LéaLa réunion se termine dans un murmure indistinct, une série de décisions prises sans que Nathan ne fasse le moindre geste. Il n’a pas bougé de son fauteuil. Pas une parole, pas un regard vers ceux qui l’entourent. Et pourtant, je sens l’effort qu’il met à maintenir cette façade. Il est là, mais il est absent. Il n’y a plus de combativité dans ses yeux. Plus de flamme.Je ferme l'ordinateur portable devant moi, ramassant les documents avec une précision calculée, comme si j'étais encore dans ce rôle de gestionnaire, de remplaçant. Mais ce n’est pas moi qui devrais être là. C’est lui. Lui qui a façonné cette entreprise, lui qui était le maître du jeu. Mais tout a changé. Il a changé. Et maintenant, je me retrouve coincée dans un rôle que je n’ai jamais voulu, une responsabilité qui pèse sur mes épaules, plus lourde chaque jour.Je me tourne vers lui. Il reste là, immobile, dans son fauteuil roulant. Il me semble plus petit, plus fragile, comme une statue abandonnée. Je veux lui parl
Nathan LevasseurJe ne dors plus. Les nuits s’étirent comme des couloirs vides, interminables. Je reste éveillé, les yeux fixés sur le plafond, comme s’il allait finir par s’effondrer sur moi et me libérer de ce corps trop lourd. J’ai beau essayer de rassembler mes forces, il ne reste rien. Rien qu’un vide épuisant, un trou dans lequel je me laisse couler, jour après jour. Le silence est devenu mon langage. Une forme d’abandon. Le refus de me battre encore.Mais ce soir, le silence est brisé par une présence.Léa.Elle est là, assise dans le fauteuil près du lit, jambes repliées contre sa poitrine, les bras serrés autour d’un coussin comme s’il était tout ce qu’elle avait. Elle pense que je dors, mais je la vois. Elle a les traits tirés, les yeux rouges. Elle est fatiguée. Épuisée. À bout. Et je suis responsable de ça. De cette douleur qui s’imprime sur ses traits chaque fois qu’elle me regarde et que je détourne les yeux.Elle ne me dit rien. Elle ne me demande rien. Et pourtant, son
LéaIl ne m’a pas lâchée de la nuit.Sa main dans la mienne, ses doigts serrés comme s’il avait peur que je disparaisse pendant son sommeil. Comme si mon départ était une possibilité plus tangible que ma présence. Et moi, je suis restée là, au sol, adossée à son fauteuil, à écouter sa respiration se faire moins erratique. À attendre que son cœur trouve un tempo qui ne m’étrangle pas d’inquiétude.Je ne dors pas non plus. Mais cette nuit, l’insomnie est différente.Moins douloureuse. Moins glaciale.Je sens son pouce effleurer ma peau par moments. Des gestes minuscules, presque involontaires. Des appels de détresse sans mots. Alors je serre un peu plus fort. Je suis là, Nathan. Je suis là.Quand le matin perce à travers les rideaux, mes os me rappellent leur existence. J’ai la nuque en feu, les jambes engourdies, la peau collée par la fatigue. Mais je m’en fiche. Il est encore là. Et pour la première fois depuis des semaines, ses yeux croisent les miens sans se détourner.Il reste. Il
LéaIl dort.Pas d’un sommeil agité comme avant. Pas d’un effondrement nerveux. Juste… un vrai sommeil. Profond. Apaisé. Son visage est détendu, presque juvénile, sans les plis de douleur, sans la crispation permanente de celui qui lutte contre un corps qu’il ne reconnaît plus.Je le regarde, immobile. Assise au bord du lit. Je n’ose pas bouger. Comme si le moindre mouvement risquait de briser cette paix fragile.Et moi, je suis là. Témoin silencieuse de son abandon, gardienne de ce moment volé au chaos.Je voudrais que ce calme dure. Mais je le sais. Ce n’est qu’un répit. Une trêve fragile entre deux tempêtes. Alors je rassemble mon courage. J’inspire. Longtemps. Fort.Quand il ouvre les yeux, il a ce regard flottant, brumeux, suspendu entre rêve et réalité. Ses paupières battent. Il me voit. Il me reconnaît.— Léa ? Il murmure mon prénom comme on murmure une prière.Je hoche la tête. Ma main trouve la sienne. J’ai la gorge nouée, mais je parle. Parce que je dois. Parce que sinon, j
