Nathan
Je n’aime pas perdre le contrôle. Et ce soir, je sens que tout m’échappe.
Sophia m’attend dans le salon. Belle, glaciale. Ses bras croisés sur sa poitrine disent tout ce qu’elle ne hurle pas.
« Tu rentres encore à pas d’heure, Nathan. »
Je retire ma veste sans répondre. À quoi bon ? Je connais la scène par cœur. La même rengaine depuis des semaines. Le mariage, le travail, ses doutes.
Elle se lève. « Tu veux vraiment te marier ? Parce que moi, j’en sais plus rien. »
Je la fixe, un sourire froid aux lèvres. « T’as fini ? Ou tu veux que je prenne des notes ? »
Elle tremble. De colère ou de tristesse, je m’en fous. Je la dépasse, prends mes clés. Ce soir, je refuse d’écouter.
« Où tu vas ? »
« Respirer. Loin de toi. »
La porte claque. Elle reste seule. Moi, je fonce droit dans la nuit.
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La pluie s’abat sur la ville. Le genre d’averse qui transforme les rues en pièges.
Je roule trop vite. Le moteur hurle, comme mon cœur. Tout m’échappe. Sophia. Ce putain de mariage. Ma vie parfaite qui se fissure.
Le téléphone sonne. Adrien.
« Nathan, t’es où ? »
« En train de faire ce que j’aurais dû faire depuis longtemps : rouler sans me soucier de rien. »
« Rentre, bordel. On se voit demain et on règle ça. »
Je ris. Un rire creux, vide.
« Demain… »
Je ne le vois pas venir. Le poids lourd surgit. Une seconde d’inattention. Un seul battement de cœur.
Le choc déchire la nuit.
Le métal explose. Ma voiture se retourne. Et je plonge.
Noir.
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Quand j’ouvre les yeux, tout est flou. Le plafond est blanc. L’odeur de l’hôpital me prend à la gorge.
« Monsieur Levasseur ? Vous êtes avec nous ? »
Je veux parler. Impossible. Je veux bouger. Rien.
La panique me dévore. Je lutte, je hurle sans un son.
Le médecin approche.
« Vous avez eu un grave accident. Votre colonne vertébrale a été touchée. »
Je secoue la tête. Non. Pas ça.
« Vous êtes paralysé, Monsieur Levasseur. La moelle… »
Je n’entends plus. Tout s’efface.
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Sophia entre. Son visage est ravagé par les larmes. Mais dans son regard, je vois déjà ce qui va venir.
Elle s’approche, m’effleure du bout des doigts.
« Pourquoi t’as pris la voiture ce soir… »
Je veux lui dire que je suis désolé. Que j’ai merdé. Mais je suis coincé dans ce corps qui ne répond plus.
Elle pleure. Longtemps.
Puis, d’une voix brisée :
« Je t’aime, Nathan… Mais je peux pas… Je peux pas vivre ça. »
Je la regarde. Supplie sans un mot.
Elle recule.
« Je suis désolée… »
Et elle part.
Sans un dernier regard.
Je la perds.
Et là, je comprends : tout vient de s’effondrer.
Les jours passent. Ou peut-être les semaines. Je ne sais plus. Ici, le temps n’existe pas. Il se dilue entre quatre murs blancs et des visages qui se ressemblent tous : médecins, infirmiers, rééducateurs. Tous avec ce regard. Celui de la pitié. Celui qui me donne envie de hurler.
Mais je ne hurle pas.
Je ne peux plus.
Je suis prisonnier de ce putain de lit. Prisonnier de ce corps brisé.
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Dr Mercier entre encore. Toujours le même discours, toujours la même voix pleine d’espoir qui me donne la nausée.
« Monsieur Levasseur, il est temps de commencer la rééducation. Il y a toujours une marge de progression. »
Je le fixe, froid, méprisant.
« Je vais marcher ou pas ? »
Il hésite. Ce bref silence me suffit.
