La lettre

Tom est reparti.

Le silence dans la maison semblait vivant. Un silence épais, presque organique, chargé de souvenirs et de secrets tus trop longtemps. Chaque craquement du parquet, chaque souffle de vent s’insinuant entre les volets grinçants rappelait à Lana que ce lieu n’était plus un foyer — mais un tombeau. Le tombeau d’un passé qu’elle avait tenté d’oublier.

Assise sur le vieux fauteuil en rotin du salon, les doigts crispés sur l’enveloppe, elle sentit un frisson parcourir son échine. La cire noire était craquelée, mais le cachet était intact : un croissant de lune encerclé de sept points. Ce symbole la hantait. Elle l’avait vu autrefois, gravé sur une vieille bague que Liva gardait précieusement dans un coffret fermé à clé. Elle n’avait jamais osé poser de questions. Maintenant, elle regrettait.

Elle ferma les yeux un instant, inspira profondément… puis brisa le sceau.

L’encre avait pâli, mais l’écriture restait reconnaissable. Celle de Liva, si droite, si sûre d’elle. Elle entendait presque sa voix en lisant ces lignes :

« Ma Lana,

    Si tu lis cette lettre, c’est que je ne suis plus là. Et certaines vérités ne peuvent être enterrées avec moi.

    Tu sais déjà que je ne suis pas ton père de sang. Mais il y a quelque chose que je t’ai toujours caché, par peur… ou par lâcheté.

    Ton père biologique s’appelait Rabe Gary. Un homme bon, mais imprudent. Il voulait fuir le Cercle de la Lune, une société secrète ancienne, enracinée jusque dans les profondeurs de cette ville.

    Ce Cercle, je l’ai connu. J’en ai même été complice. À l’époque, je croyais qu’ils protégeaient un savoir, un ordre. Je me trompais.

    Lorsque Rabe a voulu se retirer, ils l’ont tué. Ils ont maquillé cela en accident. Moi, je n’ai rien dit. C’est devenu mon fardeau, depuis.

    Pour te protéger, je t’ai cachée. J’ai changé ton nom. J’ai brûlé certains dossiers. Mais tout ne peut pas disparaître. Pas ce que tu es.

    Dans le caveau familial, sous la dalle à droite de mon cercueil, tu trouveras une boîte en bois noir. Elle contient des preuves. Des noms. Un carnet que ton père avait commencé.

    Tu as le droit de savoir, mais tu dois faire attention. Le Cercle ne tolère pas les curieux, ni les héritiers.

    Pardonne-moi de t’avoir laissée seule avec cette vérité.

    Le sang appelle le sang.

    — Liva »

Un long frisson parcourut son dos. Lana relut la lettre deux fois. Trois. Chaque mot s’imprimait dans sa mémoire comme une brûlure. Le nom de son vrai père. Le Cercle. Liva impliqué. La peur enfouie sous des années de silence.

Un bruit discret l’arracha à sa lecture. La porte d’entrée venait de se refermer… toute seule ? Non. Elle en était sûre : quelqu’un l’avait poussée.

Elle se leva précipitamment, traversa le couloir et ouvrit la porte. Rien.

Mais sur le perron, une rose noire venait d’être déposée. Par terre, un petit papier plié :

    « Tu as lu la lettre. Tu en sais trop maintenant. »

Elle sentit la sol se dérober sous ses pieds.

Quelqu’un la surveillait. Et ce quelqu’un ne voulait pas qu’elle découvre la vérité.