Nathan LevasseurJe ne voulais pas y aller.J’ai protesté, grogné, repoussé l’idée jusqu’à la dernière minute. Mais cette cérémonie… — C’est pour Marc. Un frère d’armes. Un type droit, solide, loyal jusqu’au bout. Et même si je suis hors service, même si je suis brisé, même si je déteste ce que je suis devenu, je ne peux pas lui tourner le dos. Pas à lui. Pas à ce qu’on a partagé.Alors je me laisse faire.Léa m’aide à enfiler ma veste. Elle le fait sans un mot, avec cette douceur discrète qui n’exige rien, ne juge rien. Costume noir. Chemise boutonnée jusqu’en haut. Cravate nouée avec une patience infinie. Elle ajuste mon col, rabat un pli invisible, vérifie les manches. Je sens ses doi
Nathan LevasseurJe pensais que c’était fini.Je pensais que le pire avait déjà eu lieu. Que la douleur de la première fois, ce moment où nos regards s’étaient croisés, suffirait à solder le passé. Mais certaines blessures ont des échos. Certaines morsures ne s’infectent qu’après coup.Et ce soir, je sens le poison se répandre.La réception se tient dans une salle voisine, attenante à l’église, et tout y transpire l’excès de bon goût : moulures dorées, fresques restaurées, bouquets blancs figés dans leurs vases de cristal.Les lustres lancent leurs éclats froids sur les visages poudrés, les regards polis, les sourires de circonstance. C’est une pièce construite pour l’illusio
Nathan LevasseurJe ne dors pas.Le silence a changé de texture. Il n’est plus ce refuge de nuit, paisible et creux. Il est devenu opaque. Chargé. Chaque minute m’écrase un peu plus. Chaque battement de cœur est un rappel que la colère n’est pas partie. Elle est juste rentrée s’enfermer à l’intérieur, dans ce coin sombre où je range ce que je n’ai pas le droit d’exprimer.Ce poison-là, je le connais. Il coule lentement. Il s’insinue. Et parfois, il me fait douter de tout. Même d’elle.Mais ce soir… ce soir, il y a eu autre chose.Je repense à Sophia. À ses mots. À cette manière qu’elle a de sourire avec ses crocs sous les lèvres. Elle ne parle jamais directement. Elle murmure à l’intérieur des gens. Elle s’infiltre là où ça fait mal. C’est sa spécialité. Elle n’a pas besoin de crier pour détruire.Et pourtant, elle a perdu.Parce que Léa s’est levée.Parce qu’elle a traversé cette salle comme on traverse une tempête, sans plier. Et qu’elle a dit ce que moi, je n’avais plus la force de
NathanLe bruit sec des talons résonne contre le sol de marbre. Je lève les yeux de mon écran. Sophia. Toujours impeccable, tirée à quatre épingles dans son tailleur beige, le regard déterminé de celle qui sait déjà ce qu’elle veut obtenir. Et elle l’obtiendra, comme toujours.Je me cale contre le dossier de mon fauteuil en cuir, mon royaume, mon empire, cette tour de verre qui domine la ville. Ici, tout m’appartient. Les décisions. Le temps. Les gens.Je suis Nathan Levasseur, et rien ni personne ne me résiste.« Tu rentres tôt ce soir ? » demande-t-elle, faussement légère.Je fronce les sourcils. Tôt n’existe pas dans mon vocabulaire.« J’ai un dîner d’affaires. »« Tu avais promis… » souffle-t-elle.La promesse. Ce mot qui se brise dès qu’il sort de sa bouche. Je n’ai jamais eu le temps pour ça. Pas maintenant. Pas avec tout ce que je construis.« Ce contrat est essentiel, Sophia. »Elle se raidit. « Je sais. Tout est toujours essentiel, sauf moi. »Je n’ai pas le temps de m’attard
Nathan LevasseurJe ne dors pas.Le silence a changé de texture. Il n’est plus ce refuge de nuit, paisible et creux. Il est devenu opaque. Chargé. Chaque minute m’écrase un peu plus. Chaque battement de cœur est un rappel que la colère n’est pas partie. Elle est juste rentrée s’enfermer à l’intérieur, dans ce coin sombre où je range ce que je n’ai pas le droit d’exprimer.Ce poison-là, je le connais. Il coule lentement. Il s’insinue. Et parfois, il me fait douter de tout. Même d’elle.Mais ce soir… ce soir, il y a eu autre chose.Je repense à Sophia. À ses mots. À cette manière qu’elle a de sourire avec ses crocs sous les lèvres. Elle ne parle jamais directement. Elle murmure à l’intérieur des gens. Elle s’infiltre là où ça fait mal. C’est sa spécialité. Elle n’a pas besoin de crier pour détruire.Et pourtant, elle a perdu.Parce que Léa s’est levée.Parce qu’elle a traversé cette salle comme on traverse une tempête, sans plier. Et qu’elle a dit ce que moi, je n’avais plus la force de
