Une fois de plus, Moussa se leva bien après la sonnerie de son réveil. Sans doute manquait-il d’une véritable raison de se lever.Comme à son habitude, Moussa alla acheter La Vigie. Pas de chronique de Victor aujourd’hui. Il était indéniable que le frère de Gaël avait beaucoup fait pour la diffusion du journal depuis qu’il en avait pris possession. Mais il cherchait uniquement à se venger trois fois par semaine sur deux colonnes, et c’était non seulement mesquin, mais aussi inutile. Si la Haute-Ville lisait La Vigie, ce n’était sans doute que pour en rire.Cela dit, le retour de Victor dans la Basse-Ville avait confirmé quelque chose dans l’esprit de Moussa: Gaël avait bien quitté Menel Ara. Il n’aurait jamais laissé son frère se couvrir de succès sans essayer de le tuer. À moins qu’il n’ait réussi à se calmer, mais c’était assez illusoire.Les journées de Moussa se composaient essentiellement de réflexions stériles de ce genre. Il ne pouvait s’empêcher de pe
—Non, effectivement, tout a l’air calme par ici aussi. On dirait qu’on va avoir droit à une nuit paisible de plus. Après tout, peut-être nous dirigeons-nous vraiment vers une accalmie…Han Jin se laissa aller à un petit sourire plein d’espoir. Confortablement assis dans son fauteuil, il portait son Hi-Nan avec grandiloquence. Doucement, mais sûrement, le traumatisme de l’attentat s’estompait.—Tu as peut-être raison, mais restons sur nos gardes malgré tout, répondit le visage de Fabio Luzzi apparaissant sur le petit écran. Les Martyrs voudront frapper à nouveau un grand coup et les Putras ne sont pas si loin.—Les Putras ne sont plus dangereux, répliqua Jin. Je suis allé voir en personne les barrages et je peux t’assurer que ces fanatiques sont complètement cloîtrés dans leur temple.—Oui, je sais bien, mais quelque chose me trouble quand même. Peut-être les stigmates de cette fichue explosion…Luzzi émit un petit rire angoissé
Sur un écran aux contours cuivrés, légèrement arrondi et surélevé par un complexe système mécanique, un homme au collier de barbe parfaitement taillé et coiffé d’un haut de forme racontait une histoire. Un conte fantastique parlant d’un robot devenu sentient et d’arachnides empathiques, d’un monde inconnu envahi par une civilisation agressive et d’une planète oubliée peuplée de scientifiques gouvernant par probabilités.Bakari Zouma était un homme qui détonnait, dans la Haute-Ville. Son caractère joyeux, son idéologie progressiste et son jeune âge indiquaient qu’il avait tout pour incarner une forme de renouveau dans la Chambre. Naturellement, ces mêmes éléments lui valaient à la fois crainte et mépris de la part de ses semblables.L’homme entreprit une digression dans son récit pour évoquer un tribunal peuplé d’enfants, présumés incorruptibles de par leur innocence.Le chef de la famille Zouma se resservit une tasse d’un breuvage dont lui seul avait le secret, con
Comme tous les matins, Youri Komniev arriva parmi les premiers dans le Grand Palais. Il constata avec satisfaction l’avancée des travaux et cela suffit à le rendre d’humeur correcte. Étant donné l’état de la cité qu’il dirigeait, c’était tout ce dont il était capable. Les sourires et la tranquillité d’esprit reviendraient plus tard.De sa démarche claudicante, il traversa les couloirs jusqu’à son bureau, répondant à tous les «bonjour», mais ne prenant l’initiative de n’en donner aucun. Comme toujours.Devant sa porte, il chercha la clé dans son cartable et entendit son Hi-Nan sonner. «Voilà les emmerdes qui commencent», prononça-t-il en se dépêchant d’ouvrir la porte. Il ne croyait pas si bien dire.Une demi-heure plus tard, Komniev était assis dans son bureau avec, face à lui, James Brandon, Bakari Zouma et Miko Jin, veuve d’Han Jin.Komniev se pinçait entre les deux yeux, digérant difficilement les dernières informations. Ainsi, pen
