GraziellaParis. 5 h 12.Je suis déjà debout. Ou plutôt, je ne me suis pas vraiment couchée. Juste un moment, contre le mur froid, les jambes tendues, le dos noué de fatigue. Le sommeil, je l’ai troqué contre des pliés et des pirouettes. Je n’ai pas le luxe du repos.Dans la pièce exiguë que je partage encore avec ma mère, le silence est pesant. Le parquet grince sous mes pointes élimées, et chaque craquement semble hurler dans le noir. Je serre les dents. Une ampoule éclate sous l’effort. Mon sang colle à la toile de mes chaussons. J’ai mal. Mais la douleur est la seule chose qui me prouve que je suis encore en vie.Il fait froid, ici. Toujours. Le chauffage est en panne depuis trois semaines, mais on n’a pas de quoi le faire réparer. Ma mère dit que ça forge le caractère. Moi, je dis que ça casse les os. Mais elle n’écoute plus mes remarques. Elle coud en silence, tard le soir, des robes qu’elle ne pourra jamais porter. Et moi, je danse. Comme si ma vie dépendait de chaque arabesque
GraziellaJe regarde la carte une fois de plus, comme un test. Un piège. Un billet vers l’enfer, un autre vers le sommet. Le nom d'Élias De Marens inscrit en lettres noires, aussi lisses et froides que l'immobilier de luxe qu’il semble posséder. Je devrais la jeter, ignorer ce qu'elle représente, oublier tout cela. Mais mon cœur s’emballe à chaque fois que mes yeux glissent dessus. Un mystère, un pari, un rêve brisé… je ne sais pas encore.Je la tiens dans ma main, mes doigts tremblants. Elle n’a pas de logo, pas de référence, juste une promesse, cette simple phrase qui m’hypnotise : « Appelez-moi si vous voulez vraiment briller. » Ça semble si simple, mais je sais que tout dans cette phrase est chargé d'implications.Je ferme les yeux un instant, le bruit de la ville gronde à travers la fenêtre. L'Opéra, la scène… tout ce que j’ai toujours voulu. Mais à quel prix ? Et suis-je prête à payer ce prix ?Un bruit dans l’encadrement de la porte. Ma mère. Le regard fatigué, mais bienveillan
GraziellaJe reste là, figée. Le regard d’Élias m’enserre, une prise invisible, plus forte que mes muscles. Ses mots flottent dans l’air, lourds, inéluctables. Corps, âme et danse. Je les répète dans ma tête, comme un écho qui ne cesse de grandir. C’est une offre, une promesse, mais aussi un piège. J’ai l’impression d’être prise dans une toile d’araignée invisible, chaque mouvement me rapprochant davantage du centre. Et pourtant, je ne peux m’empêcher de frémir à l’idée de ce que cela pourrait signifier.Je n’arrive pas à détacher mes yeux des siens. Il n’a pas besoin de dire un mot de plus. Tout est là, dans l’intensité de son regard, dans le silence de la pièce, dans la chaleur qui semble se dégager de sa présence. Je pourrais lui appartenir. Tout ce que je veux, tout ce dont j’ai rêvé, à portée de main. Mais à quel prix ? Quelque chose en moi se révolte à cette pensée, un cri intérieur qui me hurle de reculer, de fuir. Mais je sais que c’est déjà trop tard.Il n’a pas besoin de me
GraziellaLes heures qui suivent sont un tourbillon d’émotions contradictoires. Je tente de me concentrer sur autre chose, mais chaque moment me ramène à lui. À Élias. À ce qu’il m’a offert. Ou plutôt, à ce qu’il m’a imposé. Mon esprit ne cesse de tourner autour de ce choix, comme une spirale sans fin. La peur, l’excitation, le doute, tout se mêle dans une danse chaotique. Il y a une partie de moi qui veut tout abandonner, fuir ce monde qui me dépasse. Mais il y a aussi cette part de moi, cachée, presque inconsciente, qui m’appelle à l’avancer, à plonger dans l’inconnu. À le rejoindre.Je passe la nuit à me retourner dans mon lit, les yeux grands ouverts dans l’obscurité. Le silence autour de moi est lourd, oppressant, presque un rappel que le monde qui m’entoure est bien plus petit que ce que je suis en train de contempler. Le rêve, le succès, la reconnaissance — tout cela semble si proche, à portée de main. Mais la peur de tout perdre me ronge. Je sais que je ne pourrai pas revenir
GraziellaLe son de la porte qui se ferme derrière moi résonne comme un dernier écho, une marque indélébile dans mon esprit. L’air de la pièce semble plus lourd, plus chargé d’une énergie électrique. Je n’avais pas imaginé que revenir ici me donnerait une telle sensation. Je pensais que le choix serait simple, que j’aurais la force de m’y rendre et de suivre la promesse d’Élias, mais la réalité est bien plus complexe que je ne l'avais imaginé.Il est là, dans l'ombre, m’attendant. Ses yeux brillent d'une lueur que je connais bien, celle qui me rappelle que, désormais, tout est sous contrôle. Pas le mien, mais le sien. Et cela me trouble plus que je ne voudrais l’admettre. Je lève les yeux vers lui, et il ne fait rien, ne dit rien. Il se contente de me fixer, comme une statue immobile, une figure de pouvoir. Un maître, un prédateur.— Vous êtes là, dit-il simplement, sa voix basse, sans fioritures. L’instant que vous avez choisi. La ligne entre le passé et l’avenir vient de s’effacer.
