Les jours défilaient à vive allure. Depuis la soirée étudiante, Aurore s’était replongée corps et âme dans ses cours. L’université, avec ses exigences et ses découvertes, la passionnait de plus en plus. Entre les dissertations, les lectures à n’en plus finir, et les débats animés en classe, elle trouvait un équilibre qui la faisait grandir.
Ses moments de solitude, elle les passait souvent à la bibliothèque, un endroit calme où elle pouvait se perdre dans les mots. Il y avait une table, près d’une fenêtre en pierre, qu’elle avait adoptée comme sa place attitrée. De là, elle pouvait observer la cour intérieure, les feuilles qui tombaient lentement à l’automne, les étudiants pressés, et parfois, les visages familiers qui passaient sans la voir. Sarah et Lucas restaient ses piliers. Ils partageaient leurs repas, leurs fous rires, leurs baisses de régime. Mais malgré tout, Aurore sentait qu’un quelque chose flottait en elle depuis la soirée. Une image. Un regard. Celui de cet homme aperçu au bar. Elle ne l’avait pas oublié. Elle n’avait parlé de lui à personne. Pas même à Sarah. Ce serait ridicule. Après tout, ce n’était qu’un inconnu. Un homme plus âgé, peut-être dix ans de plus. Il ne lui avait même pas adressé la parole. Pourtant, il s’était logé dans un recoin de sa mémoire. Comme une question en suspens. Et puis, il y eut ce mercredi. Aurore avait terminé ses cours plus tôt que prévu et, plutôt que de rentrer dans sa chambre étudiante, elle décida de s’offrir un moment pour elle. Elle se dirigea vers un petit café discret qu’elle avait repéré quelques jours plus tôt, dans une ruelle calme à l’écart de l’agitation du campus. L’endroit semblait hors du temps : murs en pierre, lumière tamisée, fauteuils profonds en velours. L’odeur du café mêlée à celle des livres anciens créait une atmosphère rassurante. Elle s’installa près de la baie vitrée, sortit un livre et commanda un thé au miel. Autour d’elle, quelques clients solitaires, des ordinateurs ouverts, des pages qui se tournent. Le silence feutré du lieu lui plaisait. Elle était plongée dans sa lecture quand elle sentit un frisson lui remonter l’échine. Un pressentiment, presque animal. Elle releva doucement les yeux. Il était là. Assis deux tables plus loin. L’homme du bar. Il portait un manteau sombre, ouvert sur une chemise anthracite. Ses cheveux légèrement en bataille lui donnaient un air nonchalant, mais c’était surtout son regard qui captait l’attention. Froid. Intense. Il lisait un journal, l’air absorbé, mais Aurore sentait qu’il l’avait vue. Il ne leva pas les yeux vers elle. Pas tout de suite. Son cœur battait plus fort. Elle hésita à détourner le regard, mais quelque chose en elle refusa. Elle resta, droite, curieuse. Pas effrayée, mais troublée. Il était encore plus impressionnant à la lumière du jour. Quelque chose en lui respirait la maîtrise, la force contenue. Et l’absence totale de légèreté. Finalement, ses yeux croisèrent les siens. Pas un sourire. Pas un mot. Mais un échange. Un de ces instants silencieux, suspendus, où deux inconnus se reconnaissent sans se connaître. Elle baissa les yeux en première. Elle se sentit idiote, comme une gamine prise en faute. Pourtant, une chaleur étrange s’était logée en elle. L’homme replia calmement son journal, but une gorgée de son café, puis se leva. Son pas était lent, assuré. Avant de quitter le café, il s’arrêta un instant près de sa table. “Tu lis L’amant de Marguerite Duras.” Sa voix était grave, presque murmurée. Aurore releva les yeux, surprise par le tutoiement, mais incapable de répondre immédiatement. “Oui…” souffla-t-elle. “C’est pour un cours.” Il hocha doucement la tête, ses yeux plantés dans les siens. Il semblait peser ses mots. Ou se battre avec l’idée même de parler. “Ce livre te correspond.” Elle fronça les sourcils. “Pardon ?” “Il y a chez toi quelque chose… de silencieux, mais entier. Comme dans ce roman.” Il marqua une pause. “Fais attention aux hommes trop sûrs d’eux.” Elle eut un léger rire nerveux. “Et vous ? Vous êtes sûr de vous ?” Il eut un sourire fugace, à peine perceptible. “Disons que je sais qui je suis.” Et sans autre mot, il s’éloigna, franchit la porte du café, et disparut dans