Nathan LevasseurJe pensais que c’était fini.Je pensais que le pire avait déjà eu lieu. Que la douleur de la première fois, ce moment où nos regards s’étaient croisés, suffirait à solder le passé. Mais certaines blessures ont des échos. Certaines morsures ne s’infectent qu’après coup.Et ce soir, je sens le poison se répandre.La réception se tient dans une salle voisine, attenante à l’église, et tout y transpire l’excès de bon goût : moulures dorées, fresques restaurées, bouquets blancs figés dans leurs vases de cristal.Les lustres lancent leurs éclats froids sur les visages poudrés, les regards polis, les sourires de circonstance. C’est une pièce construite pour l’illusio
Nathan LevasseurJe ne voulais pas y aller.J’ai protesté, grogné, repoussé l’idée jusqu’à la dernière minute. Mais cette cérémonie… — C’est pour Marc. Un frère d’armes. Un type droit, solide, loyal jusqu’au bout. Et même si je suis hors service, même si je suis brisé, même si je déteste ce que je suis devenu, je ne peux pas lui tourner le dos. Pas à lui. Pas à ce qu’on a partagé.Alors je me laisse faire.Léa m’aide à enfiler ma veste. Elle le fait sans un mot, avec cette douceur discrète qui n’exige rien, ne juge rien. Costume noir. Chemise boutonnée jusqu’en haut. Cravate nouée avec une patience infinie. Elle ajuste mon col, rabat un pli invisible, vérifie les manches. Je sens ses doi
LéaIl dort.Pas d’un sommeil agité comme avant. Pas d’un effondrement nerveux. Juste… un vrai sommeil. Profond. Apaisé. Son visage est détendu, presque juvénile, sans les plis de douleur, sans la crispation permanente de celui qui lutte contre un corps qu’il ne reconnaît plus.Je le regarde, immobile. Assise au bord du lit. Je n’ose pas bouger. Comme si le moindre mouvement risquait de briser cette paix fragile.Et moi, je suis là. Témoin silencieuse de son abandon, gardienne de ce moment volé au chaos.Je voudrais que ce calme dure. Mais je le sais. Ce n’est qu’un répit. Une trêve fragile entre deux tempêtes. Alors je rassemble mon courage. J’inspire. Longtemps. Fort.Quand il ouvre les yeux, il a ce regard flottant, brumeux, suspendu entre rêve et réalité. Ses paupières battent. Il me voit. Il me reconnaît.— Léa ? Il murmure mon prénom comme on murmure une prière.Je hoche la tête. Ma main trouve la sienne. J’ai la gorge nouée, mais je parle. Parce que je dois. Parce que sinon, j
LéaIl ne m’a pas lâchée de la nuit.Sa main dans la mienne, ses doigts serrés comme s’il avait peur que je disparaisse pendant son sommeil. Comme si mon départ était une possibilité plus tangible que ma présence. Et moi, je suis restée là, au sol, adossée à son fauteuil, à écouter sa respiration se faire moins erratique. À attendre que son cœur trouve un tempo qui ne m’étrangle pas d’inquiétude.Je ne dors pas non plus. Mais cette nuit, l’insomnie est différente.Moins douloureuse. Moins glaciale.Je sens son pouce effleurer ma peau par moments. Des gestes minuscules, presque involontaires. Des appels de détresse sans mots. Alors je serre un peu plus fort. Je suis là, Nathan. Je suis là.Quand le matin perce à travers les rideaux, mes os me rappellent leur existence. J’ai la nuque en feu, les jambes engourdies, la peau collée par la fatigue. Mais je m’en fiche. Il est encore là. Et pour la première fois depuis des semaines, ses yeux croisent les miens sans se détourner.Il reste. Il
