David
L’odeur qui s’échappe de la trappe est suffocante. Un mélange de sel, de moisissure… et de quelque chose d’autre. Quelque chose d’ancien, de fétide. Comme si le bois avait absorbé des siècles de sang, de peur, de secrets.
Une ombre ondule sous nos pieds, tremble avec les secousses du navire. Elle semble vivante.
J’hésite.
Briggs serre son sabre, ses jointures blanchies par la tension.
Joren me jette un regard inquiet. Son front est couvert de sueur, malgré la fraîcheur de l’air.
— On n’est pas obligés de descendre, capitaine, dit-il d’une voix trop basse pour être une véritable objection.
Je le sais. Mais une force me tire en avant, irrésistible. Quelque chose en moi murmure que
DavidIl y a ce silence. Celui d’après la tempête, quand tout s’écroule à l’intérieur et que le monde continue de tourner comme si rien n’avait changé.Mais moi, je ne bouge pas.Je ne peux pas.Velasquez est là. En face de moi.Et tout mon corps hurle de fuir.Chaque instinct me supplie de courir, de me jeter à l’eau, de me dissoudre dans l’obscurité du large. Mais je reste. Cloué. Pétrifié.Ses yeux.Ce ne sont pas des yeux humains. Ce sont des braises vivantes, des puits sans fond où grouillent les vestiges d’un monde oublié. Des lambeaux de mémoire ancienne. Des serments de sang. Des cris d’enfants et des promesses d’éternité.Il me regarde… non. Il me traverse. Comme si m
DavidL’odeur qui s’échappe de la trappe est suffocante. Un mélange de sel, de moisissure… et de quelque chose d’autre. Quelque chose d’ancien, de fétide. Comme si le bois avait absorbé des siècles de sang, de peur, de secrets.Une ombre ondule sous nos pieds, tremble avec les secousses du navire. Elle semble vivante.J’hésite.Briggs serre son sabre, ses jointures blanchies par la tension.Joren me jette un regard inquiet. Son front est couvert de sueur, malgré la fraîcheur de l’air.— On n’est pas obligés de descendre, capitaine, dit-il d’une voix trop basse pour être une véritable objection.Je le sais. Mais une force me tire en avant, irrésistible. Quelque chose en moi murmure que
DavidLe silence nous encercle, épais comme un suaire. L'épave repose devant nous, prisonnière des falaises, et pourtant, elle semble vivante. Une respiration invisible parcourt ses planches, un souffle venu d’ailleurs.Briggs serre son sabre, Joren scanne les alentours. Esteban, lui, reste impassible.— C'est ici que tout a commencé.Sa voix est basse, mais elle fend l'air comme une lame.— Qu’est-ce que tu veux dire ? demandé-je.Il s’avance et pose la main sur le bois noirci du navire.— Cette épave… elle n’est pas seulement un vestige. C’est une tombe.L’Appel du PasséLe vent hurle entre les falaises, soulevant des vagues qui viennent lécher la roche avec une fureur contenue. Chaque pas que nous faisons résonne contre la coque, comme si l’épave elle-même retenait son souffle.Je m’approche lentement, scrutant les gravures à moitié effacées sur le bois. Un nom, à peine visible sous la mousse et le sel.La Rosa Negra.Un frisson me parcourt.— Je connais ce nom…Briggs et Joren éch
DavidLes mots d’Esteban flottent encore dans l’air, suspendus entre nous comme une promesse impossible.— Votre loyauté, capitaine. Rien de plus.Je ne réponds pas immédiatement.Autour de nous, le silence est étrange. Comme si la ville elle-même retenait son souffle. Derrière moi, Joren s’agite. Briggs croise les bras, son regard lancé sur l’inconnu.Je fais un pas en avant.— Et si je refuse ?Un sourire étire les lèvres d’Esteban.— Vous n’êtes pas homme à refuser ce qui pourrait sauver votre peau.Je serre les dents. Cet homme me connaît trop bien.Mais je ne suis pas dupe.— Parlez.
