Le silence avait quelque chose de cinglant dans la pièce plongée dans la pénombre. Livia, allongée sur son lit d’hôpital, se redressait lentement contre le dossier, les doigts tremblants sur le drap blanc. Depuis plusieurs jours, elle gardait le silence, se nourrissant à peine, incapable de comprendre l’intensité du chaos intérieur qui l’habitait.Elle avait cru avoir traversé le pire. Le chalet. La balle. La peur de perdre son enfant. Le retour de Raphaël dans sa chambre d’hôpital.Mais ce matin-là, ce n’était ni la douleur physique ni la solitude qui la broyait.C’était un mot.Un mot soufflé entre deux phrases. Un mot trop bien choisi, trop chargé de sens. Un mot qui venait de Victor, dans un moment de faiblesse ou de maladresse.Il avait dit, distraitement : — …et dire qu’il s’en voulait encore pour son frère…Elle s’était figée. — Son frère ? — Le tien, Livia.Un silence avait suivi. Victor s’était raidi, comme s’il avait réalisé trop tard ce qu’il venait de livrer. Il avai
La chambre de la clinique sentait le lin frais, la lavande discrète et l’aseptisation du silence. Livia n’y avait pas prononcé plus de vingt mots depuis son arrivée, trois jours plus tôt. Tout était paisible. Trop. Presque factice. Le calme plat avant une tempête qu’elle sentait encore rugir en elle.Ses journées s’égrainaient lentement, au rythme des examens, des siestes imposées, des repas déposés sans bruit. Elle obéissait aux médecins, prenait ses médicaments, évitait les écrans et ne répondait à aucun appel. Elle dormait peu. Son ventre tendu, fragile, rappelait à chaque mouvement que son corps ne lui appartenait plus totalement. Elle vivait pour deux.Ce matin-là, elle était assise dans un fauteuil près de la fenêtre, une couverture pliée sur ses jambes. Dehors, le jardin méditerranéen offrait une illusion de paix. Mais à l’intérieur, tout en elle était désaccordé. En attente.Un coup léger à la porte la fit sursauter.Elle crut rêver.Raphaël.Il entra sans un mot, les traits t
La lumière du matin filtrait à peine à travers les stores de la chambre d’hôpital. Livia ouvrit lentement les yeux, encore engourdie par les calmants. Le silence était presque apaisant, si ce n’était pour cette pression sourde dans sa poitrine, ce vide invisible qu’elle sentait grandir chaque jour.Raphaël était là. Assis dans le fauteuil, vêtu d’un pull sombre froissé, le regard fixé sur les lignes de données qui pulsaient sur le moniteur. Ses traits tirés, son menton mal rasé, tout en lui criait l’épuisement… mais il ne bougeait pas. Il semblait figé dans une attente muette, une veille silencieuse qu’aucun médecin n’aurait pu lui imposer, mais qu’il s’infligeait seul.Livia bougea à peine, une grimace étirant ses lèvres. Il s'approcha immédiatement, la main douce, mais tendue.— Tu veux de l’eau ?Elle acquiesça d’un signe lent. Raphaël lui tendit le verre, sa main frôlant la sienne. Ce contact, pourtant bref, suffisait à réveiller des milliers de questions. Et aucun mot.Ce fut Vic
La pluie battait contre les vitres depuis l’aube, traçant des sillons flous sur la baie vitrée de la chambre. Allongée sur le flanc gauche comme prescrit, Livia observait sans vraiment voir les gouttes qui ruisselaient. Il y avait dans ce ballet d’eau une forme de langage secret, un murmure du monde extérieur qu’elle ne comprenait plus.Elle était enfermée dans un cocon stérile, un entre-deux fragile entre la vie et la peur, entre une maternité en sursis et une liberté qu’elle n’avait plus goûtée depuis longtemps.Raphaël était là, assis sur le fauteuil qui était devenu sa seconde peau. Il lisait, du moins en apparence, mais ses yeux quittaient sans cesse les lignes pour se poser sur elle. Il notait chaque soupir, chaque crispation, chaque frémissement. Comme s’il guettait un signal, une alarme invisible.— Tu devrais rentrer chez toi, souffla-t-elle sans le regarder.Il replia calmement le journal.— Je suis chez moi, ici.Elle secoua la tête avec lassitude.— C’est ridicule. Tu ne d
Le plafond blanc, stérile, semblait l’écraser. Livia fixait la lumière terne au-dessus de son lit sans vraiment la voir. Cela faisait trois jours qu’elle était hospitalisée, après cette nuit d’horreur où une balle perdue avait failli lui voler la vie – et celle qu’elle portait. Le souvenir du sang, de la douleur brutale, du regard paniqué de Raphaël la hantait encore. Chaque bip du moniteur cardiaque lui rappelait que tout pouvait basculer à nouveau.Elle n’avait pas prononcé un mot depuis la dernière échographie. L’image de ce petit être fragile qui remuait faiblement dans son ventre lui avait broyé le cœur. Il était encore là. Vivant. Mais pour combien de temps ?Un bruit de porte l’arracha à sa torpeur. Raphaël entra, les traits tirés, tenant un plateau à la main. Il n’avait pas quitté l’hôpital depuis son arrivée. Il dormait sur le fauteuil de la chambre, quand il dormait. Et pourtant, il semblait refuser de s’effondrer, comme si veiller sur elle était devenu son unique oxygène.—
Livia dormait à présent. Un sommeil fiévreux, irrégulier, entrecoupé de soupirs douloureux. Son visage restait pâle, presque translucide sous la lumière crue de l’hôpital, mais son souffle était stable. Son cœur tenait bon.Raphaël n’avait pas bougé. Toujours assis près du lit, son téléphone entre les mains, il ignorait les appels manqués, les messages en cascade. Il avait désactivé toutes les notifications, ne gardant qu’un œil sur le calendrier.Un rappel silencieux clignotait sur l’écran.09h30 – Réunion stratégique avec le comité des actionnaires – Siège.Un rendez-vous qu’on ne manquait pas. Jamais. Surtout pas quand l’avenir de l’entreprise dépendait d’un contrat majeur avec un conglomérat asiatique. Cela faisait des mois qu’ils négociaient ce partenariat, et Raphaël en était le visage.Mais il ne bougea pas.Il regarda Livia, puis son téléphone, puis Livia à nouveau. Un frisson d’hésitation le traversa. Devait-il y aller ? Dix minutes. Il pouvait encore être à l’heure s’il part