David
Je ne peux pas dormir.
Les mots de mon grand-père résonnent dans ma tête.
"Elles ne s’arrêteront pas. Il faut que tu sois prêt."
Qu’est-ce que ça veut dire ? Prêt à quoi ?
Je me redresse sur mon lit, le souffle court. La sueur colle mes vêtements à ma peau. La chambre est plongée dans l’obscurité, seulement troublée par le reflet de la lune sur le sol.
Puis, un bruit.
Un chuchotement.
Je tends l’oreille.
C’est dehors.
Le vent souffle, mais ce n’est pas le vent qui parle.
Je me lève lentement.
Je ne veux pas y aller, mais quelque chose m’y pousse.
Je pose la main sur la poignée de la porte.
Ma paume est moite.
J’ouvre.
Le couloir est vide.
Mais je sens une présence.
Je descends les marches avec précaution, mon cœur battant à tout rompre.
En bas, la grande porte qui donne sur la cour est entrebâillée.
Quelqu’un est sorti.
J’hésite.
Et puis, j’entends mon nom.
Un murmure.
— David…
Je sursaute.
La voix vient de dehors.
Je ne devrais pas y aller.
Mais je n’ai pas le choix.
---
La nuit est froide.
La cour est plongée dans l’ombre, mais la lune éclaire faiblement les contours de la maison.
Et là, devant moi, une silhouette se dresse.
C’est elle.
Le Corbeau.
Son visage est à moitié caché par l’obscurité, mais je devine son sourire.
— Tu es venu.
Sa voix est douce, presque chantante.
Je recule instinctivement.
— Que me voulez-vous ?
Elle penche la tête sur le côté, amusée.
— Tu le sais déjà.
Je secoue la tête.
— Non.
— Si.
Elle s’avance d’un pas.
Je sens un frisson glacial parcourir mon dos.
— Tu es des nôtres, David.
— Je ne suis pas comme vous.
Elle rit doucement.
— Pas encore.
Son ombre s’étend autour d’elle, s’allongeant comme des ailes immenses.
La Mouche Tsé-Tsé et le Hibou apparaissent derrière elle, leurs regards brillants dans l’obscurité.
— Nous sommes ta famille.
Je serre les poings.
— Ma famille, c’est mon grand-père.
Le Corbeau sourit.
— Ton grand-père t’a caché la vérité.
Mon estomac se noue.
— Quelle vérité ?
Elle lève un doigt vers mon bras.
— Regarde.
Je baisse les yeux.
La marque est toujours là.
Mais elle a changé.
Elle est plus sombre.
Et elle vibre.
Comme si elle était vivante.
Je recule d’un pas, paniqué.
— Qu’est-ce que vous m’avez fait ?!
Le Hibou murmure d’une voix douce :
— Ce qui devait être fait.
— Non…
La Mouche Tsé-Tsé s’avance à son tour.
— Ton sang t’a choisi, David.
— Je ne veux pas !
Le Corbeau s’approche encore, et je sens son souffle froid sur ma peau.
— C’est trop tard.
Elle tend la main.
Je veux fuir.
Mais mes jambes ne bougent plus.
Un courant glacé me traverse, et tout devient noir.
---
Quand je rouvre les yeux, je suis dans un autre endroit.
Un temple ancien.
Des colonnes immenses s’élèvent autour de moi, couvertes de symboles que je ne comprends pas.
Le sol est noir, luisant comme du verre.
Et au centre…
Un trône.
Un immense trône d’obsidienne.
Et dessus, une silhouette.
Un homme.
Il est drapé de noir, son visage caché sous une capuche.
Mais ses yeux brillent.
D’un rouge incandescent.
Il me regarde.
Puis, il parle.
— Enfin, tu es là.
Sa voix est profonde, résonnant dans tout mon être.
Je tremble.
Je ne sais pas où je suis.
Je ne sais pas qui il est.
Mais au fond de moi, je sens une chose.
Une seule.
Il me connaît.
Et il m’attendait.
NALIAJe croyais que je ne pourrais plus jamais me détendre.Pas vraiment. Pas jusqu’au bout.Mais il est là.Et moi, je ne fuis plus.On a fermé la porte.On a laissé le monde dehors.Et dans cette chambre blanche, impersonnelle, presque clinique, quelque chose pulse doucement.Comme une chaleur qu’on n’attendait pas.Je suis toujours assise sur le lit, dos droit.Lui, debout près de la fenêtre.Son profil dans la pénombre.La ligne de sa mâchoire.La tension de ses épaules.— Tu peux t’asseoir, je murmure.Il tourne la tête vers moi.Il hésite.Puis s’approche.Il s’assoit.Pas trop près.Mais plus aussi loin qu’avant.Je me tourne vers lui.Je tends la main.Et il la prend.Ses doigts sont rugueux, calleux. Mais chauds.Vivants.DAVIDJe ne sais pas qui fait le premier geste.Peut-être elle.Peut-être moi.Mais nos souffles se rejoignent.Et cette fois, je n’ai plus peur.Elle est là.Devant moi.Entière. Forte. Fragile.Elle me regarde comme si elle n’attendait rien.Mais je vois.
