En deux jours, alors que chaque seconde paraissait une heure, la face de Menel Ara a considérablement changé. Et dans deux jours, elle sera probablement bouleversée à nouveau. Il faut le voir pour le croire. Jamais je n’aurais cru assister de mon vivant à la déliquescence de Menel Ara. Tout le monde a perdu la raison: les Putras se battent, les Martyrs se retournent contre le peuple, ce dernier se bat avec un ancien membre de la Chambre pour leader… Au milieu de tout cela, peut-être 150000 Menelarites sont otages de cette guerre civile. La Chambre, les Familles… Le pouvoir en place fait tout son possible pour empêcher la Zone sécurisée de céder. Mais ce n’est qu’une question de jours avant que la force du nombre ne l’emporte. Le plus curieux dans l’évolution de la situation est qu’avec du recul, tout ceci paraît inéluctable. Les Sept Familles n’auraient jamais cru avoir à faire face à un tel déchaînement de violence. Toute négociation préalable aurait donc été vaine
Catherine Saulte regardait le ciel. Depuis l’éprouvante session de la Chambre où Komniev les avait mis au courant de la menace terrible que les Putras faisaient peser sur eux, elle n’avait pas quitté sa maison. Celle, fût un temps, qu’elle avait partagé avec l’homme qu’elle aimait… Comme les choses changeaient vite. Voilà qu’elle était tétanisée à l’idée de sortir de chez elle, la grande Catherine Saulte qui s’était rêvée fine politicienne. Elle n’en avait ni le courage ni l’étoffe, et cela peut-être plus que le reste, était très difficile à accepter.Les Phillips, eux, étaient partis. Elle ne savait pas quand. On ne l’avait pas prévenue. Son éducation de femme menelarite la poussait à ne pas investir la luxueuse bâtisse de sa pseudo famille par alliance, mais à rester dans son petit pavillon. Elle avait tout fait, tout essayé pour leur complaire. Mais ils ne voyaient à travers elle que le cadavre de leur fils et il leur était impossible de l’accepter. Sans famille, sans ami, sa
La nuit avait été sanglante. Et James Brandon n’avait pas fermé l’œil. Général d’une armée vaincue d’avance, il avait été au four et au moulin, naviguant sans cesse entre les deux fronts. Nombre d’hommes étaient tombés, des personnes qu’il connaissait bien. Et alors que le soleil était levé depuis deux heures, il dut se résoudre à l’évidence: la Zone sécurisée tomberait dans la journée. Avec toutes les conséquences que cela impliquait. Avant d’ouvrir son Hi-Nan pour prévenir Komniev et éventuellement prendre les dispositions nécessaires, il s’accorda quelques secondes et repensa à ces derniers jours. Le conflit avait éclaté avec une rapidité spectaculaire et il aurait donné cher pour voir comment en parlait la presse étrangère. Lui-même avait été dépassé par les évènements, plus souvent en une semaine que dans le reste de sa carrière. Peut-être était-il responsable, au fond. Ses décisions avaient peut-être mené Menel Ara à sa perte.En guise de bruit de fond, des coups de
Depuis le développement du conflit, les Martyrs avaient adopté une configuration typiquement militaire. Le Mur servait de base reculée, où les blessés étaient soignés et les combattants se reposaient.À mi-chemin de la Zone sécurisée, une autre base, plus sommaire, permettait de lancer les offensives sur les deux fronts. Ainsi, F, en général, commandait ses troupes face à celles de Victor autant que contre les sbires de la Chambre. Or, depuis la trêve, il pouvait se consacrer entièrement à la destruction des forces de sécurité de la Basse-Ville, même si une quinzaine d’hommes restaient en poste à l’ouest. Victor Dubuisson n’avait pas la réputation d’être un homme de confiance.Cependant, ses effectifs n’étaient pas aussi importants qu’il le croyait, et malgré une organisation bien supérieure, les Martyrs devraient jouer serré pour l’emporter au final. Il avait pu renforcer ses troupes autour du pilier n° 4 et enfin, après des jours de lutte, il était sur le point de l’emp
