Eden
L’erreur est là, entre nous.
Accrochée à ses lèvres. Gravée dans mon souffle court, dans mes doigts crispés sur sa chemise.
Je viens de l’embrasser.
Je viens de lui donner ce qu’il attendait, ce qu’il voulait depuis le premier instant.
Et le pire ?
Je l’ai voulu aussi.
La prise qu’il exerce sur moi se relâche légèrement. Juste assez pour me faire croire que j’ai encore un échappatoire. Mais je connais déjà la vérité : il ne me retient pas. C’est moi qui ne pars pas.
Ma respiration est saccadée. Mon cœur bat trop vite.
Aleksandr me regarde, et je devine ce qu’il va dire avant même qu’il ouvre la bouche.
— Tu te mens à toi-même, Eden.
Il murmure ces mots avec une douceur assassine, une certitude tranchante qui me donne envie de hurler.
Alors je fais ce que je fais de mieux.
Je le repousse violemment.
Son dos heurte le mur avec un bruit sourd. Mais il ne riposte pas.
Il se contente de me fixer avec cet air suffisant, ce sourire arrogant qui me donne envie de le frapper.
— Ne crois pas que tu as gagné, je crache, la gorge serrée.
Son regard sombre brille d’amusement.
— Oh, Eden…
Il se redresse lentement, comme un prédateur qui s’étire après avoir joué avec sa proie.
— Je n’ai pas encore commencé à jouer.
Un frisson me parcourt, et je le déteste encore plus pour ça.
Je tourne les talons, prête à sortir de cette chambre, de cette foutue cage où il m’a enfermée dans mon propre désir.
Mais à peine ai-je fait un pas qu’il me rattrape.
Sa main saisit mon poignet, et en une fraction de seconde, je me retrouve contre lui. Son corps brûlant contre le mien, son souffle effleurant ma peau.
— Laisse-moi partir.
— Pourquoi ?
Il pose cette question comme une provocation, comme une certitude qu’il connaît déjà la réponse.
Et le pire, c’est qu’il a raison.
Je ferme les yeux, cherchant un moyen de fuir cette spirale qui m’attire vers lui.
Mais sa voix s’insinue dans mon esprit comme un poison doux.
— Je pourrais t’avoir ici, maintenant.
Sa main glisse le long de mon bras, effleure mes hanches, s’arrête juste assez bas pour me faire haleter.
— Et tu le laisserais faire.
Je relève brusquement les yeux, furieuse.
— Ne sois pas si sûr de toi.
Il rit doucement.
— Tu penses encore avoir le contrôle ?
Sa main remonte lentement, glissant sur ma peau avec une lenteur calculée.
— Tu veux lutter, Eden ? Très bien. Luttes.
Il recule d’un pas, brisant ce contact brûlant qui me cloue sur place.
Je reste figée.
Il me teste.
Il veut voir si je vais partir ou si je vais rester.
Si je vais fuir ou si je vais céder.
Et moi, je ne sais plus.
Ma tête hurle de courir. Mon corps me supplie de rester.
Aleksandr me fixe, les bras croisés, comme s’il me défiait de prendre une décision.
Je m’humecte les lèvres, ma gorge trop sèche pour parler.
Puis, lentement, je recule.
Un pas.
Puis deux.
Jusqu’à ce que ma main atteigne la poignée de la porte.
Je pourrais sortir.
Je devrais sortir.
Mais alors, pourquoi ma main ne tourne-t-elle pas la poignée ?
Pourquoi mon corps tremble-t-il encore ?
Pourquoi mon cœur hurle-t-il qu’il me manque déjà alors qu’il est juste là, à quelques mètres de moi ?
Aleksandr ne bouge pas.
Il attend.
Je ferme les yeux une dernière fois.
Et je fais mon choix.
Eden
Je devrais sortir.
Laisser cette porte s’ouvrir, m’éloigner, me libérer de cette emprise invisible qui m’étouffe.
Mais mes doigts tremblent sur la poignée.
Je déteste cet instant.
Ce moment où tout se brouille, où ma raison s’effondre face à quelque chose de plus grand, de plus obscur, de plus dangereux.
Aleksandr est toujours là.
Il ne dit rien.
Il me regarde.
Comme s’il savait déjà ce que j’allais faire.
Et moi, je me hais de réaliser qu’il a raison.
Lentement, je relâche la poignée.
L’instant d’après, je me retourne.
Il sourit.
Ce sourire, ce foutu sourire qui me donne envie de l’étrangler et de l’embrasser dans la même seconde.
— Tu vois ? souffle-t-il.
Je ne réponds pas. Je refuse de lui donner cette victoire.
Mais il n’a pas besoin de mots.