NALIALe Bastion apparaît au détour d’un virage.Massif.Gris.Presque brutal.Ses murailles déchirent l’horizon comme un rappel : ici, on ne vient pas chercher la paix.On vient s’en mériter un fragment.À force de preuves.De silence.De survie.David s’est arrêté. Kael aussi. Lioren, essoufflé, laisse tomber son sac au sol avec un soupir rauque. Son visage est pâle, ses traits tirés. Il a perdu du poids, beaucoup trop. Mais il tient encore. Comme nous tous.Moi, je reste immobile.Je la connais, cette citadelle.Pas celle-là, précisément.Mais ses sœurs. Ses copies. Ses clones.Ces forteresses dressées à la hâte pendant la guerre.Remplies de soldats usés. De chefs paranoïaques.De civils triés. Catalogués. Brisés.Je n’ai aucune certitude qu’on nous laissera entrer.Encore moins qu’on nous y accueillera.Et pourtant, j’avance.Parce que cette fois, je ne suis pas seule.Les portes sont gardées.Quatre hommes. Uniformes gris. Visages fermés. Armes levées.Ils nous mettent en joue s
NALIALe vent s’est levé.Un vent froid, venu des hauteurs, chargé d’aiguilles de givre et de poussière d’hier.Mais il ne me fait pas peur. Il balaye juste les dernières bribes du passé que je traîne encore sur ma peau.Nous avons atteint la crête.Kael a pris un peu d’avance. Lioren, derrière moi, respire fort, le souffle haché mais volontaire.Et David…David marche à mes côtés, comme il le fait depuis plusieurs jours maintenant.Il ne cherche pas à dominer l’espace.Il n’impose rien.Il est là, simplement.Et c’est peut-être ça, la plus grande force qu’on puisse offrir à quelqu’un.Je ne lui ai pas dit merci.Pas encore.Mais je crois qu’il l’a lu quelque part, entre mes gestes.Quand nous arrivons au sommet, le ciel se fend en deux.Un nuage se déchire, et pour la première fois depuis longtemps, la lumière est franche.Claire.Sans filtre.Et devant nous, à l’horizon, le Bastion.Pas encore tout proche.Mais visible.Solide.Un élan traverse notre petit groupe.Un souffle commun.
DavidLe jour se lève lentement, gris et diffus. Pas de chant d’oiseau. Juste le craquement discret des feuilles sous nos pas, la respiration lourde de Lioren derrière moi, et le souffle calme de Nalia quelque part sur ma droite. La forêt s’étire, nue, humide, oppressante.Nous avons marché des heures sans un mot.Et pourtant, je sens sa présence comme une constante.Elle ne parle pas, Nalia. Pas vraiment. Elle observe. Elle écoute. Et parfois, elle écrit. Des petits signes dans la terre, des notes griffonnées sur un coin de page abîmée, des traces que je devine pleines de souvenirs qu’elle ne dit pas.Quand elle dort, elle garde la main posée sur son sac. Comme un talisman. Comme si elle craignait qu’on lui vole ce qu’elle a de plus précieux : peut-être une lettre, une photo, une trace de ce qu’elle était avant.Je ne pose pas de questions.Pas encore.Mais je la regarde. Et elle le sait.NaliaIl marche devant moi, droit, silencieux. Il ne comble pas le vide de mots inutiles. Et c’e
DavidLe silence se brise d’un souffle. Un pas trop rapide, une branche qui craque net sous un poids invisible. Je m’accroupis d’instinct, la lame entre les doigts, Kael figé un peu plus loin, son bras levé pour stopper net notre progression. Lioren se dissimule derrière un tronc, sa respiration suspendue.Un murmure glisse entre les arbres.Pas une bête. Une voix.Humaine.— Ne tirez pas.Je me tourne lentement. La nuit est trouble, mais la lune filtre à travers les feuillages. Là, à quelques pas, surgit une silhouette frêle, les mains levées en signe de paix. Une femme. Je plisse les yeux.Elle est jeune, couverte de terre et de sang séché, les cheveux emmêlés, un regard perçant malgré l’épuisement. Elle semble sortie tout droit d’un rêve brisé.Son visage porte les traces de cendres, de larmes séchées, de solitude. Une survivante. Une écorchée.— Qui es-tu ? demande Kael, sa voix rauque de tension.— Nalia, souffle-t-elle. Je viens du hameau de Virebois. Ils… ils ont tout détruit.
DavidNous plongeons derrière un massif d’arbres, nos souffles retenus, nos cœurs battant en un rythme sauvage. Une silhouette s’avance, presque spectrale, dessinée par les faibles rayons de la lune : un homme grand, au visage buriné, couvert d’une barbe hirsute, tenant une hache grossièrement taillée. Son regard est sauvage, dur, mais curieux.Nos yeux se croisent. Le temps semble suspendu. La peur s’insinue en moi comme un poison glacial, mais je refuse de céder. Je serre les poings, le sang battant dans mes tempes, prêt à affronter ce moment crucial.L’homme avance lentement, d’une voix rauque :— Qui êtes-vous ? Que faites-vous dans la forêt la nuit ?Je sors lentement la lame, la lumière pâle de la lune faisant miroiter son tranchant usé.— Nous cherchons de l’aide, des vivres. Nous sommes des survivants.Un silence épais s’abat. L’homme nous observe longuement, jaugeant, pesant. Puis, sans prévenir, il baisse sa hache.— Suivez-moi. Mais ne tentez rien.Un soulagement mêlé d’ame