ThaliaLa nuit est tombée, et tout semble suspendu. Même le vent a cessé de bouger. Il y a cette densité dans l’air, ce goût de métal sur la langue qui précède les moments cruciaux. Le camp ne dort pas. Personne ne parle fort. Les murmures sont des prières étouffées, des souvenirs qui rampent au bord des lèvres.Je suis assise près du feu, là où tout a commencé. Là où Maën m’a regardée comme si elle voyait à travers les couches de peau, d’os, de silence. Elle n’a pas reparlé depuis son annonce. Mais elle est restée là, immobile, comme une statue de volonté ancienne.Eryx ne me quitte pas d’une semelle. Ses doigts frôlent parfois les miens, pas pour me retenir, mais pour m’assurer qu’il est là.— Tu veux parler ? me murmure-t-il.Je secoue la tête.Non. Je veux comprendre.J’ai toujours su qu’un jour, tout basculerait. Que je ne pourrais pas fuir éternellement ce que je porte en moi. Ce n’est pas une malédiction. Ce n’est pas une bénédiction non plus. C’est… une force. Une direction.E
ThaliaLe calme ne dure jamais. Pas vraiment. Il laisse des traces, oui, des empreintes sur la peau, une chaleur douce dans le ventre, mais il ne s’éternise pas. Il est fragile, comme une étoffe trop fine que le vent finit toujours par trouer.Le camp s’éveille lentement, plus uni, plus vivant. Les cendres de la nuit brillent encore sous les braises, et les murmures des survivants remplissent l’espace, porteurs de récits, d’espoir, d’angoisse aussi.Et moi, je sens en moi quelque chose d’ancien se réveiller. Une pulsation oubliée. Une vibration que même la peur ne peut noyer.L’enfant.Il est là.Silencieux encore, mais vibrant. Pas seulement dans mon corps. Dans la trame même de ce que nous sommes. Il est ce lien invisible, ce fil entre ce que nous avons été et ce que nous serons. Il murmure des mots sans langage, des battements primordiaux qui résonnent dans mes os.Je ne sais pas si j’ai peur. Pas encore.Ce qui m’habite ce matin, c’est une forme de gravité, d’attention extrême. Co
ThaliaLe jour avance, et pourtant, tout reste suspendu. Le camp respire différemment. C’est à peine perceptible, mais je le sens. Une tension s’est relâchée, une autre a pris sa place. Ce n’est plus la peur qui nous tient, mais l’attente. Une attente qui ressemble à une promesse. Ou à une frontière.Je m’éloigne un instant, seule. J’ai besoin de silence. Pas pour fuir, non. Pour écouter. Mon cœur bat plus fort depuis ce matin, comme si quelque chose en moi cherchait un rythme nouveau, une mélodie que je ne connais pas encore mais que je reconnais déjà.Sous mes doigts, la terre est tiède. Je m’accroupis, paume contre le sol, yeux clos. Je cherche le pouls du monde. Et je le sens, là, tout proche. Un écho qui répond au mien. Une réponse ancienne.— Tu viens d’où, toi ? je murmure. De moi ? D’Eryx ? Ou de plus loin encore ?Un bruissement. Une plume tombe à mes pieds. Blanche, presque irréelle.EryxJe la vois s’éloigner et je ne la retiens pas. J’ai compris que son silence est un lang
ThaliaLe matin arrive sans prévenir. Ni lever de soleil éclatant, ni chants d’oiseaux. Juste une clarté pâle, timide, qui s’immisce entre les toiles du camp. Je n’ai pas dormi. Pas vraiment. Mon corps s’est reposé, peut-être, mais pas mon cœur. Trop de battements dans ma poitrine. Trop de chaleur dans mes veines. Et pourtant, je suis calme. Un calme étrange, presque sacré. Comme si tout en moi s’était enfin accordé, comme si les nœuds, un à un, s’étaient dénoués.Eryx dort encore. Ou fait semblant. Sa main reste contre mon ventre, paume ouverte, ancrée, vivante. Il ne presse pas. Il ne réclame rien. Il écoute. Je crois qu’il écoute même en dormant. Comme s’il entendait déjà ce que moi seule ai senti. Comme si, en un contact, tout avait été dit.Je me penche vers lui, mes cheveux glissent sur sa joue. Mon souffle touche sa tempe. Je murmure :— Tu peux respirer. Ce n’est plus un secret.Ses paupières frémissent. Il rouvre les yeux. Lentement. Des yeux trop pleins pour le jour qui comm
ThaliaLe cercle s’est défait. Les chants se sont tus. Il ne reste que le bruissement des feuilles et le craquement discret des braises qui s’éteignent. Chacun est retourné à ses veilles, à ses songes, à ses espoirs voilés de fatigue. Mais moi, je reste là. Immobile. Assise contre une racine noueuse, les jambes ramenées contre moi, le dos en feu, les tempes battantes.Et dans mon ventre… ça bouge.Ce n’est pas un simple frisson. Ni une illusion née de l’émotion de cette nuit. C’est réel. Une présence ténue. Un rythme qui n’est pas le mien. Un petit pied, peut-être. Un coude discret. Un appel.Un écho minuscule dans ce corps que je croyais éteint à certaines tendresses.Je pose les mains sur mon ventre. Je ferme les yeux. J’écoute.Je sens. Je sens tout. Le monde ancien. Le monde à venir. Le souffle oublié des dieux. Le battement de cette vie, plus fort que mes craintes.Et lui. Ou elle.Une étincelle vivante dans l’ombre de mes silences.Je n’ai rien dit à Eryx. Pas encore.Je pourrai
TousUn arbre ancien se redresse, ses feuilles vibrant d’un vert éclatant. Une pierre oubliée se réchauffe, gravée de runes désormais lumineuses. Un ruisseau silencieux se met à couler, fredonnant un air que seule la terre connaît. Et dans nos cœurs, une même pensée s’impose, douce, impérieuse, indestructible :Ce n’est plus la fin. C’est le premier souffle.Le chant s’estompe, mais sa résonance demeure en moi. Un silence chargé de sens retombe sur le cercle, et pourtant, tout semble parler. La terre, le ciel, nos souffles. Une harmonie naissante, fragile, mais indéniable. Je ne veux pas qu’elle se brise.EryxJe reste là, immobile, le regard perdu dans les vagues d’herbe qui frémissent sous le vent nouveau. Une voix me sort de ma torpeur.Lys— Tu crois vraiment qu’on peut bâtir quelque chose sur autant de cendres ?Il est là, en retrait, les bras croisés, le regard dur. Mais sa voix tremble, juste un peu. Je m’approche. Lentement.Eryx— On ne bâtit rien sur des cendres, Lys. Mais o