Il sait.
Son regard sombre brille d’une lueur dangereuse, une satisfaction carnassière qui me fait frissonner.
— Tu ne peux pas t’échapper, Eden. Tu ne l’as jamais pu.
Je serre les poings, luttant contre l’envie de lui sauter à la gorge.
— Ne me dis pas ce que je ressens.
Il avance d’un pas.
Je devrais reculer.
Je ne bouge pas.
Un sourire effleure ses lèvres.
— Alors prouve-moi que j’ai tort.
Son défi flotte entre nous, brûlant comme une braise prête à enflammer tout ce qu’elle touche.
Et je la sens.
Cette chaleur qui me consume, cette rage entremêlée à quelque chose d’autre.
Quelque chose d’encore plus dangereux.
Un désir que je refuse de nommer.
Aleksandr tend la main.
Une invitation silencieuse.
Un piège.
Je le sais.
Je sais que si je la prends, je tomberai encore plus profond.
Que je n’aurai plus aucun moyen de reculer.
Mais mes doigts bougent malgré moi.
Ils frôlent les siens.
Un contact infime. Électrique.
Et dans ce simple effleurement, je sais que j’ai déjà perdu.
Le sourire d’Aleksandr s’élargit à peine.
Et moi, je ferme les yeux, prête à plonger dans l’abîme.
— Viens.
Sa voix est un murmure. Une promesse. Une condamnation.
Et moi, sans un mot, je le suis.
---
La chambre est plongée dans la pénombre.
Le silence est épais, chargé de quelque chose d’invisible, de dangereux.
Aleksandr est devant moi.
Immobile. Patient.
Comme un chasseur qui attend que sa proie vienne à lui.
Je pourrais encore fuir.
Mais je ne veux plus fuir.
Je suis fatiguée de lutter contre ce que je ressens.
Alors je fais le premier pas.
Je pose mes mains sur sa chemise, mes doigts glissant contre le tissu.
Il ne bouge pas.
Il me laisse faire.
C’est moi qui décide.
C’est moi qui choisis de le vouloir.
Je déboutonne lentement sa chemise, révélant la peau chaude sous mes doigts.
Mon souffle s’accélère.
Son regard s’obscurcit.
— Eden…
Sa voix est rauque, teintée d’une menace douce.
Je le sais.
Je joue avec le feu
.
Mais pour la première fois, je ne veux pas éteindre l’incendie.
Je veux brûler avec lui.
Je lève les yeux, ancrant mon regard au sien.
Et je murmure, dans un souffle :
— Fais-moi regretter de rester.
L’instant d’après, il me saisit brutalement.
Et je tombe.
MaëlysLisbonne , appartement d’Eden matinLa lumière du matin filtrait à travers les volets entrouverts, douce, presque fragile, telle une caresse silencieuse. Elle dansait dans l’air immobile, dessinant des volutes dorées sur les murs défraîchis, caressant le parquet marqué par le temps, comme si chaque grain racontait une histoire oubliée. L’appartement semblait hors du monde, un sanctuaire suspendu entre passé et présent.L’air lui-même portait un mélange subtil d’herbe fraîchement coupée et de résine brûlée, comme un feu qui s’estompe lentement, laissant derrière lui une odeur mêlée d’espoir et de mélancolie.Je restai là, appuyée contre l’encadrement de la porte, mon corps encore endolori, chaque muscle vibrant de la tension accumulée, prêt à lâcher prise mais refusant de céder. La fatigue pesait sur mes paupières lourdes, mais au fond de moi brûlait une flamme fragile, une lumière vacillante qui refusait de s’éteindre.À mes côtés, Aleksandr était immobile, silencieux, comme fi
Maëlys4h08 — Chambre 204, retour d’ombreNous n’avons pas parlé pendant tout le trajet du retour.Le feu derrière nous continuait de brûler quand nous avons quitté les docks.Les sirènes commençaient à hurler, mais elles semblaient lointaines, irréelles.Le monde autour criait, et nous, on n’écoutait plus rien. On ne regardait plus rien.Pas un mot. Pas un regard.Comme si parler aurait cassé quelque chose de fragile, de dangereux.Je suis montée dans la voiture comme on monte dans un cercueil ouvert.J’ai senti le poids du silence entre nous.Pas un silence vide.Un silence plein.Rempli de ce qu’on ne sait pas encore dire. De ce qu’on n’a pas le droit de dire.Pas ce soir.Et maintenant, me voilà ici.La porte de la chambre se referme derrière moi avec un claquement sec.Un son net. Définitif.Aleksandr entre à son tour. Il ne dit rien. Il pose ses clés. Sa veste. Il ne me regarde même pas.Mais je sens son souffle.Sa tension.Son silence.Il retire sa chemise sans hâte. Un bouton