Une fois encore, Victor Dubuisson buvait un café, fumait une cigarette et contemplait sa carte. Il aimait cela, regarder cette carte. Non qu’elle lui donne des indications précises sur la marche à suivre, mais il se passionnait pour la géographie de sa cité. De plus, cela lui permettait de passer le temps en attendant que son plan parfaitement huilé soit mené à bien.À ses côtés, Mustapha relisait encore ses notes. La passion de cet homme pour son époque avait quelque chose de touchant. Trop peu de gens savent se satisfaire de vivre dans leur temps. Ibn Bassir, lui, n’aurait échangé contre rien au monde son année de naissance. Et, en effet, malgré tous ses défauts, le Menel Ara de 2079 était absolument fascinant. Victor aimait en être un acteur. Mustapha, lui, préférait son rôle de témoin.Les deux hommes vaquaient à leurs occupations respectives en silence lorsque Pom arriva en courant. Victor se redressa immédiatement sur son siège.—Alors? demanda-t-
Il laissa l’Hi-Nan sonner. C’était sa femme. Encore. Et il ne répondit pas. Encore.Après deux jours d’hésitation, Youri Komniev avait cédé et évacué sa famille par hélicoptère. Désormais, toutes les Grandes Familles étaient parties. Il en demeurait le dernier représentant. D’une manière générale, la Haute-Ville était quasiment vide. À l’ouest, seule la prison abritait encore des êtres humains. Et à l’est, environ 120 officiers de sécurité protégeaient le Grand Palais et les Putras se dirigeaient droit sur eux. Quelle ironie!Depuis qu’il siégeait à la Chambre, c’est-à-dire depuis des dizaines d’années, la sécurité avait été de très loin le sujet le plus abordé, le plus discuté et le plus réformé. Au fil de ces séances enflammées, un nombre incalculable de textes avaient été votés. Le tout rendant la Haute-Ville totalement imprenable. Une invasion par les airs aurait été réduite à néant par des canons spécifiques hors de prix qui n’avaient jamais servi. Des systèmes
Depuis la prise de la Zone sécurisée, le conflit entre les Martyrs et les partisans de Victor Dubuisson a repris. Comme s’il fallait absolument que chacun retrouve un ennemi. Une malédiction devenue un besoin.Ce sont les Martyrs, qui les premiers, ont acté la fin de la trêve. Alors que leurs adversaires sécurisaient l’entrée située au niveau du Pilier n° 5, ils ont subi une attaque furtive qui laissa quatre hommes sur le carreau. Victor Dubuisson ne sembla pas plus contrarié. Il disait constamment que la mort faisait partie de la guerre et qu’il avait un plan. De fait, on ne pouvait réellement lui donner tort. Il laissa passer une journée après que les Martyrs aient vaincu les forces de sécurité. Puis il ordonna à un de ses lieutenants les plus compétents de composer une petite armée et d’attaquer les terroristes à l’est. Le but était, in fine, de prendre le Mur, de le garder et d’enfermer les Martyrs dans la Zone sécurisée. C’était une mission extrêmement importante et Victor
Catherine mit de longues minutes à se remettre de la forte nausée. Bien sûr, lorsque l’on a grandi dans le faste d’une riche famille menelarite, que l’on a épousé un héritier Phillips et que l’on a siégé à la Chambre des Familles, rien ne prépare réellement à voir des corps dissous et liquéfiés. Cependant, Catherine croyait dur comme fer qu’elle ne devait sa légitimité qu’à sa proximité avec Victor. Or elle tenait à gagner une véritable crédibilité auprès des troupes, à s’émanciper de cette image de parvenue, de traître, voire d’opportuniste. Elle savait, en son for intérieur, qu’elle avait un véritable rôle à jouer. Son assiduité aux séances de la Chambre et sa volonté naïve de plaire à sa belle-famille l’avaient poussée à réfléchir constamment à de nouvelles idées politiques. Et ce travail, conjugué aux erreurs qu’elle avait pu commettre, l’avait convaincue de deux faits selon elle indiscutables: elle disposait d’une capacité politique nettement au-dessus de la moyenne et la po