Mustapha Ibn Bassir reposa la feuille de papier sur son bureau et la regarda de longues minutes. Le dernier journaliste qu’il avait engagé ne donnait pas satisfaction et il allait devoir se séparer de lui. Ça lui crevait le cœur à chaque fois. Il aimait son travail, mais pas ses responsabilités. D’ailleurs, si sa conscience ne lui rappelait pas que c’était à lui de le faire, il aurait bien demandé à Victor de s’acquitter de la tâche. Lui n’aurait aucun scrupule à le faire.Il connaissait Victor Dubuisson depuis plusieurs semaines désormais, et il avait toujours autant de mal à le cerner. Globalement, c’était un homme très courtois, véritable bienfaiteur du journal, fidèle à sa parole. Mais il avait un côté sombre qu’il n’était pas pressé de découvrir plus en détail. Il voyait bien avec quelle verve il rédigeait ses chroniques et en déduisait facilement quelle rancune il gardait envers la Haute-Ville. Vu sa notoriété, son importance et le caractère obscur qu’il dissimulait, il ét
—«… morts, alors elle doit accepter ce prix. Car c’est celui de la liberté et de la justice.»F éclata d’un rire confortable et communicatif à la lecture de ces derniers mots. Tanya, elle, n’était pas vraiment d’humeur à plaisanter. La mort de Sacha et l’attentat de la Haute-Ville étaient deux évènements sur lesquels F et les Martyrs n’avaient pas encore capitalisé.—Tu ne trouves pas ça amusant, Tanya? demanda le chef.—Tu m’excuseras de considérer qu’il y a d’autres priorités, grommela la jeune femme.—Comme?—Comme de poursuivre notre lutte, capitaliser sur les récents évènements, sortir de cette prison et mener la révolution à laquelle nous aspirons tous.—Aaaaah, salua F, tout en s’installant plus confortablement encore. Tout ça! Quel programme! Et pourtant, nous y arrivons bien plus vite que tu ne le crois.—Comment? En nous attirant les bonnes grâces des
Youri Komniev avait entièrement confiance dans les capacités de James Brandon. Et en matière de sécurité, il écoutait assidûment ses conseils et avis.Néanmoins, cette nuit-là, il ne trouva pas le sommeil. Aucun barrage n’avait été levé autour du Grand Temple. Les Putras essaieraient de mettre leur menace à exécution. Il priait seulement pour que ce ne soit pas chez lui.Les défenses de sa demeure étaient impressionnantes. La bâtisse en elle-même, de style résolument victorien et d’une grandiloquence que la Basse-Ville ne soupçonnait même pas, disposait de murs épais et renforcés. Les colonnades entourant la façade principale abritaient des canons à larges boulets, se déployant par un système hydraulique. La grande horloge surplombant la porte d’entrée, aux finitions détaillées et dignes des plus grands maîtres, cachait un système de reconnaissance faciale qui, s’il venait à ne pas aimer ce qu’il voyait, activait alarme et canons.Mais quiconque parvenait jusqu’à c
Ce n’était plus des regards de respect, mais de crainte. Ce n’étaient plus des paumés oisifs, mais des soldats. Ce n’était plus un bataillon de gamins inexpérimentés, mais une armée écumant de rage.Face à lui, F avait des centaines de Martyrs qui ne demandaient pas mieux que de mériter leur nom. Lui-même en avait presque la larme à l’œil. L’attentat dans la Haute-Ville, la victoire sur Tanya, et bientôt, le Mur. Tout lui souriait et il devait faire un certain effort pour ne pas se laisser griser. Une fois le Mur pris, peut-être…Silencieusement, son impressionnante armée attendait les consignes du chef. Tout le monde était là. Seuls quelques femmes et les vieillards resteraient en arrière. C’était la volonté de F: impliquer l’ensemble de ses troupes dans cet assaut, afin que chacun se sente concerné par son issue.—Mes frères, mes sœurs, mes amis, déclara F avec un sourire. Depuis leur naissance, les Martyrs rêvent d’un grand jour. Celui où une révolut