Eden
Son regard est un piège.
Une mer d’ombres et de lumières qui me noie lentement. Aleksandr est là, si proche que je sens chaque souffle qu’il expulse, chaque tressaillement imperceptible de son corps. Il ne bouge pas. Il attend. Il me laisse croire que j’ai encore un choix, alors que nous savons tous les deux que ce n’est qu’une illusion.
J’ai perdu la bataille bien avant de la livrer.
J’ai beau me le répéter, une part de moi refuse d’accepter cette vérité. Je veux lutter. Je veux continuer à me battre contre lui, contre moi-même, contre ce désir qui rampe sous ma peau comme une malédiction.
Mais Aleksandr est patient.
Il sait que la lutte ne dure jamais éternellement.
Aleksandr
Je la regarde se débattre avec elle-même.
Eden est un paradoxe fascinant. Un feu indomptable qui refuse de s’éteindre, mais qui brûle d’autant plus fort à chaque souffle d’air que je lui donne. Elle est piégée dans ses propres contradictions, incapable de choisir entre la haine et l’acceptation.
Je pourrais la briser maintenant.
Je pourrais forcer sa soumission, la plier sous ma volonté.
Mais ce ne serait pas assez.
Ce que je veux, c’est qu’elle se brise d’elle-même. Qu’elle réalise que sa propre résistance est son pire ennemi.
Alors j’attends.
— Pourquoi tu fais ça ? souffle-t-elle enfin, la voix tremblante d’un mélange de rage et d’autre chose qu’elle refuse de nommer.
Je souris.
— Parce que j’aime voir jusqu’où tu peux aller avant de tomber.
— Et si je ne tombe pas ?
Un éclat amusé traverse mes yeux.
— Tout le monde tombe, Eden. Même toi.
Elle serre les poings, comme si elle pouvait contenir toute la tempête qui rugit en elle.
— Tu crois me connaître.
Je penche la tête légèrement.
— Je n’ai pas besoin de te connaître pour savoir ce que tu ressens.
Je lève une main, lentement, pour ne pas la brusquer.
Elle ne recule pas.
Intéressant.
Mes doigts effleurent sa joue, effacent une mèche de cheveux collée à sa peau brûlante. Son souffle s’accélère, mais elle ne détourne pas les yeux.
Elle ne m’arrêtera pas.
Elle veut que je continue.
Et pourtant, elle ne l’admettra jamais.
Je glisse mes doigts le long de sa mâchoire, puis plus bas, sur la ligne fine de sa gorge. Elle déglutit, ses cils frémissent.
— Tu ressens ça, Eden ?
Un frisson remonte le long de son corps.
— Non.
Le mensonge est presque convaincant.
Un rire silencieux secoue ma poitrine.
— Tu mens très mal.
Elle me fusille du regard, mais elle ne me repousse toujours pas.
— Et toi, tu joues avec le feu.
— Je ne fais que l’attiser.
Je serre légèrement mes doigts autour de sa gorge, pas assez pour lui faire mal, juste assez pour lui rappeler qui détient le contrôle.
Son corps réagit malgré elle.
Elle ferme les yeux, crispant les lèvres.
Quand elle les rouvre, ils brillent d’un mélange de défi et de confusion.
— Lâche-moi.
— Dis-moi pourquoi.
— Parce que je le veux.
— Encore un mensonge.
Je relâche la pression, laissant juste ma main posée sur sa peau.
— Si tu voulais que je m’arrête, tu m’aurais frappé.
Elle se fige.
Elle le sait.
Je le sais.
Et c’est ce qui la détruit le plus.
Elle ne veut pas fuir.
Elle veut continuer.
Elle veut sombrer.
Mais elle ne peut pas l’admettre.
Pas encore.
Je penche la tête, mon souffle caressant la courbe de son oreille.
— Tu vois, Eden… Ce n’est pas moi qui te retiens.
— C’est toi.
Elle frissonne, et cette fois, elle ne peut pas le cacher.
La lutte est terminée.
Elle ne le sait juste pas encore.
Eden
Je hais cet instant.
Ce silence tendu entre nous, ces frissons incontrôlables qui parcourent mon corps alors que la main d’Aleksandr repose encore contre ma gorge. Il ne serre pas. Il ne force rien. Il attend.
Comme toujours.
Il attend que je cède.
Que je me consume sous mon propre désir.
Que je réalise que c’est moi, et moi seule, qui m’attache aux chaînes qu’il me tend.
Je le fixe, le souffle court, incapable de bouger.
Je devrais le repousser. Lui cracher au visage. L’insulter jusqu’à ce qu’il me relâche enfin.
Mais je ne le fais pas.
Aleksandr
Elle est superbe dans cet instant suspendu.
Son regard brûle de rage, mais son corps trahit un tout autre combat. Un combat qu’elle ne peut pas gagner.
