LéaIl pleut.Pas fort. Une pluie fine, persistante.Une de celles qui ne font pas de bruit, mais qui imbibent tout. L’air, les vêtements, la peau, les pensées.Nathan déteste la pluie. Il dit qu’elle colle aux os, qu’elle transforme le monde en boue.Moi, j’aime ce qu’elle rend possible.Les débuts. Les silences pleins. Les après. Les secondes chances.Les moments qu’on ne pensait plus vivre.On est assis près de la fenêtre.Lui dans son fauteuil, la tête légèrement penchée, comme s’il écoutait les gouttes.Moi sur le tapis antidérapant moche qu’il a fini par aimer – ou du moins, par ne plus insulter à voix haute.Je tricote un truc informe. Une pelote de laine bleue, bon marché, qui gratte un peu les doigts.Il prétend que c’est un poulpe raté.C’est censé être une écharpe. Je ne proteste même plus.— Tu comptes étrangler quelqu’un avec ?— Non, l’envelopper d’amour.— On dirait une déclaration de guerre.— Tu ne sais pas reconnaître l’art.— Je reconnais les armes. Ça en est une.I
Nathan LevasseurL’air sent autre chose.Pas le désinfectant.Pas la peur.Pas la mort.Il sent l’herbe coupée, la pluie lointaine, et quelque chose d’indéfinissable.La vie, peut-être.Ou le début d’un autre souffle.Je sors.Sur un fauteuil, certes.Avec une couverture sur les jambes et un sac de médicaments posé sur mes genoux.Mais je sors.Et c’est elle qui pousse le fauteuil.Léa.Toujours elle.Comme un battement régulier dans le chaos de mes jours.On n’a pas dit grand-chose.Elle a juste souri quand l’infirmière m’a remis à elle.Comme si elle savait que ce moment-là serait plus fragile que tous les autres.Ce n’est pas une fin.C’est un recommencement.Un frémissement.Les roues crissent sur les graviers.Il y a le chant d’un merle quelque part.Un enfant rit au loin.Je ferme les yeux.J’écoute.Le monde.Et je réalise que je suis encore capable de l’entendre.Puis j’ouvre les yeux.Elle me regarde dans le rétroviseur du fauteuil.Ses yeux sont plus clairs que le ciel.Ou p
Nathan LevasseurLa lumière me réveille.Pas la douleur, pas les machines, pas les murmures autour de moi.Juste la lumière.Blanche.Tiède.Vivante.Je flotte un moment entre deux eaux.Comme si j’étais resté sous la surface trop longtemps.Mes poumons se souviennent de la brûlure, mes membres du vertige.Mais je reviens. Lentement.Chaque respiration est un petit échec arraché à la mort.Elle est là.Assise. Immobile.Les cernes marquent ses yeux. Ses cheveux sont tirés en arrière, trop vite. Son dos penche, mais son regard reste ancré sur moi.Un livre ouvert sur ses genoux. Elle ne lit pas. Elle attend.Je bouge les doigts.À peine.Elle lève l
LéaJe n’ai pas dormi. Pas vraiment.J’ai somnolé dans ce fauteuil grinçant, les bras croisés sur ma poitrine, la tête appuyée contre le mur de la chambre d’hôpital. Il fait trop chaud, ou trop froid. Je ne sais plus. Tout est flou.Je me suis réveillée à chaque bip.À chaque pas dans le couloir.À chaque raclement de gorge derrière une porte.Et surtout… à chaque fois que je sentais son souffle changer.Nathan dort, si on peut appeler ça dormir.Il est sous perfusion. Il est surveillé. Préparé.Un fil dans le bras. Un autre sur la poitrine. Un autre dans mon cœur.L’opération est dans quelques heures.On est arrivés hier. Tout s’est enchaîn
LéaIl y a un battement étrange dans ma poitrine. Pas un battement de cœur. Quelque chose d’autre.Un battement d’attente. De peur. D’espoir.Depuis qu’il a dit “je vais le faire”, le temps ne coule plus pareil.On est rentrés chez moi. J’ai fermé les rideaux. Préparé du thé. J’ai mis la couverture sur ses jambes comme un geste automatique, un réflexe d’amour et de soin.Mais on ne parle pas. Pas tout de suite.C’est comme si un mot mal choisi pouvait faire dérailler l’équilibre fragile de sa décision.Il regarde devant lui. Le mur, la lumière douce, la tasse fumante qu’il ne touche pas.Et moi, je l’observe, comme s’il allait disparaître s’il respi
LéaIl tient ma main comme s’il craignait qu’on nous sépare à nouveau.Comme si franchir cette porte allait changer quelque chose entre nous.Peut-être que c’est le cas.Peut-être que ce rendez-vous est le seuil entre l’avant et l’après.L’hôpital est blanc, trop blanc.La lumière néon agresse les yeux.Les murs n’ont pas d’âme.Même l’air semble figé dans un silence médicalisé.Et cette odeur. Ce mélange âcre de désinfectant, de plastique stérile et de peur.Je la connais.Elle me rappelle des souvenirs que je préférerais oublier.Des veilles interminables, des annonces en demi-teinte, des corps fatigués.Nathan ne dit rien.