« Dégagez. »
Il soupire. « Rejeter la réalité ne la changera pas, Monsieur Levasseur. »
Je le foudroie du regard. « Et vous, croire à vos conneries ne me fera pas me lever. »
Il sort.
Un de plus.
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Léa. Elle est là. Toujours. Fidèle. Sa silhouette fine traverse la pièce, son regard accroché au sol.
« Vous devriez au moins essayer la rééducation… » Sa voix est faible, tremblante.
Je ris. Un son rauque, amer. « T’es encore là, toi ? Tu cherches quoi, Léa ? Une médaille ? Un poste à vie ? »
Elle encaisse. Elle baisse la tête. Mais elle ne part pas.
Ça me rend fou.
« J’ai plus besoin de personne. T’as compris ? Ni de toi, ni d’eux, ni de personne. »
Elle lève enfin les yeux. « Je sais. Mais moi… je reste. Parce que quelqu’un doit rester. »
Je détourne la tête. Je ne veux pas voir ses yeux. Pas sa pitié. Pas son attachement.
Pas maintenant.
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Adrien passe un soir. Il s’assoit lourdement sur la chaise, me regarde en silence.
« Tu veux pas te battre ? »
Je ris encore. C’est tout ce qui me reste.
« Me battre contre quoi ? Contre le fait que je vais pisser dans une poche le reste de ma vie ? »
Il serre les poings.
« Tu fais chier, Nathan. Y’en a qui donneraient tout pour s’en sortir. »
Je le fixe, glacé.
« Alors qu’ils prennent ma place. »
Il secoue la tête. « Sophia est partie parce qu’elle savait que t’allais réagir comme ça. T’es en train de creuser ta tombe tout seul. »
Je ne réponds pas.
Qu’il la ferme. Qu’ils me foutent tous la paix.
Je ne veux pas d’eux. Je ne veux plus de cette vie.
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Ils m’installent dans un fauteuil roulant. Une humiliation de plus.
Je refuse la rééducation. Refuse de manger. Refuse de parler.
Léa s’acharne. Elle lit mes mails, gère mes appels. Mais je la repousse, chaque jour un peu plus.
« Arrête, Léa. Va-t’en. »
Elle secoue la tête. « Vous n’avez plus personne. Moi, je suis encore là. »
« T’es là parce que t’es faible. »
Elle encaisse. Mais cette fois, je vois les larmes monter.
Et pour la première fois, je ressens quelque chose. Pas de la peine. Non. Juste un vide plus grand encore.
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NathanLa nuit, je reste éveillé. Je repense à Sophia. À sa robe de mariée qui ne servira jamais. À ses larmes. À sa fuite.Elle m’a abandonné.Et je la déteste autant que je l’aime encore.---Je repense à ma vie d’avant. Le pouvoir. La réussite. Cette impression d’être intouchable.Je suis devenu un fantôme.Un roi sans royaume.Un matin, Léa arrive. Elle s’assied, le visage fermé.« Monsieur Levasseur… Ils veulent vous transférer en centre de rééducation. Vous devez signer. »Je ne la regarde même pas. « Et si je refuse ? »« Alors ils vous gardent ici, comme un légume. »Je souris. « Parfait. »Elle explose. Enfin.« Putain, Nathan ! Tu crois que tu peux continuer comme ça combien de temps ? Tu crois que Sophia va revenir si tu crèves à petit feu ? Tu veux quoi, hein ? Mourir ici, seul ? »Le silence tombe. Froid. Glacial.Je claque d’une voix sourde : « Dégage, Léa. »Elle reste là, les yeux pleins de larmes, avant de sortir. Pour la première fois, elle claque la porte.Et moi, j