Nathan LevasseurJe ne dors plus. Les nuits s’étirent comme des couloirs vides, interminables. Je reste éveillé, les yeux fixés sur le plafond, comme s’il allait finir par s’effondrer sur moi et me libérer de ce corps trop lourd. J’ai beau essayer de rassembler mes forces, il ne reste rien. Rien qu’un vide épuisant, un trou dans lequel je me laisse couler, jour après jour. Le silence est devenu mon langage. Une forme d’abandon. Le refus de me battre encore.Mais ce soir, le silence est brisé par une présence.Léa.Elle est là, assise dans le fauteuil près du lit, jambes repliées contre sa poitrine, les bras serrés autour d’un coussin comme s’il était tout ce qu’elle avait. Elle pense que je dors, mais je la vois. Elle a les traits tirés, les yeux rouges. Elle est fatiguée. Épuisée. À bout. Et je suis responsable de ça. De cette douleur qui s’imprime sur ses traits chaque fois qu’elle me regarde et que je détourne les yeux.Elle ne me dit rien. Elle ne me demande rien. Et pourtant, son
LéaLa réunion se termine dans un murmure indistinct, une série de décisions prises sans que Nathan ne fasse le moindre geste. Il n’a pas bougé de son fauteuil. Pas une parole, pas un regard vers ceux qui l’entourent. Et pourtant, je sens l’effort qu’il met à maintenir cette façade. Il est là, mais il est absent. Il n’y a plus de combativité dans ses yeux. Plus de flamme.Je ferme l'ordinateur portable devant moi, ramassant les documents avec une précision calculée, comme si j'étais encore dans ce rôle de gestionnaire, de remplaçant. Mais ce n’est pas moi qui devrais être là. C’est lui. Lui qui a façonné cette entreprise, lui qui était le maître du jeu. Mais tout a changé. Il a changé. Et maintenant, je me retrouve coincée dans un rôle que je n’ai jamais voulu, une responsabilité qui pèse sur mes épaules, plus lourde chaque jour.Je me tourne vers lui. Il reste là, immobile, dans son fauteuil roulant. Il me semble plus petit, plus fragile, comme une statue abandonnée. Je veux lui parl
LéaJe suis debout devant le tableau, ajustant les derniers détails de la présentation. Tout doit être parfait, chaque graphique, chaque argument, chaque chiffre. La salle de réunion est silencieuse, presque trop silencieuse. Les employés attendent dans un calme qui frôle l'attente, mais je sais que leur esprit est ailleurs, que leur regard est fixé sur l'homme qui les a dirigés avec poigne, qui les a vus réussir et échouer sous son autorité. Aujourd'hui, il n'est plus que l'ombre de cet homme. Et je suis là, à prendre sa place, à m’assurer que les rouages de cette machine continuent de tourner malgré lui.Je tourne la tête vers la porte. Nathan n’est pas encore arrivé. Je me demande s’il viendra. J’ai l’impression qu’il est de plus en plus absent, non seulement physiquement, mais aussi mentalement. L’homme que j’ai connu, celui qui aurait fait face à cette réunion avec cette détermination glaciale, ne semble plus exister. Il est devenu une figure floue, imprécise. Et malgré tout, je
Nathan LevasseurLe bruit des roues, des cliquetis réguliers sur le sol, résonne comme un écho de mes pensées. Léa pousse mon fauteuil sans dire un mot, sans chercher à me rassurer. Elle sait qu’aucun mot ne pourrait m’atteindre, pas maintenant. Tout est plus lourd, plus dur. Mon bureau, l’air autour de moi, les regards furtifs des employés, tout semble plus grand. Les murs semblent se resserrer autour de moi, comme pour me rappeler que j’ai toujours été là, toujours dans cette machine, ce système qui, aujourd’hui, m’étouffe.Je serre les dents. L’odeur du papier, l’éclat de la lumière artificielle me rappellent l’ancienne époque, celle où chaque décision m’appartenait, où je dirigeais avec cette confiance inébranlable. Maintenant, c’est un autre homme qui s’assoit à ma place. Un autre homme qui prend ce qu’il peut sans même lever les yeux. Et moi, je suis là. J’assiste à ce déclin, ce petit à petit qui me ronge. Et tout ce que je peux faire, c’est observer. Observer et encaisser.Léa