Je le savais.
Je savais qu’elle était comme ça.
Elle veut dominer, contrôler, décider.
Mais au fond, elle meurt d’envie d’abandonner cette guerre ridicule contre elle-même.
Elle veut que quelqu’un d’autre prenne le contrôle.
Et ce quelqu’un, ce sera moi.
Je caresse lentement sa peau du bout du pouce, suivant la ligne de sa gorge.
Elle tressaille, mais ne détourne pas les yeux.
— Tu veux fuir ? je murmure.
Elle ne répond pas.
— Alors fuis.
Toujours rien.
Je souris.
— Mais tu ne le feras pas.
Un éclat de colère traverse son regard.
— Parce que tu en crèves d’envie.
Un rire sans joie secoue son corps.
— T’es tellement sûr de toi.
— Je te regarde. Je te vois.
Un silence pesant s’installe.
Puis, d’un mouvement brusque, elle attrape mon poignet et l’éloigne de son cou.
Je la laisse faire.
Mais je ne recule pas.
— Tu crois que tu peux jouer avec moi ? crache-t-elle.
— Ce n’est pas un jeu.
Elle rit, un rire amer, comme si elle voulait y croire.
Je lui donne un pas de répit. Une illusion de victoire.
Puis, sans prévenir, je la plaque contre le mur.
Elle sursaute, mais ne crie pas.
— Qu’est-ce que tu fais ?!
— Je te montre la vérité.
Je glisse une main dans ses cheveux, les tirant légèrement en arrière, exposant la courbe fine de son cou.
Elle est magnifique comme ça.
Vulnérable.
Mais encore enragée.
Elle se débat, mais je la tiens fermement.
— Lâche-moi.
— Non.
Je laisse passer quelques secondes. Juste assez pour sentir son souffle rapide, pour voir la lutte dans ses yeux.
— Pourquoi tu continues, Eden ?
Silence.
Elle lutte toujours.
— Pourquoi tu n’as pas fui quand tu en avais l’occasion ?
Toujours pas de réponse.
Je souris.
— Parce que tu veux savoir jusqu’où ça peut aller.
Son regard vacille.
— Je ne veux rien savoir de toi.
— Mens encore, et je t’embrasse.
Elle tressaille, ses lèvres s’entrouvrent.
Ses yeux s’accrochent aux miens, indécis, furieux.
— Va te faire foutre.
— Fais-le toi-même, si tu en es capable.
Elle inspire un grand coup.
Puis, dans un élan de défi, elle m’embrasse.
Brusquement.
Férocement.
Ses lèvres se pressent contre les miennes avec une rage incontrôlable, un mélange de haine et de désir brut. Ses mains s’accrochent à ma chemise, me tirant vers elle alors qu’elle s’abandonne à l’instant.
Je souris contre sa bouche.
— Enfin.
Elle se fige.
Et là, elle comprend.
Elle a perdu.
Mais moi, je n’en ai pas encore fini avec elle.
MaëlysLisbonne , appartement d’Eden matinLa lumière du matin filtrait à travers les volets entrouverts, douce, presque fragile, telle une caresse silencieuse. Elle dansait dans l’air immobile, dessinant des volutes dorées sur les murs défraîchis, caressant le parquet marqué par le temps, comme si chaque grain racontait une histoire oubliée. L’appartement semblait hors du monde, un sanctuaire suspendu entre passé et présent.L’air lui-même portait un mélange subtil d’herbe fraîchement coupée et de résine brûlée, comme un feu qui s’estompe lentement, laissant derrière lui une odeur mêlée d’espoir et de mélancolie.Je restai là, appuyée contre l’encadrement de la porte, mon corps encore endolori, chaque muscle vibrant de la tension accumulée, prêt à lâcher prise mais refusant de céder. La fatigue pesait sur mes paupières lourdes, mais au fond de moi brûlait une flamme fragile, une lumière vacillante qui refusait de s’éteindre.À mes côtés, Aleksandr était immobile, silencieux, comme fi
Maëlys4h08 — Chambre 204, retour d’ombreNous n’avons pas parlé pendant tout le trajet du retour.Le feu derrière nous continuait de brûler quand nous avons quitté les docks.Les sirènes commençaient à hurler, mais elles semblaient lointaines, irréelles.Le monde autour criait, et nous, on n’écoutait plus rien. On ne regardait plus rien.Pas un mot. Pas un regard.Comme si parler aurait cassé quelque chose de fragile, de dangereux.Je suis montée dans la voiture comme on monte dans un cercueil ouvert.J’ai senti le poids du silence entre nous.Pas un silence vide.Un silence plein.Rempli de ce qu’on ne sait pas encore dire. De ce qu’on n’a pas le droit de dire.Pas ce soir.Et maintenant, me voilà ici.La porte de la chambre se referme derrière moi avec un claquement sec.Un son net. Définitif.Aleksandr entre à son tour. Il ne dit rien. Il pose ses clés. Sa veste. Il ne me regarde même pas.Mais je sens son souffle.Sa tension.Son silence.Il retire sa chemise sans hâte. Un bouton