NathanJe la vois entrer. Toujours ce pas hésitant, ce visage tendu, ces yeux qui évitent les miens. Léa. Mon dernier lien au monde, celle que je déteste autant que je supplie de rester.Elle s’installe. Me parle de comptes, de contrats, d’Adrien. Je n’écoute plus. Je fixe sa bouche qui se tord sur chaque mot, son front qui se plisse sous l’effort de me convaincre que la vie continue.Quelle blague.Je la coupe net.« T’es vraiment pathétique, Léa. À croire que t’aimes ça, venir te faire cracher à la gueule. »Elle sursaute. Puis elle relève la tête.---LéaJe le regarde. Et pour la première fois, je ne ressens plus de pitié. Juste de la rage.« T’as raison. Je suis pathétique. Pathétique d’avoir cru qu’il restait encore quelque chose d’humain en toi. »Ma voix tremble. Je serre les poings. Mes ongles s’enfoncent dans ma paume. « Je me lève chaque matin en espérant que tu bougeras. Que tu relèveras la tête. Mais non. Tu préfères te complaire dans ta merde. »Il me fixe, les mâchoires
LéaJe suis devant l’immeuble. La gorge serrée, le cœur en vrac. Aujourd’hui, c’est la fin. Je le sens. Il ne le sait pas encore, mais je vais partir. Pour de bon.Je monte. Chaque pas me coûte. Chaque étage me rappelle ce qu’on a été… ce qu’on n’a jamais su être.La secrétaire me sourit, gênée. Tout le monde sait. Ils entendent ses cris, ses colères. Ils voient mes larmes que je cache derrière un sourire de façade. Mais aujourd’hui, je ne joue plus.Je frappe. Pas de réponse.J’entre.---NathanJe la vois. Elle. Léa. Une dernière fois.Elle est debout, droite, forte. Moi, affalé dans ce putain de fauteuil qui est devenu ma prison.« C’est quoi ? T’es venue t’excuser ? » je crache, le ton sec, cynique. Je sens déjà que cette conversation va me détruire.Elle ne répond pas. Elle me tend une enveloppe. Blanche. Froide. Mortelle.« Ma démission. »Les mots claquent dans l’air. Plus violents que n’importe quelle gifle.---LéaIl pâlit. Enfin, je crois. Il détourne les yeux. Fuit. Pour l
LéaIl est là, assis dans ce fauteuil qu’il déteste. Son dos droit, les mains croisées sur les accoudoirs, son regard planté dans le mien. Toujours trop intense. Toujours trop vrai.— T’as l’air ailleurs, dit-il, tranquille.Je hausse les épaules, tente de sourire. Mais c’est lui qui me trouble. Sa façon de rester immobile alors que tout en lui vibre. Son calme apparent est un leurre. Je le connais. Il est en ébullition à l’intérieur. Moi aussi.Je m’approche, hésitante. Il ne peut pas venir vers moi. C’est à moi d’avancer. Et c’est peut-être ça qui me terrifie.— Je réfléchissais.— À quoi ?Je me penche un peu, feignant de chercher un truc sur la table basse. Mon bras frôle le sien. Chaleur. Électricité. Rien que ça. Un simple effleurement. Et pourtant, j’ai l’impression que c’est trop. Ou pas assez.— À toi, je murmure sans réfléchir.Le silence s’installe. Il ne bronche pas. Mais ses doigts se crispent un peu sur l’accoudoir. Minuscule détail. Immense onde de choc.NathanÀ moi. E
LéaJe me réveille en sursaut. Le matin est encore jeune, une lumière blafarde filtre à travers les rideaux. Je suis allongée sur le canapé, les draps m'entourent comme un cocon brisé. Le souvenir de la nuit dernière me hante déjà. Nathan, ses yeux fixés sur moi, sa main tendue, ce baiser que je n’aurai jamais cru possible. C’était tellement réel, tellement vrai, et pourtant tout semble déjà échapper. Tout semble déjà brisé avant même d’avoir eu le temps de se reconstruire.Je tourne la tête. Nathan est là, figé dans son fauteuil, son regard perdu dans le vide. Il n’a pas bougé. Pas un centimètre. Peut-être qu’il n’a même pas dormi. Il est épuisé, et moi aussi. Mais c’est la peur qui m’écrase, cette peur sourde et insidieuse qui me ronge depuis que j’ai franchi ce seuil, depuis que j’ai accepté de tomber dans cet abîme avec lui.Je me lève lentement, mes jambes encore lourdes de sommeil. Je m’approche de lui, mais je n'ose pas le toucher. Je sais qu’il a besoin de cet espace, même si