la lumière du jour. Aurore resta figée un moment. Elle ne savait pas ce qu’elle venait de vivre. Un flirt ? Une mise en garde ? Une énigme ? Elle savait seulement que quelque chose venait de s’ouvrir. Une porte. Et que cet homme, dont elle ne connaissait toujours pas le nom, avait laissé une empreinte plus marquante qu’elle ne l’aurait cru possible. ⸻ Les jours suivants, elle tenta de rationaliser. Ce n’était qu’un inconnu. Peut-être un habitué de la ville. Peut-être même quelqu’un de dangereux, qui sait ? Mais rien dans son attitude ne ressemblait à un prédateur. Il ne l’avait pas abordée avec insistance. Il n’avait rien demandé. Rien proposé. Il était venu, avait déposé quelques mots comme on pose une plume sur l’eau, puis s’était éclipsé. Pourtant, elle ne parvenait pas à l’oublier. Elle scrutait inconsciemment les rues, les vitrines, les silhouettes. Comme si elle espérait le croiser à nouveau. Elle se surprit même à retourner au café, seule, plusieurs jours d’affilée, sans but précis. Juste… au cas où. Lucas le remarqua. “Tu es bizarre ces temps-ci. Tu ne serais pas… en crush ?” Elle secoua la tête en riant. “Pas du tout.” Sarah, plus perspicace, observa son amie avec douceur. “Parfois, il suffit d’une étincelle. Même si on ne sait pas d’où elle vient.” Aurore haussa les épaules. Elle n’était pas prête à en parler. Pas encore. Ce serait lui donner trop d’importance. Et pourtant… ⸻ De son côté, Damien n’était pas resté indifférent. Il l’avait remarquée dès la soirée. Une silhouette différente, douce, sincère. Il n’était pas venu pour rencontrer quelqu’un ce soir-là. Il avait simplement accompagné un ami, un investisseur local qui sponsorisait une initiative étudiante. Il n’avait pas prévu de la remarquer. Et encore moins de penser à elle après. Mais elle l’intriguait. Il l’avait reconnue immédiatement au café. Il aurait pu ne rien dire. Poursuivre sa route. Mais il avait parlé. Un écart. Une faille dans la carapace. Il ne voulait pas se mêler à cette vie-là. Il avait trop vécu. Trop souffert. Il s’était construit seul, avec rage, avec douleur. Il n’était pas fait pour une fille comme elle. Trop pure. Trop entière. Et pourtant, il l’avait regardée. Il avait prononcé ces quelques mots. Il s’était autorisé un moment de vérité. Il ne connaissait pas encore son prénom. Et elle ne connaissait rien de lui. Mais parfois, les histoires commencent dans le silence.Les jours s’étaient transformés en mois, et le temps semblait s’écouler à une vitesse incroyable pour Damien et Aurore. Ils avaient construit un monde à eux, une petite bulle de bonheur au cœur de la tourmente qui avait jadis façonné la vie de Damien. Mais aujourd’hui, le passé n’avait plus de prise sur leur présent. Ensemble, ils formaient une famille qui respirait l’amour et la tendresse, un amour silencieux et pourtant si profond qu’il était palpable dans chaque geste, chaque regard.Damien était devenu un père exceptionnel. Il n’avait jamais envisagé la paternité de cette manière, mais Anna, leur petite fille, l’avait fait découvrir un amour qu’il n’avait jamais cru possible. Le matin, il se levait en douceur, veillant à ne pas réveiller Aurore, pour préparer le biberon d’Anna. Puis, avec des gestes tendres, il réveillait sa petite princesse, la couchant sur ses genoux pour lui donner son biberon, un sourire attendri aux lèvres. Il était un papa attentionné, un papa qui faisait to
Les jours avaient passé, les semaines s’étaient enchaînées, et Aurore sentait le poids du silence de Damien s’alourdir de manière insupportable. Il n’était plus aussi présent, même lorsqu’ils étaient ensemble. Il lui offrait des gestes tendres, mais derrière chaque sourire se cachait une forme de distance, comme une barrière invisible qu’il avait construite entre eux, qu’elle ne comprenait pas.Elle n’avait jamais été une personne impatiente, mais cette distance lui rongeait l’âme. La confiance qu’elle avait en Damien commençait à vaciller. Elle sentait bien qu’il lui cachait quelque chose. Elle avait beau être sensible à son besoin de garder des zones d’ombre, elle ne pouvait pas s’empêcher de vouloir le comprendre. Il avait partagé tant de choses avec elle, mais il restait toujours une zone de non-dit, un secret qu’il refusait de dévoiler.Un matin, alors qu’ils se retrouvaient dans le petit appartement de Damien, après qu’il l’ait prise dans ses bras pour un petit-déjeuner silencie