GraziellaJe m'assois à la table, le contrat posé devant moi comme un test de ma propre volonté. La lumière froide de la pièce semble se concentrer sur ce document, le rendant encore plus imposant, presque menaçant. Je prends une respiration profonde, mes mains effleurent le papier sans le toucher. Je sais ce que ce contrat représente, mais je ne peux m'empêcher de l'examiner encore un peu, comme si je pouvais en lire les intentions cachées, les clauses non écrites. Mais je ne trouve rien d'autre que des mots, des phrases, une promesse. Une promesse enivrante, un piège bien ficelé.Élias reste debout, immobile, à une distance qui me permet de sentir sa présence sans qu'il envahisse mon espace personnel. Il n’a pas bougé, mais je sais qu’il observe chacun de mes gestes. Chaque hésitation. Chaque seconde de doute. Ce contrat, c'est plus qu'un simple morceau de papier ; c'est le point de non-retour. C’est ce que je suis sur le point d’accepter, ce que je suis prête à accepter, malgré mes
ÉliasJe reste là, debout, observant Graziella, les yeux rivés sur elle. Le contrat est désormais signé, et l’instant qui suit est suspendu, comme un souffle retenu dans l’air. Elle semble figée, le stylo encore dans la main, comme si la décision qu’elle vient de prendre ne parvenait pas tout à fait à se manifester dans son esprit. Je pourrais me satisfaire de ce moment. Le poids de son choix repose entièrement sur elle, mais j’ai besoin de plus. J’ai besoin de savoir si elle mesure vraiment ce qu’elle a fait.Je n’ai jamais été du genre à m’attarder sur les faiblesses des autres, mais Graziella… elle m’intrigue. J’ai observé sa lutte intérieure, la façon dont elle s’accrochait encore à une illusion de liberté, comme si un choix plus noble s’offrait à elle. Elle savait, comme moi, que c’était une illusion. Tout ceci ne faisait que retarder l’inévitable. Le pouvoir que je détiens sur elle ne vient pas d’un simple contrat. Non, ce pouvoir réside dans l’emprise que j’ai sur son âme, sur
ÉliasIl y a des moments, dans une vie, où tout change. Des instants suspendus où l’on sent que la direction d’un chemin bascule, et qu’il n’y a plus de retour possible. Graziella vient de me le montrer. Sa décision, cette signature, n’a pas seulement marqué un point de non-retour pour elle. Elle a aussi laissé une empreinte indélébile sur moi. Car, même si j’ai orchestré chaque mouvement, chaque mot, chaque regard pour la conduire ici, je me rends compte qu’une partie de moi n’était pas prête pour ce qu’il vient de se passer.Je la regarde maintenant, de l’autre côté de la pièce, son visage fermé, mais ses yeux trahissent quelque chose. Un tourment. Une peur. Et, au fond, une acceptation silencieuse. Elle a signé. Mais elle n’a pas signé par facilité. Non, elle a signé parce qu’elle a été poussée dans une situation où son choix était le seul qui pouvait exister. Elle savait que je la guiderais. Elle savait que je ne lui laisserais aucune autre option.Mais ce qu’elle ignore, ce qu’el
ÉliasLe silence règne encore. Après ce dernier baiser, une sorte de calme étrange s’est installé entre nous. Ni Graziella ni moi ne bougeons, comme si le monde extérieur n’existait plus. Comme si nous étions suspendus dans une bulle, protégés de tout, à l’abri de tout ce qui pourrait venir briser cette illusion de contrôle.Je la maintiens contre moi, mes mains toujours sur sa taille, mes doigts sentant la chaleur de sa peau à travers le tissu. Mon cœur bat d’une manière différente, plus lourdement, plus irrégulièrement. Ce n’est pas la peur, pas encore. C’est l’anticipation. La satisfaction de l’avoir là, de l’avoir sous ma domination, de l’avoir finalement atteinte, dans tous les sens du terme.Graziella finit par rompre le silence, d'une voix basse, presque tremblante.Graziella : « Tu… tu penses que ça va suffire ? »Elle pose une question, mais je sens cette pointe de défi dans ses mots. Elle tente de reprendre une part de contrôle, de regagner un peu de terrain, mais je sais qu
