LOGINOn nous avait dit de garder le silence dès le dernier tournant. Je sentis la main de Kaël glisser dans la mienne et, d’un même geste, nous retirâmes nos sandales. La pierre était froide, presque soyeuse, et je compris pourquoi les anciens insistaient : la montagne n’écoute que la peau. Nous montâmes pieds nus le dernier escalier naturel, l’un contre l’autre, la respiration accordée. Devant nous, la vallée des ancêtres s’ouvrit comme une coupe noire posée sous la lune. Les torches dessinaient un cercle de braises autour de l’arène de basalte. Tous les clans étaient là. Même ceux qui, hier encore, murmuraient contre nous. Ils avaient pris place sur les gradins taillés au fil des générations, capes fermées, regards clairs. Le vent chantait dans les arbres du pourtour, pinceau invisible qui peignait l’air de lignes mouvantes.Arna nous attendait à l’entrée du cercle, droite, le bol d’eau de source entre les mains. Elle posa deux doigts sur mon poignet comme on accorde un instrument, puis
Le cercle était complet avant la tombée de la nuit. Les enfants avaient été couchés dans la Maison basse, les sentinelles prirent un poste plus éloigné, et une grande flamme dressait sa langue claire au milieu des pierres. L’odeur de résine se mêlait à celle de la peau chauffée par la journée. Je m’étais assise près de Kaël, assez près pour sentir la vibration régulière de sa présence comme une note tenue. Chaque fois que son genou effleurait le mien, une onde discrète remontait ma cuisse. Je m’accrochais à ce fil, apaisée, éveillée. Une paix fragile s’étirait sur la meute depuis les signatures d’aube, mais une autre tension circulait entre lui et moi, plus ancienne, plus vive, qui n’appelait ni rapports ni radios.Arna avait raconté les récits du passage, parlait des bêtes sacrées, du culte oublié, de la passerelle inscrite dans certains sangs. Les plus jeunes écoutaient bouche close, fascinés par ces images d’humains marchant au rythme des loups sans chaînes ni colliers. Les mots s’
On pourrait croire que les accords naissent au bout de plumes officielles. Le nôtre a pris forme entre des doigts encore tachés de terre, au bord d’une clairière où le jour hésitait. Kaël me frôlait le dos de son souffle, appui invisible qui me maintenait droite. Maud tenait un carnet épais, l’officier sans masque portait une lampe frontale qu’il n’allumait pas, par respect pour nos pupilles. Arna, à mes côtés, serrait son chapelet d’os polis.- Trois lignes, dis-je. Rien de plus long. Ce qui doit tenir, tient dans une paume.Nous nous plaçâmes près des pierres blanches posées la veille. Les braises couvaient sous un petit lit de cendre. Je détaillai les clauses, la voix ferme : pas de drones ni de survols, pas de poursuites dans notre territoire, un couloir de rencontre deux fois par semaine, au lever du jour, avec délégation réduite et code commun pour signaler l’urgence. En échange, aucune attaque, aucune provocation, et la promesse d’un silence durable : leur monde ne parlera pas
Je n’avais plus la même respiration en quittant la tente de Maud. Une cadence neuve roulait dans la cage de ma poitrine, profonde comme un tambour d’ancêtres. Kaël, collé à mon flanc, glissait sa chaleur à travers la cape, et ma marque répondait, légère braise sous la peau. Nous avons traversé la lisière sans détourner la tête. Les lampes humaines coulaient derrière nous comme une rivière de lait, et la forêt s’ouvrait, accueillante et vigilante.- Tu tiens debout, dit-il par le lien. Tu rayonnes.- J’ai enfin un nom pour mon feu.- Dis-le.- Passerelle.Il sourit avec ses yeux d’ambre. Nous avons accéléré. Les sentinelles, tapies dans les ombres, hochèrent à peine. Les pas de Kaël restaient exactement au rythme des miens.La Maison des Ancêtres apparut, posée sur sa dalle, entourée de silhouettes. Les anciens, la meute, les jeunes guerriers, quelques mères. Toutes ces vies attendaient, inquiètes et droites. Je sentis la responsabilité s’asseoir sur mes épaules, non comme un fardeau,
Je n’avais jamais aimé les laboratoires. L’air y sentait la peur de ce qu’on ne comprend pas. Pourtant, cette fois, c’est moi qui avais accepté d’y entrer. Sous les tentes montées à la lisière, les scientifiques avaient dressé des tables, des écrans, des câbles. Maud m’attendait, droite, le visage plus calme que la veille. Kaël, derrière moi, restait silencieux, mais je sentais sa tension dans l’air, vibrante. Chaque respiration de sa part me caressait la nuque.- Merci d’être venue, Elina, dit-elle. Nous avons terminé les premières analyses du prélèvement.Le mot fit tressaillir Kaël. Sa voix intérieure éclata dans le lien : Quel prélèvement ?Je répondis sans tourner la tête : La goutte de sang de la trêve. Je te l’avais dit.- Aucun des résultats ne correspond aux bases de données connues, poursuivit Maud. Votre séquence génétique présente une anomalie stable. Ce n’est ni purement humaine, ni purement animale.Je m’avançai. Les écrans affichaient des courbes et des formes lumineuse
Je nouai la fibule de ma cape et laissai ma peau respirer sous la fourrure. L’air me mordit avec douceur. À ma gauche, Kaël posa sa paume au creux de mes reins, discret, solide. L’idée paraissait folle aux anciens, nécessaire pour moi. Fuir nourrissait les fantasmes. Avancer imposait un visage, une voix, un rythme.- Je marche avec toi, souffla-t-il dans le lien.- Tu marches en moi. Reste près.Nous sortîmes du couvert avec quatre guerriers, deux éclaireuses et la vieille Arna. Au loin, les humains avaient installé un périmètre de lampes. Leurs casques polissaient des halos blanchâtres. Le drone avait disparu, mais la nuit gardait sa balafre.Je pinçai les bords de la cape. La nudité n’était pas provocation, seulement vérité. Ma métamorphose rejetait métal et tissu. Mon corps venait dire la loi de nos peaux. Les yeux de Kaël brûlèrent ma nuque, puis s’adoucirent. Tu es incendie et refuge. Ma marque pulsa à distance.Arna toussota.- Ils t’ont vue.Je levai le menton. À mesure que nou







