L'écho des Morts

La pluie avait cessé, mais l’odeur de l’orage persistait dans l’air, lourde et métallique.

Lana et Mika marchaient côte à côte dans la ruelle détrempée, sans parler. Chacun enfermé dans ses pensées. Les lampadaires projetaient des halos pâles sur les flaques. Tout autour, Tamatave semblait s’être endormi… ou se terrer dans l’attente.

— Où on va ? demanda-t-elle enfin, sa voix plus ferme qu’elle ne le pensait.

— Chez un ancien du Cercle. Il a déserté, comme ton père. Il se cache, mais je sais comment le trouver.

— Et il acceptera de nous parler ?

— Il n’aura pas le choix. Il me doit un service.

Ils s’arrêtèrent devant un petit immeuble décrépit aux murs couverts de mousse. Mika frappa une série de coups secs sur la porte. Un instant plus tard, une vieille femme entrebâilla.

— On n’a rien à vendre, grommela-t-elle.

— Je viens voir Tovo. Dis-lui que Mika est là.

Un silence. Puis la porte s’ouvrit lentement.

L’intérieur sentait le thé brûlé, l’encens… et l’humidité. Au fond, assis dans un fauteuil en rotin, un vieil homme fixait Lana.

— C’est elle, murmura-t-il. Elle a ses yeux.

Il se leva lentement.

— Je t’ai connue bébé. Ton père… il avait l’espoir fou de rompre le cycle.

Lana montra la K7.

— Il y en aurait une autre. Une suite. Vous savez où elle est ?

Le vieux Tovo hocha la tête.

— Ton père a divisé ses confidences. L’une est pour toi, l’autre… est cachée là où tout a commencé. À l’ancien dispensaire, près de la voie ferrée. Là où ils faisaient leurs serments. Là où ils sacrifiaient leurs doutes.

Il s’approcha, lui glissa une clef rouillée dans la main.

— Ce qu’il a laissé là-bas pourrait te détruire. Mais il pensait que tu étais prête. Je l’espère aussi.

Lana referma les doigts sur la clef. Un frisson parcourut son dos.

— Je dois savoir, murmura-t-elle.

— Alors on y va, souffla Mika.

Ils n’étaient qu’à quelques mètres de la sortie de l’impasse quand l’attaque eut lieu.

Un claquement sec. Un mouvement dans l’ombre.

— À terre ! hurla Mika.

Il l’agrippa par le bras, la projeta contre le mur alors qu’un projectile venait se ficher dans la pierre à quelques centimètres de son visage.

Deux silhouettes surgirent du brouillard, capuches tirées, lames courtes en main. Lana eut à peine le temps de comprendre qu’ils étaient encerclés.

Mika sortit une dague — rapide, précis. Il désarma le premier, le plaqua au sol d’un coup de genou.

Le second fonça sur Lana.

Elle esquiva, de justesse, mais son épaule fut entaillée. La douleur la fit grogner. Elle riposta en frappant avec la boîte en bois qu’elle tenait encore — en pleine tempe.

L’homme tomba. Groggy. Mais pas seul.

Un troisième arriva.

Cette fois, Mika intervint trop tard.

L’homme attrapa Lana, la plaqua contre le mur, une lame sous la gorge.

— Elle est à nous, cracha-t-il. L’héritière n’ira pas plus loin.

Un éclair. Une douleur. Puis une libération brutale.

Mika venait de le transpercer dans le dos.

Lana s’écroula. Tremblante. Le souffle court.

Il la releva doucement, ses mains sur ses épaules, son regard fouillant le sien.

— Tu es blessée ? murmura-t-il.

Elle hocha la tête, tremblante. Le sang coulait le long de son bras, chaud et collant.

— Ce n’est rien… Mais… tu as vu comment il m’a regardée ? Comme si j’étais déjà morte.

— C’est leur manière. Intimider, posséder. Mais tu ne leur appartiens pas, Lana.

Elle croisa son regard. L’intensité qu’elle y vit lui coupa le souffle.

Ses doigts tremblaient. Il les saisit pour les stabiliser, sans dire un mot. Ce simple contact envoya une décharge dans son ventre. Une chaleur confuse, brutale, déroutante.

Ils restèrent là un moment, dans la ruelle vide, haletants, proches. Trop proches.

— Tu dois apprendre à te défendre, murmura-t-il.

— Et tu vas m’apprendre, c’est ça ?

— Si tu me laisses faire.

Un silence. Puis elle souffla, presque malgré elle :

— J’ai jamais autant eu peur de toute ma vie. Et j’ai jamais eu autant envie de survivre.

Mika effleura une mèche de cheveux trempée qui collait à sa joue. Son pouce s’attarda à peine. Mais assez.

Le monde sembla s’arrêter.

Elle détourna le regard, recula.

— Allons-y avant qu’ils reviennent, souffla-t-elle.

Il acquiesça. Mais dans le silence qui suivit, quelque chose avait changé.

Une faille. Une tension.

Un désir.