ÉliasLe silence qui nous enveloppe est presque insoutenable. Il n'y a que le souffle de l’air, léger et froid, qui s’infiltre dans la pièce, comme un murmure distant. Dans ce lieu isolé, chaque mouvement, chaque respiration semble amplifier la tension. La vue splendide qui s’étend au-delà des fenêtres, avec les montagnes qui se dressent majestueuses et l’horizon qui s’étend à l’infini, ne fait rien pour apaiser l’atmosphère. Au contraire, cela me rappelle que tout ici, tout autour de nous, est un monde que j’ai façonné. Chaque détail, chaque objet dans cette pièce a été choisi, chaque espace laissé vide a sa propre signification. Ce n’est pas un hasard. Tout est sous contrôle, tout est calculé.Graziella reste là, figée, une expression de défi dans ses yeux. Pourtant, je vois cette lueur fragile, cette brèche dans sa résistance. Elle me défie encore, mais je sais qu’au fond d’elle, elle est en train de comprendre. Qu’elle n’a pas de contrôle. Pas ici. Pas avec moi. Elle peut encore f
ÉliasElle croit que fuir suffira. Elle croit qu’un simple geste, un mouvement rapide vers la sortie, effacera tout ce qui s’est passé entre nous. Mais je sais mieux. Elle n’échappe pas à ce que je suis devenu pour elle, pas après tout ça. Non, elle n’a pas le choix.Quand elle fait un pas en arrière, je la rattrape d’un mouvement fluide, un pas décidé, un bras fermement tendu pour saisir son poignet avant qu’elle ne puisse fuir. Son corps se tend immédiatement sous la pression de ma prise, mais je ne lâche rien. Ses yeux, pleins de colère et de frustration, se posent sur moi, mais je n’y réponds pas. Pas de douceur. Pas de compassion. Juste de la détermination.Je n’ai pas de temps à perdre. Je n’ai pas le luxe de lui donner la chance de réfléchir à ses actions. Elle est à moi, maintenant, et cela ne changera pas.« Tu ne vas pas partir, » dis-je d’une voix ferme, presque impitoyable. « Pas cette fois. »Elle tente de se dégager, de faire un mouvement, mais je la serre un peu plus, l
ÉliasJe la surveille, dissimulé dans l’ombre d’un coin du café, son image gravée dans chaque fibre de mon être. C’est devenu une obsession, un besoin viscéral que je ne peux plus ignorer. Elle ne me quitte jamais, même quand elle ne se trouve pas dans mon champ de vision. J’ai toujours cru être maître de mes désirs, que rien ni personne n’aurait de prise sur moi. Mais ça, c’était avant elle. Avant que Graziella ne s’invite dans ma vie avec la force tranquille d’une tornade.Elle se trouve là, à quelques mètres, entourée de regards curieux, répondant aux journalistes sans fléchir. Elle ne montre aucune faiblesse, mais je la connais. Derrière son masque de froideur, je devine tout. La tension dans ses gestes, l’hésitation dans ses regards. Ce qu’elle croit maîtriser, je le vois. Et je suis le seul à voir ces brèches dans son armure. Elle ne le sait pas, mais c’est moi qui ai déclenché cette vulnérabilité.Quand je l’ai fait suivre, c’était par nécessité. Pas pour la protéger. Pour la p
GraziellaLa journée d’hier m’a laissé une trace indélébile. Ce n’est pas la performance qui m’a marquée, mais cette exposition, ce dévoilement brutal sous les regards du monde entier. Le poids de la vérité n’a jamais été aussi lourd. Lorsque les portes du théâtre se sont fermées derrière nous, je pensais que l’air serait plus léger, que le temps s’étirerait dans une sorte de répit, mais ce n’était que l’illusion d’un instant. La réalité m’a rattrapée, avec toute la violence d’un impact.Les journalistes sont encore dans ma tête, comme des spectres persistants. Leurs questions résonnent dans mes pensées, leurs regards curieux, intrusifs, se dessinent encore sur mes rétines. C’est comme si tout le monde avait maintenant une part de moi, comme si, à chaque flash, à chaque mot qu’ils ont prononcé, une partie de mon âme avait été exposée. La scène était censée être le sommet, la récompense d’années de travail, mais aujourd’hui, je comprends que c’était juste une autre scène, un autre déco
