Chapitre 3
Ragnar
La brise glaciale du fjord fouettait mon visage alors que je me tenais sur la muraille de Frostgard, mon village fortifié perché sur les falaises abruptes. Ce lieu n’était pas seulement un refuge pour mes guerriers : c’était le royaume de Ragnar Thorne, le lieu où ma cruauté avait été forgée, et d’où j’imposais ma loi. Chaque habitant, chaque voyageur, connaissait mon nom. Ragnar Thorne n’était pas seulement un chef de guerre : j’étais une légende vivante, un nom que l’on chuchotait avec respect et peur.
À mes côtés, Eirik, mon ami de toujours et confident, observait les navires au loin. Sa présence me rassurait, car il comprenait les zones d’ombre que je cachais à tous, y compris celles que je refusais d’admettre à moi-même.
— Il fait froid, dit-il calmement, les yeux fixés sur l’horizon.
— Comme toujours, répondis-je, sans détourner le regard. Frostgard est fait pour survivre, pas pour se complaire.
Je savais que chaque guerrier sous mes ordres respectait mes décisions, craignait mes colères, et admirait ma force. Mais aujourd’hui, même au sommet de mon pouvoir, une pensée me dérangeait, un nom qui refusait de quitter mon esprit : Elin Storm. La jeune femme que j’avais capturée à Branvik. La fille du village que j’avais réduit en cendres.
Depuis ce jour, elle était tombée sous ma garde, mais malgré la haine que je devais ressentir pour elle, une fascination étrange me consumait. Elle était belle, farouche, insoumise. Ses yeux verts me défiaient sans cesse, comme si elle voulait me rappeler que je n’étais pas tout-puissant. Ses cheveux noirs, tombant en cascade sur ses épaules, et sa posture fière étaient un affront silencieux à ma domination. Et plus je la regardais, plus je sentais ce mélange de haine et de curiosité grandir en moi.
— Elle te trouble, Thorne, dit Eirik, sans détourner les yeux de moi.
— Elle est insupportable, répondis-je sèchement, mais elle est la seule que je ne peux ignorer.
Eirik hocha la tête. Il savait. Il savait que cette haine mêlée de fascination me rongeait. Branvik était mort, mais cette fille résistait, debout malgré tout. Sa force me dérangeait autant qu’elle m’attirait.
Je me tournai vers le village que j’avais bâti ici, Frostgard. Les rues étaient vivantes, les habitants vaquaient à leurs occupations avec prudence et respect. Plusieurs jeunes femmes m’avaient déjà observé, certaines avec admiration, d’autres avec un intérêt plus clair. Elles voyaient en moi le chef, le guerrier, l’homme puissant qui pouvait protéger et imposer sa loi. Certaines me souriaient, espérant attirer mon attention, et je devais admettre que ces regards flatteurs avaient un effet sur moi… mais aucun ne me capturait autant que les yeux d’Elin.
Et puis il y avait Sigrid une femme audacieuse, tenace, qui refusait de s’avouer vaincue. Elle voulait me séduire à tout prix. Chaque jour, elle tentait des approches, des sourires calculés, des gestes subtils pour attirer mon attention. Mais rien ne pouvait remplacer le frisson que provoquait la présence d’Elin. Rien ne pouvait me troubler autant que ce mélange de haine et de défi qu’elle incarnait.
Je me souvins de Branvik, des flammes qui dévoraient le village, des cris, de la terreur. Et pourtant, parmi les cendres, elle avait survécu. Elle était tombée entre mes mains, captive, et je devais l’admettre : je la désirais d’une manière que je ne comprenais pas. Son esprit rebelle, sa fierté, son courage… elle était différente de toutes les autres femmes que j’avais croisées. Elle ne me suppliait pas, elle ne gémissait pas. Elle restait debout, même enchaînée. Et cette résistance, cette force intérieure, m’obsédait.
— Elle ne se pliera jamais, dit Eirik, les yeux plissés.
— Je sais, répondis-je, et c’est ce qui me dérange le plus.
Je me souvenais de chaque détail de ce jour à Branvik. La manière dont elle avait défié mes hommes, le courage insolent dans ses yeux, la façon dont elle refusait de céder à la peur. Depuis, je la gardais captive à Frostgard, mais je sentais que rien ne pourrait briser sa volonté. Et plus je la voyais, plus je comprenais qu’elle était le seul être capable de troubler mon esprit de Viking.
