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CHAPITRE 7. Le silence interrompu

Author: Ben Bash
last update Last Updated: 2025-06-24 02:45:07

Je repris place à la table, mon cœur battant légèrement plus fort qu'à l'accoutumée. Christelle avait baissé les yeux sur son assiette, puis jeté un rapide coup d'œil en coin lorsque je m'étais assis. Le silence entre nous était désormais plus pesant qu’agréable, et pourtant, il y avait dans cet instant suspendu quelque chose d’intime, quelque chose de fragile.

Je sentais les regards autour de nous, ceux des tantes, des amis de la famille, de Gisèle sans doute, et bien sûr, de ma mère. Chacun semblait scruter le moindre geste, la plus petite interaction, comme s'ils attendaient un signe, une confirmation, un aveu.

Je n’aimais pas cette impression d’être observé, encore moins celle d’être mis en scène, mais il fallait bien briser la glace. Ne serait-ce que pour reprendre le contrôle.

Je toussotai doucement, comme pour me donner du courage, puis me penchai légèrement vers elle, assez pour qu’elle m’entende malgré le fond musical et les bavardages.

— Tu... tu savais que tu allais être "la queen" ce matin ?

Ma voix était plus hésitante que je ne l'aurais voulu. Christelle tourna lentement son visage vers moi. Ses yeux noirs, ourlés de longs cils, me fixèrent avec une douceur déconcertante. Un mince sourire se dessina sur ses lèvres.

— Pas exactement, répondit-elle en baissant encore un peu le ton, presque dans un souffle. Ma mère m’a juste dit de m’habiller "proprement" pour une fête d’anniversaire. Elle n’a rien précisé... Mais j’ai bien compris que ce n’était pas une fête ordinaire.

Nous échangeâmes un regard. Un regard vrai, un regard purement humain. Je sentis la tension de mes épaules s’alléger. Ce n’était pas une inconnue hautaine ni une poupée figée que ma mère avait mise à ma table, c’était une jeune femme visiblement surprise autant que moi.

Je me redressai un peu, trouvant une posture plus détendue.

— Alors on est deux à être tombés dans le piège, dis-je en esquissant un léger rire.

— Un joli piège, répliqua-t-elle. Il y a pire, non ?

— Oui, approuvai-je. Il y a bien pire que de devoir partager un repas avec une fille jolie et mystérieuse un jour d’anniversaire.

Elle baissa les yeux à nouveau, mais cette fois, elle le fit avec un petit sourire. Ce genre de sourire discret qu’on ne voit que lorsqu’on est proche. Il n’y avait pas de moquerie, juste un peu de gêne et de réciprocité.

Je poursuivis, doucement :

— Et toi, Christelle... Tu fais quoi dans la vie ?

Elle leva les yeux, cette fois franchement. Il y avait dans son regard une lueur d’intérêt. Peut-être aussi de soulagement que j’aie décidé de faire tomber les murs.

— Je suis étudiante en troisième graduat, en communication sociale, dit-elle. Je vis encore avec maman, mais cette année, je compte prendre mon indépendance. Enfin... si tout va bien.

— Tu veux être journaliste ?

— Peut-être. Ou chargée de com’, ou même animatrice télé. On me dit souvent que j’ai une voix qui passe bien à l’oreille.

Elle avait dit cela avec une touche d’assurance. Sa voix, en effet, était douce, claire, posée, avec quelque chose de fluide dans la manière dont elle articulait.

Je hochai la tête avec un petit sourire, puis ajoutai :

— Tu as déjà l’élocution pour. Il ne manque plus que le micro.

Elle rit, un petit rire discret mais sincère. Le genre de rire qui réchauffe. Puis elle me lança, presque comme une pique bienveillante :

— Et toi, l’homme de la fête, que fais-tu dans la vraie vie, quand tu ne coupes pas de gâteaux sous les feux d’artifice ?

Je souris plus largement cette fois, heureux de sentir la glace fondre peu à peu entre nous.

— Médecin. Je suis médecin généraliste. Je travaille dans une clinique privée pas très loin d’ici. Mais j’ai un cabinet que je veux faire grandir. Un projet à moi, que j’espère faire éclore bientôt.

— Un médecin, hein ? dit-elle en posant une main sur sa joue. Ma mère m’avait bien dit que tu étais quelqu’un de bien... Mais elle n’avait pas précisé que tu étais aussi humble.

— Je crois que nos deux mamans ont joué au jeu de l’ombre, répondis-je en regardant vers l’intérieur, où Gisèle et ma mère sirotaient tranquillement une boisson fraîche, tout en jetant des regards discrets vers notre direction.

Christelle suivit mon regard, puis tourna vers moi, amusée :

— On dirait qu’elles sont en train de noter des points.