LéaLe silence dans la pièce est suffocant. Mon cœur bat plus vite, mes mains tremblent légèrement alors que je me force à garder mon calme. Nathan se tient devant moi, figé dans son fauteuil, son regard perdu dans le vide. Je vois ses yeux fatigués, ses lèvres tremblantes. Même immobile, il semble englouti dans une souffrance que je ne sais plus comment comprendre. C’est comme si son corps, tout entier, refusait d’accepter sa propre douleur. Comme si, dans cette paralysie, il avait perdu la capacité de se battre.Je pourrais fuir. C'est la solution la plus simple, la plus logique. Mais je ne le fais pas. Pourquoi ? Parce que j'ai l'impression qu’il me faut prouver quelque chose. Pas à lui. Pas au monde. Mais à moi-même. Peut-être que je me suis laissée trop emporter, trop entraîner dans cet enchevêtrement de sentiments et de peurs. Peut-être que je devrais enfin accepter la réalité : Nathan ne veut pas être sauvé.Je m’avance un peu, brisant la distance qui nous sépare. Mais je n’ose
LéaLe lendemain matin, la lumière pâle perce à travers les rideaux tirés. Le jour s’installe lentement, comme s’il avait peur de troubler l’équilibre fragile de cette pièce trop silencieuse. Le genre de lumière qui ne réchauffe pas encore, mais qui éclaire cruellement ce qu’on aurait préféré garder dans l’ombre.Je suis réveillée depuis longtemps. Allongée sur le petit canapé, la nuque raidie, les muscles endoloris, je regarde le plafond sans vraiment le voir. J’écoute. Pas un mot. Pas un mouvement. Mais je sais qu’il est éveillé. Je le sens dans l’atmosphère, dans la tension contenue qui flotte entre les murs. Sa respiration n’est plus celle du sommeil. Elle est plus lente, plus profonde, presque maîtrisée. Comme s’il essayait de se faire oublier. Ou de se convaincre lui-même qu’il n’est pas là.Je me lève sans bruit. Mes pieds nus effleurent le sol froid. Je traverse la pièce en silence, évitant de faire grincer les lattes du parquet. La cafetière gémit doucement, relâchant des bou
NathanL’eau a fini par devenir tiède, puis presque froide. Je suis resté trop longtemps sous la douche. Pas parce que j’en avais besoin physiquement. Mais parce que je repoussais le moment de sortir. Le moment de me confronter à ce qu’elle allait voir.Mon corps. Ce qu’il en reste.Pas seulement les plaies, les cicatrices, les lignes de tension qu’on ne montre pas à la lumière. Mais tout ce que je ne peux plus faire. Le silence de mes jambes. Le vide entre ce que j’étais et ce que je suis devenu.Quand j’ai fini par appeler — un simple “Léa ?” à peine audible, étranglé entre mes dents — elle est venue. Tout de suite. Pas un mot, pas une question. Elle a ouvert la porte, lentement, sans bruit, comme si elle pénétrait dans un sanctuaire fra
Nathan LevasseurJe pensais que c’était fini.Je pensais que le pire avait déjà eu lieu. Que la douleur de la première fois, ce moment où nos regards s’étaient croisés, suffirait à solder le passé. Mais certaines blessures ont des échos. Certaines morsures ne s’infectent qu’après coup.Et ce soir, je sens le poison se répandre.La réception se tient dans une salle voisine, attenante à l’église, et tout y transpire l’excès de bon goût : moulures dorées, fresques restaurées, bouquets blancs figés dans leurs vases de cristal.Les lustres lancent leurs éclats froids sur les visages poudrés, les regards polis, les sourires de circonstance. C’est une pièce construite pour l’illusio