DavidLa mer s’apaise, mais l’équipage reste figé. Le silence est un poids lourd, pesant sur nos épaules comme une menace latente. Les vagues se retirent lentement, laissant derrière elles une mer d’huile, calme, trop calme.Je suis à genoux, le souffle court. La marque sur ma main a noirci, brûlée par l’affrontement. J’ai réussi à la repousser, mais je sais que ce n’est qu’une victoire temporaire.— Capitaine ?Joren s’appuie sur le gouvernail, le front couvert de sueur. Son flanc saigne toujours, une tâche sombre s’élargissant sur sa chemise.— C’est fini ? demande-t-il d’une voix rauque.Je serre les dents.— Non.Et il le sait aussi.L’Ombre PersistanteL’équipage s’affaire, mais personne ne parle. Les visages sont tendus, blêmes. Ils ont vu ce que moi seul affrontais d’habitude. Ils ont entendu cet appel, ce murmure venu des abysses.— Les voiles ! Réparez les dommages ! aboie Briggs, tentant de redonner un semblant d’ordre.Mais même lui a la voix tremblante.Je me relève lentem
DavidLe vent hurle autour de moi, fouettant le pont comme un fou furieux. L’équipage lutte pour ne pas être emporté, s’accrochant aux cordages et aux mâts qui craquent sous la pression. La mer s’est levée, déchaînée, creusant des vagues hautes comme des falaises. Mais au centre de tout cela, elle reste immobile.L’ombre.La créature.Non.L’incarnation du pacte que j’ai scellé, du destin qui m’attend.— David…Son murmure me transperce, coule sous ma peau comme une encre maudite.— Non !J’arrache mon bras à son emprise. Un éclat de lumière jaillit de la marque sur ma paume, projetant une lueur irréelle entre nous. La créature recule d’un pas, et son sourire se tord.— Tu refuses encore ?Sa voix gronde, résonne dans l’air comme un tonnerre sourd.L’eau tourbillonne autour d’elle, et une colonne liquide s’élève, spirale monstrueuse prête à s’abattre sur le navire.L’équipage panique.— Capitaine, faites quelque chose ! hurle Joren, toujours à terre, le souffle court, une main pressée
DavidLe chant ne cesse pas. Il pulse dans mon crâne, résonne sous ma peau, s’insinue dans mes os comme un poison insidieux. Chaque note est une caresse glaciale sur mon esprit, un murmure qui m’effleure et me consume.Autour de moi, l’équipage retient son souffle. Tous ont vu ce que j’ai vu. Cette mer morte, ce ciel effacé, cette chose qui m’a regardé à travers mon propre reflet.Mais ils ne l’ont pas entendu.Ce chant ne s’adresse qu’à moi.Je ferme les yeux un instant. Mon cœur bat trop fort, trop vite.Contrôle-toi.Respirer. Ne pas sombrer.J’ouvre les paupières. La nuit est toujours là, dense, lourde, absolue. Les étoiles n’ont pas reparu. Le silence, lui, est revenu, oppressant, plus pesant encore que les murmures.Puis, un bruit.Un craquement.La CorruptionJe tourne la tête. Le bois du pont continue de noircir. L’érosion avance à une vitesse anormale, comme si des siècles passaient en un battement de cils.— Éloignez-vous de là ! ordonné-je.Les marins hésitent avant d’obéir
DavidL’eau m’arrache l’air des poumons. Un silence absolu m’entoure, plus dense que tout ce que j’ai connu. Pas un bruit, pas une vibration. Juste l’immensité noire, infinie, qui m’attire vers le fond.Mes bras s’agitent par réflexe, mais il n’y a ni haut ni bas. L’eau n’est pas froide. Elle est absente. Une matière qui n’en est pas une, un gouffre qui me retient sans jamais me porter.Je descends.Ou est-ce le monde qui s’élève au-dessus de moi ?Les ténèbres s’épaississent. Une masse informe se dessine, immense, démesurée. Elle ne brille pas. Au contraire, elle absorbe la lumière qui ne devrait même pas exister ici.Puis, elle s’ouvre.L&
DavidL’appel ne s’arrête pas. Il s’insinue dans mon esprit, rampant comme une marée noire qui s’étale sur le sable. Je serre les dents, tentant de chasser cette voix qui me hante, mais elle s’accroche à moi comme une ancre.— David… Tu ne peux pas fuir.Je me redresse, le souffle court, mes doigts crispés sur le bois du bastingage. L’air est lourd, chargé d’un silence pesant. Tout semble figé, comme si le monde retenait son souffle.L’océan s’étale devant moi, immense et impénétrable. Mais sous cette surface tranquille, quelque chose veille. Quelque chose m’attend.Les Signes— Capitaine !La voix de Joren brise le silence, me ramenant à la réalité. Il accourt vers moi, l’air préoccupé.— On a un problème.Je me tourne vers lui, refoulant les ténèbres qui me rongent.— Quoi encore ?Il me désigne le ciel. Je lève les yeux et mon sang se glace.Les étoiles ont disparu.Aucune lueur ne brille dans l’immensité nocturne. Comme si une main invisible avait effacé la voûte céleste.Joren av