Maëlys23h12 — L’hôtel sans nom, MarseilleJe n’ai pas dormi.Depuis qu’on est arrivés, j’ai marché dans la chambre comme une bête en cage.Aleksandr ne m’a rien dit. Il m’a juste tendu un verre d’eau. Il est resté assis dans un fauteuil, les coudes sur les genoux, silencieux. Présent. Étonnamment vivant dans son calme.Mais moi, je ne peux pas me poser. Pas encore. Pas maintenant.Il y a trop de tension dans mon corps. Une énergie brute, acide, qui cherche une issue.Ce soir, c’est comme si tout en moi cherchait à me fuir. Ma peau me brûle. Ma gorge est sèche. Et mes souvenirs sont… flous. Tordus. Comme s’ils étaient enfermés dans une chambre noire à double fond. Quelque chose pulse dans mon crâne, une vérité que je ne veux plus repousser.Je me penche au-dessus du lavabo. L’eau glacée sur mon visage me réveille un peu, mais pas assez. Pas vraiment.Je veux me souvenir. Je veux savoir. Je veux sentir chaque chose qu’ils m’ont volée.Même si ça fait mal. Surtout si ça fait mal.00h47
Maëlys16h14 — L’entrée interditeLe manoir est à l’image de ce que j’ai toujours redouté chez Aleksandr : froid, imposant, figé dans le temps.Pas un de ces lieux habités par des fantômes.Non. Ici, ce sont les secrets qui hantent les murs. Les silences étouffés. Les souvenirs qu’on n’ose pas nommer.Il ne dit rien quand on franchit les grandes grilles de fer forgé.Pas un mot non plus lorsqu’il coupe le moteur devant l’entrée envahie de lierre.Mais moi, je sens tout.Chaque pierre semble porter un souvenir. Chaque marche nous observe. Chaque fenêtre noire paraît prête à nous avaler.Je sors de la voiture. L’air est plus froid ici, plus dense.Il me regarde un instant, puis tire une chaîne de son cou. Trois clés y pendent, différentes par la forme et l’usure, mais chacune lourde de sens.— C’est ici que ton père t’a emmené ? demandé-je à mi-voix.Il hoche la tête, les yeux ailleurs.— Une seule fois. J’avais treize ans. Il m’a dit : "C’est là que tu comprendras ce que tu es vraiment
Maëlys11h21 — La morsure de la véritéElle hurle. Pas de douleur. D’orgueil blessé.Le sang s’étale en une flaque sombre sous son épaule, mais son regard ne faiblit pas.— Vous êtes pathétiques, crache-t-elle entre deux râles. Vous croyez encore pouvoir changer la fin ? C’est déjà joué.Je garde mon arme pointée sur elle. Mon bras commence à trembler, mais pas de peur.De rage contenue.Aleksandr s’approche d’elle à pas lents. Il s’agenouille, l’attrape par les cheveux et la force à relever la tête.— Qui t’a engagée ?— Tu poses les mauvaises questions, Aleksandr, répond-elle en souriant malgré la douleur. Ce n’est pas "qui". C’est "depuis quand".Il la frappe. Une claque sèche, pas pour la faire taire, mais pour briser l’arrogance.— Parle, ou je te jure que tu ne sortiras pas vivante d’ici.Elle tousse, crache du sang. Puis rit. Un ricanement creux, tordu.— Tu n’as toujours rien compris. C’est elle qu’ils veulent. Pas toi.Je sens le sol se dérober sous mes pieds.— Moi ? soufflé
Aleksandr07h28 — Le réveil des ombresLe message s’affiche encore, sec, brutal, comme un coup de lame entre les côtes.Un mot.Un signal.Un rappel que le monde dans lequel nous vivons n’a jamais cessé de brûler.Je reste figé, le souffle en suspens. Mon cœur bat fort, trop fort, comme s’il voulait prévenir avant que le monde ne se fracture. Je sens le poids revenir, celui que j’avais laissé s’échapper quelques heures entre ses bras. L’illusion s’est évaporée. Le répit est terminé.Mais je ne bouge pas. Pas encore.Elle dort, là, contre moi, abandonnée à la nuit. Sa main est toujours sur mon torse, ses doigts ancrés dans ma peau comme une prière muette. Son souffle est calme, fragile. Et moi, je la fixe. Je grave chaque détail. Parce que ce moment — ce calme, cette chaleur — pourrait bien être le dernier avant la tempête.Je me penche et embrasse doucement ses cheveux.Cette fois, je ne partirai pas sans elle.07h43 — Le poids de la décisionJe me lève en silence. Chaque geste est ma