— Elles tiennent probablement le score de notre future histoire, dis-je à mi-voix, mi-plaisant, mi-sérieux.

Elle détourna le regard brièvement, comme si mes paroles avaient touché quelque chose en elle. Je ne voulais pas la brusquer, ni donner l’impression que tout était déjà décidé.

Alors je conclus doucement :

— Mais pour l’instant, ce serait bien qu’on fasse connaissance, sans pression. Juste toi et moi.

Elle hocha lentement la tête.

— Ça me va.

Et à ce moment précis, je sentis que le jour de mon anniversaire venait de prendre une autre tournure. Pas seulement une surprise organisée, mais peut-être le début de quelque chose de plus profond.

Je la regardai sourire, puis détourner les yeux vers son verre d’eau comme si elle fuyait l’intensité du moment. Je n’avais pas menti. Pas vraiment. J’avais seulement préféré ne pas tout dire. Ce n’était ni par honte, ni par orgueil. Juste une forme de prudence. Une manière de donner une chance à ce qui pouvait naître entre nous — si quelque chose devait vraiment naître.

En réalité, je n’étais pas médecin, non. J’étais simplement Fred. Fred Malanda. L’unique fils de Maurice Malanda, ce nom qui résonnait dans toute la ville comme celui d’un empire bâti sur le commerce, l’importation et les affaires. À la mort de mon père, dans ce crash terrible alors qu’il revenait de Dubaï, j’avais à peine cinq ans.

Je me souviens encore vaguement de l'annonce, du regard vide de ma mère, de sa longue période de silence. Elle avait refusé d'être consolée par quiconque. Elle ne pleurait pas en public. Mais moi, j’avais compris qu’elle avait cessé de respirer normalement ce jour-là.

Elle avait refusé toute nouvelle demande en mariage. Par fidélité ? Par amour ? Par peur de me voir maltraité par un autre homme ? Peut-être tout à la fois. Ce que je sais, c’est qu’elle m’a tout donné. Et moi, en retour, j’ai grandi avec la certitude que je ne devais jamais trahir cette confiance qu’elle m’avait portée, ce sacrifice qu’elle avait fait.

Aujourd’hui, je suis le gérant légitime de tout ce que Maurice avait bâti : entrepôts, boutiques, appartements, comptes... tout était passé sous ma responsabilité le jour de mes vingt-trois ans.

Mais je ne porte pas ça comme une couronne. Je n’en fais pas une carte d’identité. Je veux, au contraire, qu’on me voie moi, Fred. Pas "le fils de...", pas "le riche héritier", mais un homme, un cœur, une pensée.

C’est aussi pourquoi je n’ai rien dit à Christelle. Pas encore. Je voulais voir si la musique de son regard jouerait la même note même sans les instruments dorés. Si elle me parlerait avec le même ton si elle ne connaissait que "Fred", le garçon, et non "Fred", le patron.

Et puis... rien ne m'assure qu’elle ne sait pas. Peut-être que Gisèle lui a tout raconté. Peut-être même que cette mise en scène, ce gâteau, cette présence à mes côtés, tout ça n’est qu’un plan savamment orchestré entre mères. Si c’est le cas, elle joue très bien la comédie. Et moi, je me prends au jeu.

Je la regardai de nouveau, elle s’essuyait les lèvres avec une grâce discrète, puis croisa mon regard par accident. Je souris. Elle me le rendit. Et je sus qu’il y avait quelque chose en elle qui valait la peine d’être découvert.

Mais pour l’instant, je ne dirai rien. Pas tout de suite.

Je veux l’observer encore, parler avec elle, l’écouter rire, la voir s’agacer, la découvrir dans le naturel de ses réactions. Je veux savoir si, dans le silence ou le tumulte, elle reste fidèle à elle-même. Si elle aime les gens, ou l’image des gens. Et si un jour, elle apprend qui je suis vraiment... je veux qu’elle me regarde comme aujourd’hui. Ou mieux encore.

Alors je me penchai un peu vers elle et demandai doucement, comme si tout était encore à bâtir :

— Tu veux qu’on sorte un peu prendre l’air ? Juste nous deux ?

Elle me regarda, surprise d’abord, puis son visage s’adoucit. Elle hocha lentement la tête.

— Oui. Ce serait bien.

Nous nous levâmes, et sans même m’en rendre compte, j’avais posé ma main sur le bas de son dos, dans un geste délicat, respectueux mais protecteur, comme si, en cet instant, elle m’était confiée.

En sortant, je jetai un regard vers le salon. Ma mère et Gisèle nous observaient, un sourire malicieux suspendu au coin des lèvres. Elles ne dirent rien. Pas cette fois. Mais je savais qu’en rentrant, elles auraient déjà tout imaginé. Tout espéré.

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