Ce chapitre marque un tournant : Kaelen n’est plus seulement un prince brisé — il devient le miroir de ce que nous portons tous en nous lorsque le doute s’installe. À travers lui, j’ai voulu explorer ce que signifie céder à la promesse d’un monde « sans douleur », et pourquoi cette promesse peut être plus dangereuse que la douleur elle-même. Elara, elle, nous rappelle que parfois, la seule ligne qu’on peut tracer n’est pas sur une carte, mais dans le cœur de ceux qu’on refuse d’abandonner. Leur union, fragile mais vraie, montre qu’il n’y a pas de monde parfait — seulement des volontés imparfaites qui choisissent, encore et encore, de lutter ensemble. Merci de marcher sur ce chemin avec eux et avec moi. Le voyage continue, et j’espère qu’il vous touchera autant qu’il me transforme en l’écrivant. Nicemz
Chapitre XIII — Les TisseursLa lumière revint, d’abord timide, puis croissante.Elle caressa les paupières fermées d’Elara, y déposa un frisson chaud, presque irréel après tant d’heures — ou de siècles ? — passés dans le ventre du chaos.Quand elle rouvrit les yeux, son souffle se bloqua dans sa gorge. Sous ses doigts, l’herbe. Pas une illusion, pas une mosaïque vivante, pas un mirage : de la vraie herbe, humide de rosée, qui se froissait sous ses ongles. Elle inspira, et l’air portait enfin l’odeur de la terre et non celle de la faille.Elle se redressa, tremblante, et contempla le monde revenu. Les Landes Fracturées n’étaient plus qu’un pli à l’horizon. Là où le sol se crevassait, de nouvelles pousses brisaient déjà la croûte. Des insectes timides sortaient de trous oubliés. L’air vibrait encore d’un frisson, comme un soupir d’animal qui se réveille.Elara baissa les yeux vers ses paumes. Ses lignes — ces filaments d’encre qu’elle avait appris à tracer depuis l’enfance — étaient to
Tout était silence.Et pourtant, tout criait.Kaelen flottait dans un monde sans forme. Ni ciel, ni terre. Ni vent, ni gravité. Rien qu’un espace sans horizon, un gouffre de brume et d’échos, tissé uniquement de pensée, d’émotion brute, de souvenirs épars. Parfois, un éclat d’image traversait cette mer informe : un éclat de lumière, une ombre mouvante, un fragment de voix perdue.Il n’avait plus de corps. Pas vraiment. Ses membres n’étaient plus que des impressions, ses veines des lignes de lumière rompues, sa peau un voile translucide qu’on aurait effleuré pour voir au travers. À sa place, il n’y avait qu’un esprit, étiré, disloqué, comme une toile qu’on aurait suspendue dans l’obscurité. Il avait l’impression d’être à la fois partout et nulle part.Et au centre… le fragment.Pas un objet. Pas un cristal. Ni une pierre ni une arme. Seulement une présence. Froide. Sereine. Absolue. Comme une nuit sans fin. Une nuit qui ne jugeait pas, qui n’ordonnait pas : elle imposait.Le fragment n
Le monde ne tenait plus en place.C’était la première chose qu’Elara ressentit en posant le pied dans les Landes Fracturées. À peine avait-elle franchi la dernière ligne stable qu’elle sentit ses repères se disloquer : la terre sous sa semelle se crevassa pour devenir sable, puis roc, puis mousse, puis de nouveau un sol craquelé qui respirait comme une bête. À chaque pas, la réalité hésitait.Autour d’elle, Liora et Neris avançaient en silence. Liora avait relevé sa capuche, mais ses mèches rousses s’échappaient au vent — un vent qui ne savait pas choisir sa direction, ni son odeur. Parfois il portait un parfum de mer, parfois une odeur de viande fumée, parfois celle de la pourriture. Neris, lui, gardait sa main posée sur la garde de son arme, comme si la lame pouvait trancher non seulement la chair, mais aussi ce qui rongeait l’air.Ils suivaient Elara, parce qu’elle seule savait lire la trace. Ou du moins, ils le croyaient.— C’est pire que je ne l’imaginais, souffla Liora. Sa voix
Le carnet refusait de se taire.Même fermé, il palpitait contre la paume d’Elara, comme un cœur étranger emprisonné sous cuir et papier. Une lueur noire, presque huileuse, filtrait de ses coutures anciennes. Elle pulsait, lente et entêtante, au rythme d’un battement qui n’appartenait ni au monde ni au temps.Depuis des jours, Elara dormait à côté de ce fragment, comme on veille un ennemi. Chaque nuit, elle entendait son chuchotement ramper sous ses rêves. Chaque matin, elle vérifiait les runes que Liora avait gravées autour du carnet pour le maintenir sous contrôle. Mais au fond, tous savaient que ce n’était qu’une question de temps avant que le cercle ne cède.Neris tournait autour du feu de camp, son manteau soulevé par le vent mordant. Ses yeux clairs fixaient tour à tour Elara et le carnet posé sur la pierre.— On ne peut pas continuer ainsi, dit-il finalement, la voix râpeuse. Le fragment noir cherche une porte. Et il l’a choisie.Il ne montrait pas le carnet, mais Elara. Elle so
Ils marchèrent deux jours sans croiser âme qui vive. Le monde semblait endormi. Comme si le battement chaotique des lignes s’était calmé d’un seul coup — apaisé ou éteint, Elara ne le savait pas encore.Le carnet qu’elle portait, pourtant vierge au départ, avait commencé à se remplir tout seul. Non pas par magie… mais comme s’il captait les pensées, les possibles, les souvenirs encore en suspens.Chaque nuit, des fragments de rêves s’y imprimaient : des visages qu’elle n’avait jamais vus, des cartes de lieux inconnus, des dialogues qu’elle n’avait jamais eus.Mais ce n’était pas ce qui l’inquiétait le plus.C’était le silence.Car en approchant de Virellia, tout était… trop calme.Pas un chant d’oiseau.Pas un vent dans les branches.Même la lumière semblait figée.Et lorsque les tours de la cité furent enfin visibles à l’horizon, ils s’arrêtèrent net.Liora porta une main à sa bouche.— Les murs…Ils étaient fendus.Pas comme après une attaque.Comme si la terre elle-même avait chang
Le Nexus n’avait pas de sol.Pas de ciel.Pas de centre.Elara flottait au milieu d’une myriade de fragments — des morceaux de cartes, des lambeaux de souvenirs, des voix en suspens. Chaque pensée, chaque pas, chaque mot prononcé au fil de sa vie… existait ici.Mais le plus étrange, c’était la sensation de déjà-vu.Elle avait été ici. Avant.Dans un rêve ?Dans une autre vie ?Ou était-ce la vérité, tissée et effacée, comme les lignes mouvantes de ses cartes les plus anciennes ?Une voix s’éleva.Douce. Intime. Déchirante. « Enfin, tu me rejoins. »Devant elle, dans un tourbillon de lumière et de brume, Veydras apparut.Il ne portait ni couronne ni armure.Seulement une simple tunique blanche, tachée d’encre noire.Ses yeux… étaient les siens.Exactement les mêmes.— Je ne suis pas toi, dit-elle sans trembler.Il sourit, tristement.— Non. Mais je suis ce que tu pourrais devenir… si tu cessais de résister. Si tu acceptais que tout ceci — les frontières, les royaumes, la douleur — ne