Sigrid et les autres jeunes femmes du village n’étaient que des distractions. Elles me désiraient, mais elles ne me défiaient pas, elles ne m’obsédaient pas. Elin, elle, occupait chaque pensée, chaque souffle, malgré ma rage. Je la haïssais pour ce qu’elle représentait, pour sa beauté qui me perturbait, pour sa force qui me rappelait tout ce que j’avais détruit, mais je ne pouvais détourner le regard.
Je descendis dans la cour de Frostgard, où mes guerriers s’entraînaient. Le bruit des épées contre les boucliers, le martèlement des pieds sur le sol de pierre… c’était le monde que je maîtrisais. Mais dans mon esprit, Elin Storm était toujours là, captive dans la pièce voisine, ses yeux verts me défiant encore et encore. Et je devais admettre que cette captivité, si nécessaire soit-elle, ne calmait pas ma fascination pour elle.
— Thorne, tu ignores ton propre trouble, murmura Eirik en s’approchant.
— Peu importe, répondis-je. Elle reste à ma merci. Tant qu’elle est captive, tout est sous contrôle.
Et pourtant, je savais que ce contrôle était fragile. Plus je la voyais, plus je percevais cette tension entre nous, ce mélange étrange de haine, de défi, et peut-être, je refusais de l’admettre, de désir. Frostgard pouvait être mon royaume, Branvik était mort, mais Elin Storm restait un mystère que je ne pouvais ignorer.
Sigrid, avec sa ténacité, tentait encore et encore de m’approcher, mais mes pensées revenaient toujours à Elin. Je la regardais à travers la fenêtre, assise dans sa chambre de pierre, ses chaînes luisant sous la lueur des torches. Ses yeux me transperçaient, et je sentais cette haine muette qu’elle me lançait comme un défi. Je devais la dominer, la contrôler, et pourtant… je me surprenais à étudier chaque mouvement, chaque respiration, chaque étincelle de courage dans ses gestes.
— Elle est impossible à ignorer, dis-je finalement à Eirik, la mâchoire serrée.
— C’est exactement ce que je te disais, répondit-il calmement. Elle est tout ce qui pourrait te déstabiliser, Thorne.
Je serrai les poings, laissant cette tension se transformer en une énergie que je pouvais canaliser. Elle devait rester captive. Elle devait rester sous mon contrôle. Frostgard était mon royaume, mes règles étaient absolues, et pourtant, cette fille, Elin Storm, défiant tout, captivait mon esprit comme aucune autre.
Alors que la nuit tombait sur Frostgard, je me tenais à la fenêtre de ma salle, regardant les flammes dans les cheminées des maisons, les silhouettes des jeunes femmes du village qui cherchaient à attirer mon attention. Sigrid en particulier, avec ses yeux insistants et son sourire calculé, cherchait à me séduire. Mais aucune d’elles ne pouvait rivaliser avec la force et la beauté de ma captive. Elle était le feu dans mon monde glacé, et je refusais de l’admettre, mais elle était devenue une obsession silencieuse, un défi que je n’avais jamais rencontré auparavant.
Chapitre 85 Épilogue**Ragnar**Le vent marin portait jusqu’à moi des effluves de sel et d’algues, ce parfum âpre qui m’avait toujours rappelé les lendemains de batailles et les départs en mer. Mais ce matin-là, il avait une autre résonance. Il n’éveillait plus seulement le guerrier en moi : il résonnait comme une promesse de vie, une bénédiction que les dieux eux-mêmes semblaient souffler sur mon foyer. J’étais debout, au seuil de notre maison, et mon regard embrassait l’horizon. Mon village, jadis marqué par la rudesse, semblait s’être adouci. Les rires d’enfants résonnaient plus fort, les hommes travaillaient avec une vigueur nouvelle, et les femmes laissaient parfois s’échapper des chansons, comme si une ère différente avait commencé.Et au centre de cette paix, il y avait **elle**. Ma femme. Ma guerrière de lumière. La jeune femme qui, autrefois étrangère, captive, avait su transformer mon monde de fer et de sang en un royaume de chaleur et d’espérance. Et à présent, elle portai
Chapitre 84**Elin**Je n’avais jamais cru que le bonheur pouvait être aussi doux, aussi vaste, aussi lumineux qu’en cet instant où je découvrais que la vie grandissait en moi. Cette nouvelle avait éclaté dans la salle des festins comme un tonnerre, mais pour moi, elle avait résonné comme une douce mélodie que seul mon cœur pouvait vraiment entendre.J’étais assise encore, soutenue par les mains de mon mari, ce Viking qui, quelques lunes auparavant, m’avait arrachée à mon ancienne vie pour bouleverser la mienne à jamais. Ragnar m’observait avec un mélange de fierté et d’émerveillement, et je lisais dans ses yeux clairs quelque chose que je n’avais jamais vu chez lui auparavant : une tendresse infinie, une promesse silencieuse qu’il serait là pour moi, pour cet enfant, pour nous.Je portais en moi un héritier, une vie nouvelle, une flamme que rien ni personne ne pourrait éteindre. L’idée seule me faisait tourner la tête de bonheur.Je caressai doucement mon ventre encore plat, comme s
