ÉliasJe n’ai pas dormi. J’ai tourné dans l’appartement comme un fauve enfermé. Les murs m’étouffaient, sa voix me hantait, et mes pensées me lacéraient la peau. J’ai ouvert toutes les fenêtres pour respirer et j’ai eu envie de sauter. Pas pour mourir, non. Pour fuir. Fuir ce que je suis devenu.Un homme qui s’est tu.Un homme qui a douté de la seule personne qui l’a regardé sans peur.Un homme qui a laissé le poison s’infiltrer sans lever le poing.Mais plus maintenant.J’ai passé la nuit à me détruire pour mieux comprendre. À revenir sur chaque mot que j’ai dit, chaque silence que j’ai laissé filer. Et plus j’analysais, plus je voyais ce que je n’avais pas voulu voir. Les regards en coin. Les moments flous. Les décalages dans la chronologie. Je ne peux plus me contenter d’une impression. Il me faut des preuves. Il me faut une vérité plus solide que la haine.Je prends mon téléphone. Je ne regarde plus les vidéos. Je ne lis plus les commentaires. Je ne veux plus de leur venin. Je veu
ÉliasJe regarde l’écran sans vraiment le voir. La vidéo tourne encore, encore. Les mots d’Isadora résonnent dans la pièce comme une litanie. Elle parle de peur, de manipulation, de silences empoisonnés. Mais ce ne sont pas ses mots qui me hantent. Ce sont les regards. Les producteurs murmurent. Les danseurs échangent des messages en silence. Personne ne parle vraiment, mais tout le monde pense très fort. Et moi, je suis là, figé. Incapable de trancher entre ce que je sais au fond de moi… et ce que tout le monde veut croire.Graciella.Son nom est devenu poison dans toutes les bouches. Je le lis sur les lèvres. Je l’entends dans les soupirs. Je le ressens dans le froid qui envahit la pièce dès qu’il est prononcé. Elle est partout, et pourtant absente. On la dévore sans même qu’elle puisse se défendre. On l’arrache à moi sans me demander si j’étais prêt à la perdre.Et quand elle m’appelle, je décroche sans réfléchir. Sa voix est une lame. Brisée. Tremblante. Il n’y a pas de colère dan
GraciellaJe ne comprends pas d’abord.Pourquoi mon téléphone n’arrête pas de vibrer. Pourquoi les notifications défilent sans fin, comme une marée que je ne peux pas arrêter. Pourquoi mon visage, capturé sur une scène, dans une rue, dans les coulisses d’un théâtre, apparaît soudain partout. Comme un virus. Comme une mise à mort en public.Pourquoi les regards changent quand j’entre dans la salle de répétition. Pourquoi les murmures me suivent, traînent derrière moi comme des ombres qui ne veulent pas mourir.Et puis je vois le visage de Matteo. Et je sais que quelque chose est arrivé.Il ne dit rien, pas tout de suite. Il me regarde comme s’il allait vomir.— Tu dois voir ça, murmure-t-il.Il me tend son téléphone. Ses mains tremblent.Je le prends. Et en une seconde, mon monde s’effondre.Une vidéo.Isadora.La lumière est parfaite. Sa voix, douce. Brisée juste ce qu’il faut. Elle sait exactement comment se tenir. Comment respirer. Comment raconter une histoire qui ne lui appartient
IsadoraLe monde aime les belles histoires. Les contes de fées, les drames d’amour, les victimes qui renaissent de leurs cendres. Alors aujourd’hui, j’ai décidé de leur en offrir un. À ma manière. Sur une scène, sous les projecteurs, avec un micro pour seule arme et le mensonge bien maquillé de vérité.La salle est pleine. Des journalistes, des influenceurs, des visages bien maquillés aux sourires carnassiers, tous assoiffés de scandale. Les flashs crépitent déjà alors que je n’ai pas encore ouvert la bouche. Parfait. Qu’ils me regardent. Qu’ils m’écoutent. Qu’ils me jugent ou qu’ils m’adorent – tout m’est égal. Ce que je leur donne aujourd’hui, c’est du poison en robe de soie.Je monte sur scène, calme, maîtrisée, chaque geste mesuré, chaque silence pesé. Le monde s’arrête. Même ceux qui me détestent tendent l’oreille. Parce qu’au fond, tout le monde veut connaître le drame derrière les rideaux dorés. Ils ne sont pas venus entendre la vérité. Ils sont venus entendre une histoire. Et
Élias.Je sens son absence dans chaque souffle que je prends, chaque battement sourd dans ma poitrine. Elle n’est pas là, mais elle est partout. Dans le vide laissé derrière elle. Dans les ombres qui glissent sur les murs de cette pièce. Dans le silence qui pèse comme une couverture trop lourde.Chaque seconde sans elle est une brûlure sourde, un manque que je ne peux combler. Mais je refuse de céder à cette douleur. Parce qu’elle m’a appris que ce n’est pas la faiblesse de fuir qui fait un homme, mais le courage d’affronter le feu.Je voudrais pouvoir lui dire que je comprends. Que je ressens ce feu qui la consume, ce poids qu’elle porte et qu’elle dissimule derrière ses gestes trop forts, son corps qui refuse de fléchir. Mais les mots restent coincés dans ma gorge, lourds, inutiles. Ils semblent dérisoires face à la tempête qui gronde en elle.Je voudrais être ce souffle qui la porte. Cette main invisible qui l’aide à trouver l’équilibre quand le monde vacille. Mais je ne sais que r
Élias.Il est là. Les yeux pleins de choses qu’il n’a jamais dites. De regrets. De silence. Mais il est là.Et, pour une seconde, je ne sens plus la douleur. Parce qu’il me regarde comme si j’étais une chose rare. Une chose vraie. Une chose belle.Alors je me relève.Pas pour lui. Mais parce que je peux.Parce que je suis là. Debout. Vivante. Indomptable.Et la douleur, cette douleur qui rampe sous ma peau ? Elle devient force. Elle devient musique. Elle devient mon langage.Je ne redeviendrai pas celle d’avant.Je serai autre.Plus vraie. Plus entière.Et ce monde que je croyais perdu… je vais le reconquérir. Un pas après l’autre. Une blessure après l’autre. Jusqu’à danser, non pas comme avant, mais mieux.Jusqu’à brûler.Et si Élias veut marcher à mes côtés… il devra apprendre à me suivre dans le feu.GraciellaLa sueur a séché sur ma peau. L’air du studio s’est refroidi, mais je reste là, allongée au sol, les bras écartés, les jambes molles, les yeux ouverts vers ce plafond que je