Après l’annonce de la grossesse, Aurore avait espéré que tout se déroulerait comme dans un conte de fées. Que Damien serait là pour elle, à chaque étape de cette aventure nouvelle. Mais, contrairement à ce qu’elle imaginait, quelque chose avait changé dans leur dynamique. Damien s’était peu à peu effacé, comme une ombre qui se dérobe dans la lumière.Les premiers jours après l’annonce étaient passés dans un tourbillon d’émotions. Aurore s’était sentie à la fois heureuse et terrifiée par cette nouvelle étape de sa vie. Mais ce qui la perturbait le plus, c’était l’attitude distante de Damien. À chaque fois qu’elle cherchait des réponses dans ses yeux, elle y trouvait un océan de silence, comme si tout ce qui s’était passé entre eux avant n’était qu’un lointain souvenir.Elle l’avait appelé plusieurs fois, mais ses appels semblaient se perdre dans le vide. Lorsqu’ils se voyaient, il était là physiquement, mais son regard était ailleurs, détaché, presque comme s’il était en train de s’éch
Les jours passaient comme un rêve éveillé pour Aurore. L’année scolaire touchait à sa fin, et le soleil printanier éclairait ses journées. Ses cours étaient bientôt terminés, et avec l’été qui approchait à grands pas, les derniers mois avaient été marqués par une passion grandissante entre elle et Damien. Les nuits qu’ils passaient ensemble, entre moments torrides et tendres câlins, semblaient suspendues dans une bulle d’amour intense. Tout était parfait, ou presque.Ce matin-là, cependant, quelque chose clochait. Alors qu’elle se levait pour partir en cours, Aurore ressentit une nausée soudaine qui la fit s’arrêter net dans son geste. Elle porta une main à sa bouche, sentant un léger vertige la saisir. Son estomac se tordait de manière étrange, comme si quelque chose n’allait pas. Elle essaya de balayer cette sensation et de se concentrer sur sa journée, mais plus elle y pensait, plus la nausée se faisait pressante.En arrivant à la fac, elle croisa Sarah, toujours aussi énergique et
Les jours qui suivirent l’ultimatum de Damien à Simon furent d’une étrange tranquillité. À première vue, la menace semblait s’être dissipée, mais Aurore savait au fond d’elle que Simon n’avait pas renoncé. Il avait l’habitude d’obtenir ce qu’il voulait, d’imposer sa présence, de contrôler les situations. Mais cette fois, quelque chose semblait avoir changé.Un matin, alors qu’Aurore se dirigeait vers la fac, elle aperçut Simon pour la dernière fois, accoudé contre un poteau, observant l’horizon avec un air pensif. Il la fixa un instant, comme pour lui dire adieu, mais sans un mot. Puis il tourna les talons et s’éloigna sans même un dernier regard.Aurore resta figée, son cœur battant la chamade. Ce geste, ce silence, était comme une libération. Simon n’était plus là, il avait disparu de sa vie. Bien sûr, la peur persistait encore dans un coin de son esprit, mais au fond d’elle, elle savait qu’elle pouvait désormais respirer librement. Damien avait fait ce qu’il fallait pour qu’elle so
Les jours qui suivirent l’altercation entre Simon et Damien furent tendus. Aurore n’arrivait pas à oublier la violence qui se dégageait de Simon, cette froideur qu’il avait laissée derrière lui. Il continuait à la suivre de près, ses gestes de plus en plus intrusifs, ses regards de plus en plus insistants. Damien l’avait menacé, mais la menace semblait n’avoir eu que peu d’effet. Simon n’était pas le genre d’homme à reculer facilement.Ce soir-là, Aurore était en route vers sa voiture après un cours tardif. La nuit était tombée, et la rue où elle se trouvait était déserte. Elle accéléra le pas, mais une sensation étrange s’empara d’elle, comme si quelqu’un l’observait. Elle se retourna brièvement et aperçut Simon qui s’avançait à grands pas, un sourire qui lui glaça le sang sur les lèvres.— Tu es toujours aussi pressée de partir, Aurore, dit-il d’une voix basse, un ton presque mielleux. Tu sais, je pourrais t’accompagner, si tu veux. Il n’y a pas de mal à vouloir un peu de compagnie.