Chapitre 83**Ragnar**Jamais je n’aurais cru que la vie puisse m’offrir un tel moment. J’avais déjà connu la gloire des batailles, la victoire contre des ennemis qui semblaient invincibles, l’honneur des chants élevés en mon nom autour des feux du soir. Mais rien, absolument rien, ne pouvait égaler ce que je ressentais à cet instant.Mon épouse venait à peine de prononcer ses vœux, et déjà, les dieux semblaient vouloir marquer notre union d’un sceau plus fort encore. Alors que la fête battait son plein, que les villageois dansaient, riaient et buvaient à notre santé, elle s’était soudain effondrée, son corps frêle glissant comme une feuille balayée par le vent. Mon cœur s’était arrêté. Je croyais qu’Odin lui-même m’arrachait mon bonheur à peine trouvé.Mais les guérisseuses s’étaient précipitées, les femmes l’avaient entourée, et après quelques instants d’angoisse, la nouvelle avait éclaté, telle une foudre claire au milieu de l’orage : **elle portait en elle la vie. Elle portait mo
Chapitre 82**Elin**Le matin de mon mariage, je crus un instant que tout cela n’était qu’un rêve. Lorsque j’ouvris les yeux, la lumière douce de l’aube baignait la pièce, faisant danser des reflets dorés sur les murs de bois. Mon cœur battait à tout rompre, partagé entre une joie immense et une peur sourde. Moi, l’étrangère rejetée autrefois par ce village, j’allais aujourd’hui devenir l’épouse de leur chef, leur Viking redouté et respecté.Les femmes du clan m’avaient réveillée tôt pour me préparer. Elles avaient tressé mes cheveux avec des rubans clairs, y avaient glissé de petites fleurs sauvages cueillies à l’aube. Ma robe n’avait rien à voir avec celles que j’avais connues dans mon pays natal : elle était faite de lin blanc, brodée à la main par certaines villageoises, preuve que peu à peu j’avais gagné leur estime. En me regardant dans le miroir poli, je ne reconnus pas celle que j’étais : mes yeux brillaient d’une lueur nouvelle, mélange de tendresse et de force.Dehors, les
Chapitre 81**Ragnar**Le village respirait à nouveau, comme si un souffle de vie était revenu après la tempête. Les combats avaient laissé leurs marques : des barricades brisées, des maisons endommagées, des traces de sang séché sur la terre battue, et des armes abandonnées jonchaient encore certains chemins. Mais malgré ces vestiges du chaos, je sentais la paix et la fierté s’installer autour de moi. La bataille était terminée, Sigrid était capturée, et Elin… ma fiancée, se tenait près de moi, rayonnante et invincible comme toujours.Depuis ma demande, je n’avais jamais été aussi conscient de ce que signifiait ce village pour nous. Chaque regard échangé avec les habitants, chaque sourire qui me revenait, me rappelait que cette union n’était pas seulement pour Elin et moi, mais aussi pour tous ceux qui avaient vécu la peur, la terreur et l’incertitude à nos côtés. Et maintenant, nous allions célébrer la vie, la paix, et un nouveau départ.Je me tenais sur la place centrale, observant
Chapitre 80**Elin**Le village respirait enfin. Après des jours de combats, de peur et d’incertitude, un calme presque irréel s’était installé. Les cris des batailles avaient été remplacés par le bruissement des pas des villageois, par le murmure des voix qui reprenaient courage, et par le crépitement des foyers que l’on rallumait. Les blessures étaient soignées, les maisons inspectées et réparées sommairement, et les regards, encore empreints de fatigue, retrouvaient peu à peu la sérénité.Je marchais lentement au milieu de la place centrale, le corps encore tendu par l’adrénaline. Sigrid était enfin capturée. Elle ne pourrait plus nuire ni ici, ni ailleurs. La tension qui m’avait accompagnée depuis tant de jours se dissolvait peu à peu. Mais ce n’était pas uniquement la satisfaction d’avoir vaincu une ennemie qui me remplissait : c’était la conscience que j’avais pris une décision juste et définitive, celle qui assurait la sécurité du village et de ceux que j’aimais. Je sentais un