Maëlys23h12 — L’hôtel sans nom, MarseilleJe n’ai pas dormi.Depuis qu’on est arrivés, j’ai marché dans la chambre comme une bête en cage.Aleksandr ne m’a rien dit. Il m’a juste tendu un verre d’eau. Il est resté assis dans un fauteuil, les coudes sur les genoux, silencieux. Présent. Étonnamment vivant dans son calme.Mais moi, je ne peux pas me poser. Pas encore. Pas maintenant.Il y a trop de tension dans mon corps. Une énergie brute, acide, qui cherche une issue.Ce soir, c’est comme si tout en moi cherchait à me fuir. Ma peau me brûle. Ma gorge est sèche. Et mes souvenirs sont… flous. Tordus. Comme s’ils étaient enfermés dans une chambre noire à double fond. Quelque chose pulse dans mon crâne, une vérité que je ne veux plus repousser.Je me penche au-dessus du lavabo. L’eau glacée sur mon visage me réveille un peu, mais pas assez. Pas vraiment.Je veux me souvenir. Je veux savoir. Je veux sentir chaque chose qu’ils m’ont volée.Même si ça fait mal. Surtout si ça fait mal.00h47
Maëlys16h14 — L’entrée interditeLe manoir est à l’image de ce que j’ai toujours redouté chez Aleksandr : froid, imposant, figé dans le temps.Pas un de ces lieux habités par des fantômes.Non. Ici, ce sont les secrets qui hantent les murs. Les silences étouffés. Les souvenirs qu’on n’ose pas nommer.Il ne dit rien quand on franchit les grandes grilles de fer forgé.Pas un mot non plus lorsqu’il coupe le moteur devant l’entrée envahie de lierre.Mais moi, je sens tout.Chaque pierre semble porter un souvenir. Chaque marche nous observe. Chaque fenêtre noire paraît prête à nous avaler.Je sors de la voiture. L’air est plus froid ici, plus dense.Il me regarde un instant, puis tire une chaîne de son cou. Trois clés y pendent, différentes par la forme et l’usure, mais chacune lourde de sens.— C’est ici que ton père t’a emmené ? demandé-je à mi-voix.Il hoche la tête, les yeux ailleurs.— Une seule fois. J’avais treize ans. Il m’a dit : "C’est là que tu comprendras ce que tu es vraiment
Maëlys11h21 — La morsure de la véritéElle hurle. Pas de douleur. D’orgueil blessé.Le sang s’étale en une flaque sombre sous son épaule, mais son regard ne faiblit pas.— Vous êtes pathétiques, crache-t-elle entre deux râles. Vous croyez encore pouvoir changer la fin ? C’est déjà joué.Je garde mon arme pointée sur elle. Mon bras commence à trembler, mais pas de peur.De rage contenue.Aleksandr s’approche d’elle à pas lents. Il s’agenouille, l’attrape par les cheveux et la force à relever la tête.— Qui t’a engagée ?— Tu poses les mauvaises questions, Aleksandr, répond-elle en souriant malgré la douleur. Ce n’est pas "qui". C’est "depuis quand".Il la frappe. Une claque sèche, pas pour la faire taire, mais pour briser l’arrogance.— Parle, ou je te jure que tu ne sortiras pas vivante d’ici.Elle tousse, crache du sang. Puis rit. Un ricanement creux, tordu.— Tu n’as toujours rien compris. C’est elle qu’ils veulent. Pas toi.Je sens le sol se dérober sous mes pieds.— Moi ? soufflé
Aleksandr07h28 — Le réveil des ombresLe message s’affiche encore, sec, brutal, comme un coup de lame entre les côtes.Un mot.Un signal.Un rappel que le monde dans lequel nous vivons n’a jamais cessé de brûler.Je reste figé, le souffle en suspens. Mon cœur bat fort, trop fort, comme s’il voulait prévenir avant que le monde ne se fracture. Je sens le poids revenir, celui que j’avais laissé s’échapper quelques heures entre ses bras. L’illusion s’est évaporée. Le répit est terminé.Mais je ne bouge pas. Pas encore.Elle dort, là, contre moi, abandonnée à la nuit. Sa main est toujours sur mon torse, ses doigts ancrés dans ma peau comme une prière muette. Son souffle est calme, fragile. Et moi, je la fixe. Je grave chaque détail. Parce que ce moment — ce calme, cette chaleur — pourrait bien être le dernier avant la tempête.Je me penche et embrasse doucement ses cheveux.Cette fois, je ne partirai pas sans elle.07h43 — Le poids de la décisionJe me lève en silence. Chaque geste est ma