, pas pour l'étalage.Mon téléphone a fini par se taire. Le monde de Luc et des contrats Danforth a reflué, comprenant que j'étais perdu pour lui. Une étrange sérénité a pris la place de l'urgence permanente. Je ne suis plus Marco le dirigeant.

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