Nathan LevasseurJe ne voulais pas y aller.J’ai protesté, grogné, repoussé l’idée jusqu’à la dernière minute. Mais cette cérémonie… — C’est pour Marc. Un frère d’armes. Un type droit, solide, loyal jusqu’au bout. Et même si je suis hors service, même si je suis brisé, même si je déteste ce que je suis devenu, je ne peux pas lui tourner le dos. Pas à lui. Pas à ce qu’on a partagé.Alors je me laisse faire.Léa m’aide à enfiler ma veste. Elle le fait sans un mot, avec cette douceur discrète qui n’exige rien, ne juge rien. Costume noir. Chemise boutonnée jusqu’en haut. Cravate nouée avec une patience infinie. Elle ajuste mon col, rabat un pli invisible, vérifie les manches. Je sens ses doi
LéaIl dort.Pas d’un sommeil agité comme avant. Pas d’un effondrement nerveux. Juste… un vrai sommeil. Profond. Apaisé. Son visage est détendu, presque juvénile, sans les plis de douleur, sans la crispation permanente de celui qui lutte contre un corps qu’il ne reconnaît plus.Je le regarde, immobile. Assise au bord du lit. Je n’ose pas bouger. Comme si le moindre mouvement risquait de briser cette paix fragile.Et moi, je suis là. Témoin silencieuse de son abandon, gardienne de ce moment volé au chaos.Je voudrais que ce calme dure. Mais je le sais. Ce n’est qu’un répit. Une trêve fragile entre deux tempêtes. Alors je rassemble mon courage. J’inspire. Longtemps. Fort.Quand il ouvre les yeux, il a ce regard flottant, brumeux, suspendu entre rêve et réalité. Ses paupières battent. Il me voit. Il me reconnaît.— Léa ? Il murmure mon prénom comme on murmure une prière.Je hoche la tête. Ma main trouve la sienne. J’ai la gorge nouée, mais je parle. Parce que je dois. Parce que sinon, j
LéaIl ne m’a pas lâchée de la nuit.Sa main dans la mienne, ses doigts serrés comme s’il avait peur que je disparaisse pendant son sommeil. Comme si mon départ était une possibilité plus tangible que ma présence. Et moi, je suis restée là, au sol, adossée à son fauteuil, à écouter sa respiration se faire moins erratique. À attendre que son cœur trouve un tempo qui ne m’étrangle pas d’inquiétude.Je ne dors pas non plus. Mais cette nuit, l’insomnie est différente.Moins douloureuse. Moins glaciale.Je sens son pouce effleurer ma peau par moments. Des gestes minuscules, presque involontaires. Des appels de détresse sans mots. Alors je serre un peu plus fort. Je suis là, Nathan. Je suis là.Quand le matin perce à travers les rideaux, mes os me rappellent leur existence. J’ai la nuque en feu, les jambes engourdies, la peau collée par la fatigue. Mais je m’en fiche. Il est encore là. Et pour la première fois depuis des semaines, ses yeux croisent les miens sans se détourner.Il reste. Il
Nathan LevasseurJe ne dors plus. Les nuits s’étirent comme des couloirs vides, interminables. Je reste éveillé, les yeux fixés sur le plafond, comme s’il allait finir par s’effondrer sur moi et me libérer de ce corps trop lourd. J’ai beau essayer de rassembler mes forces, il ne reste rien. Rien qu’un vide épuisant, un trou dans lequel je me laisse couler, jour après jour. Le silence est devenu mon langage. Une forme d’abandon. Le refus de me battre encore.Mais ce soir, le silence est brisé par une présence.Léa.Elle est là, assise dans le fauteuil près du lit, jambes repliées contre sa poitrine, les bras serrés autour d’un coussin comme s’il était tout ce qu’elle avait. Elle pense que je dors, mais je la vois. Elle a les traits tirés, les yeux rouges. Elle est fatiguée. Épuisée. À bout. Et je suis responsable de ça. De cette douleur qui s’imprime sur ses traits chaque fois qu’elle me regarde et que je détourne les yeux.Elle ne me dit rien. Elle ne me demande rien. Et pourtant, son