Les jours suivant la déclaration de Damien étaient étranges pour Aurore. D’un côté, elle ressentait cette vague de sécurité et de confort en étant avec lui, mais de l’autre, une part d’elle ne pouvait s’empêcher de réfléchir à l’évolution de leur relation. Elle n’avait pas l’habitude de vivre une histoire aussi intense, aussi passionnée. Damien était différent de tous les hommes qu’elle avait rencontrés, avec ses silences, ses regards envoûtants et sa manière de la protéger, de la tenir à l’écart des dangers… Mais il y avait aussi cette part d’ombre, ce secret qu’il n’avait jamais révélé, qui laissait Aurore dans l’incertitude, même si elle l’aimait plus que tout.Simon, de son côté, ne cessait de hanter ses pensées. Bien qu’Aurore lui ait clairement dit qu’elle ne recherchait pas plus qu’une amitié, il semblait de plus en plus insistant. Un jour, alors qu’elle quittait le cours de psychologie, elle le retrouva devant la porte, attendant visiblement qu’elle sorte.— Salut, Aurore. Il
Les semaines passaient à une vitesse folle. Aurore se sentait de plus en plus ancrée dans sa nouvelle vie d’étudiante. Ses cours étaient enrichissants, ses amitiés se renforçaient, et la relation avec Damien continuait à évoluer dans un cadre intime, fait de gestes tendres, de promesses murmurées et de silences lourds de non-dits. Ils n’avaient jamais parlé de l’avenir, mais ils semblaient avancer, main dans la main, dans la même direction.Un jour, lors d’un cours de psychologie, Aurore fit la connaissance de Simon, un étudiant de sa promotion. Il était assis juste à côté d’elle et avait un sourire charmeur, un regard franc et une énergie débordante. Ils commencèrent à discuter à la fin du cours, échangeant des idées sur la matière, puis, petit à petit, des sujets plus personnels. Aurore appréciait sa compagnie. Simon était intelligent, drôle et attentionné, mais ce qu’elle ne comprit pas tout de suite, c’est qu’il avait vu dans cette complicité amicale quelque chose de bien plus int
Les jours qui suivirent le déjeuner chez les parents de Damien furent un tourbillon de moments partagés, d’instants volés dans la quiétude de la relation naissante entre Aurore et lui. Les petites attentions se multipliaient. Chaque rencontre, chaque échange devenait une promesse silencieuse. Mais, dans l’ombre, un événement du passé de Damien commençait à se profiler, menaçant l’équilibre fragile qu’ils avaient instauré.Aurore, elle, ne voyait que la surface. L’homme qu’elle apprenait à connaître petit à petit lui apparaissait comme un être complexe, mais attachant. Il y avait ce mystère qui l’entourait et la fascinait, mais aussi une douceur qui la rassurait. Damien semblait lui offrir davantage de son temps, de sa confiance. Parfois, il laissait échapper de petites bribes de son passé, des gestes, des regards, mais il n’y avait jamais de mots clairs. Elle n’insistait pas. Il y avait quelque chose dans l’air, dans la manière dont il la regardait parfois, comme si son passé – un pas