GraziellaJe sens la lourdeur de l’air autour de moi. L’instant suivant, la porte de ma loge s'ouvre à la volée. Le bruit des flashs m’assaille. Des éclats lumineux frappent mes yeux, comme une pluie aveuglante. Je suis figée, une image vivante prise dans une multitude de regards. Des caméras, des micros, des journalistes, tous convergent vers nous, vers lui. Élias reste près de moi, implacable. Je suis là, exposée au monde, et chaque question qui se profile à l’horizon semble un coup porté à ma poitrine.Les premiers mots fusent, brutaux dans leur simplicité.« Graziella, Élias, peut-on savoir ce qui se passe entre vous ? »Je n’ai pas le temps de réagir. Un autre journaliste, un peu plus audacieux, ose ajouter :« Est-ce que cette relation est liée à votre ascension dans la troupe, Graziella ? Certains murmures disent que vous avez tout sacrifié pour arriver là. »Je serre les poings dans mes poches, ma respiration devient plus lente, plus profonde. Il y a une froideur dans leur voi
GraziellaJe suis dans ma loge, seule, comme à chaque fois après la représentation. La sueur perle sur mon front, mon cœur bat encore fort, comme une bête qui ne veut pas se calmer. Pourtant, malgré l’effort, je ne me sens pas vivante. Juste vide. Une coquille vide, prête à se briser sous la pression. La porte s’ouvre brusquement, et je n'ai même pas le temps de réagir. C'est Élias. Il entre sans un mot, ferme la porte derrière lui. Ses yeux sont sombres, fixant l’espace avec une intensité qui me coupe le souffle.« Tu n’as pas été parfaite ce soir. »Il ne sourit pas, il ne semble pas en colère. Il évalue. Comme toujours. J’ai l’impression de n’être rien d’autre qu’une œuvre d’art qu’il scrute sous un microscope. Son regard glisse sur moi, comme s’il cherchait une faille. Un détail qui cloche. Je reste silencieuse, le regardant, le souffle suspendu. Je sais ce qui va venir, même si je n’ai pas envie de l’entendre. Mais je sais que ce moment, il est inévitable. Il est là.« Élias, je…
GraziellaLe lendemain matin, je me réveille dans la même chambre vide. La lumière pénètre à travers les rideaux tirés, baignant l’espace d’un éclat terne, comme un souvenir effacé. Je suis debout en un instant, mes mouvements presque mécaniques. Mon corps est fatigué, brisé même, mais ce n’est pas la douleur physique qui me hante. C’est le poids de ce que je ressens, de ce que j’ai fait. Ce que j’ai accepté. Et cette sensation d’illusoire liberté qui me fuit à chaque respiration.Je me dirige vers la fenêtre, mes mains appuyées contre le verre froid. La ville est déjà en mouvement, bruyante, énergique, mais pour moi, chaque bruit me semble étouffé, lointain. Je suis sur un autre plan, un autre monde, où chaque geste semble dériver dans une mer d’incertitudes. Il y a des choix que j’ai faits, et d’autres qui m’ont été imposés, et maintenant, je n’arrive plus à distinguer où finit l’un et où commence l’autre.Hier soir, sur scène, tout était clair. J’ai dansé. J’ai donné le meilleur de
GraziellaL’odeur de la scène, le parfum du bois, de la poussière, et de l’alcool qui se mélange à l’odeur des costumes, m’envahit alors que je descends des coulisses. La lumière crue me frappe, me tirant de la transe dans laquelle je me suis laissée engloutir. Le public est encore là, mais tout me semble lointain, irréel. Les applaudissements résonnent, mais ils ne me parviennent plus comme des sons chaleureux. Ils sont froids, distants, comme une mer gelée qui me sépare de tout ce que j’ai cru vouloir.Je n’ai pas le temps de savourer ce que certains appelleraient la victoire. Mes pieds me portent sans que je le décide, m’éloignant de la scène comme un automate. Le bruit des applaudissements se transforme en un bourdonnement incessant dans ma tête. Je n’arrive pas à me débarrasser de cette sensation de vide qui me ronge de l’intérieur.Je m’enfonce dans les coulisses, me dirigeant vers ma loge. Mes mains tremblent légèrement en retirant le maquillage, en défaisant mes cheveux. Chaqu