LéaLa réunion se termine dans un murmure indistinct, une série de décisions prises sans que Nathan ne fasse le moindre geste. Il n’a pas bougé de son fauteuil. Pas une parole, pas un regard vers ceux qui l’entourent. Et pourtant, je sens l’effort qu’il met à maintenir cette façade. Il est là, mais il est absent. Il n’y a plus de combativité dans ses yeux. Plus de flamme.Je ferme l'ordinateur portable devant moi, ramassant les documents avec une précision calculée, comme si j'étais encore dans ce rôle de gestionnaire, de remplaçant. Mais ce n’est pas moi qui devrais être là. C’est lui. Lui qui a façonné cette entreprise, lui qui était le maître du jeu. Mais tout a changé. Il a changé. Et maintenant, je me retrouve coincée dans un rôle que je n’ai jamais voulu, une responsabilité qui pèse sur mes épaules, plus lourde chaque jour.Je me tourne vers lui. Il reste là, immobile, dans son fauteuil roulant. Il me semble plus petit, plus fragile, comme une statue abandonnée. Je veux lui parl
LéaJe suis debout devant le tableau, ajustant les derniers détails de la présentation. Tout doit être parfait, chaque graphique, chaque argument, chaque chiffre. La salle de réunion est silencieuse, presque trop silencieuse. Les employés attendent dans un calme qui frôle l'attente, mais je sais que leur esprit est ailleurs, que leur regard est fixé sur l'homme qui les a dirigés avec poigne, qui les a vus réussir et échouer sous son autorité. Aujourd'hui, il n'est plus que l'ombre de cet homme. Et je suis là, à prendre sa place, à m’assurer que les rouages de cette machine continuent de tourner malgré lui.Je tourne la tête vers la porte. Nathan n’est pas encore arrivé. Je me demande s’il viendra. J’ai l’impression qu’il est de plus en plus absent, non seulement physiquement, mais aussi mentalement. L’homme que j’ai connu, celui qui aurait fait face à cette réunion avec cette détermination glaciale, ne semble plus exister. Il est devenu une figure floue, imprécise. Et malgré tout, je
Nathan LevasseurLe bruit des roues, des cliquetis réguliers sur le sol, résonne comme un écho de mes pensées. Léa pousse mon fauteuil sans dire un mot, sans chercher à me rassurer. Elle sait qu’aucun mot ne pourrait m’atteindre, pas maintenant. Tout est plus lourd, plus dur. Mon bureau, l’air autour de moi, les regards furtifs des employés, tout semble plus grand. Les murs semblent se resserrer autour de moi, comme pour me rappeler que j’ai toujours été là, toujours dans cette machine, ce système qui, aujourd’hui, m’étouffe.Je serre les dents. L’odeur du papier, l’éclat de la lumière artificielle me rappellent l’ancienne époque, celle où chaque décision m’appartenait, où je dirigeais avec cette confiance inébranlable. Maintenant, c’est un autre homme qui s’assoit à ma place. Un autre homme qui prend ce qu’il peut sans même lever les yeux. Et moi, je suis là. J’assiste à ce déclin, ce petit à petit qui me ronge. Et tout ce que je peux faire, c’est observer. Observer et encaisser.Léa
NathanJe croyais qu’elle allait me laisser tranquille, ce matin. Après la douche. Après le café. Après ce moment suspendu où nos mains se sont frôlées sans un mot. J’avais cru qu’elle comprendrait que c’était déjà beaucoup. Que c’était suffisant. Que je ne voulais pas plus. Pas aujourd’hui.Mais non.Léa se lève. Me laisse seul quelques instants dans la chambre, puis revient avec un plateau. Elle s’installe sur le bord du lit avec cette assurance tranquille qui m’a toujours dérangé, même quand elle n’était que mon assistante. Surtout depuis qu’elle est bien plus que ça. Plus proche. Trop proche, parfois.— Tu manges, dit-elle.Pas de question. Pas de “vous voulez ?”.