Le bureau était silencieux, baigné par les dernières lueurs du soleil qui filtraient à travers la baie vitrée.
Aidan Blackwell, assis dans son fauteuil en cuir noir, faisait tourner lentement son verre de scotch entre ses doigts, sans même y goûter. Il regardait droit devant lui, mais ses yeux n’étaient posés sur rien.
Pas sur l’écran noir de son ordinateur. Pas sur les dossiers empilés sur le coin du bureau.Dans sa tête, ce n’était ni chiffres, ni contrats.
C’était elle.Elle n’avait pourtant rien dit d’exceptionnel. Aucune phrase brillante. Aucun mot séducteur.
Elle n’avait pas ri à ses remarques. Pas rougi. Pas cherché à attirer son attention.Et pourtant…
Il n’avait jamais vu quelqu’un gérer le chaos avec autant de calme. Une scène banale. Un client furieux. Des employés nerveux autour. Mais elle, non. Elle avait tenu bon. Avec cette voix douce, cette posture droite, cette maîtrise... presque dangereuse.
Et surtout… ce regard.
Un regard qui ne quémandait rien. Qui n’appelait ni pitié, ni désir, ni faveur.
Un regard fermé, mais pas vide. Un regard habité.
Presque... résistant.
Il se pencha légèrement, le coude sur l’accoudoir, les doigts effleurant son menton. Il s’était souvent vu qualifier de calculateur, distant, glacial. Mais il n’était pas insensible.
Il était… sélectif.Et là, sans l’avoir prévue, elle avait capté son attention.
Son téléphone vibra doucement sur le bureau. Un son discret. Précis.
Il le prit sans empressement.Message de Thomas - Assistant personnel
Dossier transmis. Elle s’appelle Éléa Morel. 23 ans. Diplômée de l’université de Saint-James. Recrutée il y a deux mois. Pas de relations internes connues. Casier vierge. Famille modeste. Photo jointe. Je reste disponible.
Il ouvrit le fichier.
Éléa Morel.Le nom n’était pas marquant. Ni particulièrement original. Ni prestigieux.
Mais les premières lignes suffisaient à confirmer ce qu’il avait perçu instinctivement.
Major de promo en relations internationales,
Recommandations écrites de deux professeurs titulaires,
Aucune faute de parcours,
Une dizaine de candidatures refusées avant que son profil ne soit validé chez eux,
Et une dernière annotation du département RH :
"Discrète. Sérieuse. Efficace. Trop réservée, peut-être. Mais aucun accroc."Il fronça légèrement les sourcils à cette dernière note. Trop réservée ?
Non. Ce n’était pas de la réserve, ce qu’il avait vu. C’était une forme de solidité.Il s’arrêta sur la photo.
Un cliché d’identité classique. Lumière blafarde. Expression neutre. Coiffure attachée. Aucun maquillage. Juste... son visage. Naturel. Franc.
Et pourtant, même là, même figée, elle dégageait quelque chose.
Ce “quelque chose” que tant de femmes riches, sophistiquées, surproduites, n’avaient jamais réussi à imiter.
Il reposa son verre, se leva lentement, mains dans les poches, et fit quelques pas vers la baie vitrée.
Elle n’était pas son type.
Il les aimait plus âgées. Plus affirmées. Plus joueuses.Mais justement.
C’était peut-être pour ça qu’il n’arrivait pas à l’oublier.De l’autre côté de la ville, dans un petit appartement propre mais fatigué, Éléa referma la porte d’entrée avec un soupir étouffé.
Elle laissa tomber son sac d’un geste las et se déchaussa en râlant à mi-voix :
— Qui a inventé les talons, franchement... Une torture déguisée en élégance.
Ses pieds la brûlaient. Ses épaules aussi. Et dans sa tête, la journée tournait encore à vive allure.
Mais au milieu de toutes ces pensées confuses, un visage s’imposait. Un regard.Celui de lui.
Ce milliardaire que tout le monde craignait d’approcher.
Elle se laissa tomber dans le canapé effondré, attrapa un plaid en laine usée et ferma les yeux.
Mais au lieu de dormir, elle revoyait son regard.Ce regard... tellement intense.
Pas vulgaire. Pas dominateur. Mais profondément perçant. Comme s’il avait lu quelque chose en elle qu’elle-même ignorait.— T’es débile ou quoi ? marmonna-t-elle à voix basse. C’est ton patron. Et il te regardait à peine...
Elle se leva pour préparer une tasse de thé. Camomille. Son refuge.
Mais elle savait bien que ce n’était pas vrai.Ce n’était pas qu’il l’avait ignorée.
C’est qu’il l’avait observée.Silencieusement. Entièrement.
Et ce qu’elle avait ressenti... elle ne pouvait même pas le nommer.
Pas de peur. Pas d’attirance non plus, pas vraiment. Quelque chose de plus... vibrant.Elle ne croyait pas aux histoires à la Cendrillon. Elle connaissait le monde. Sa dureté. Sa hiérarchie.
Et surtout, elle connaissait sa place.
Elle ne venait pas d’un monde de limousines et de montres suisses.
Elle venait d’un monde où chaque facture comptait, où chaque centime était compté, où l’on priait en silence que la chaudière tienne jusqu’au mois suivant.Et pourtant…
Son téléphone vibra doucement.
SMS d’Inès – Son amie fidèle.Tu finis tard ? Besoin qu’on parle. J’ai croisé ton regard pendant la crise au hall tout à l’heure. On aurait dit que t’avais vu un fantôme 😅
Éléa sourit, fatiguée.
"Si seulement c’était un fantôme..." murmura-t-elle en posant le téléphone sur la table.
Pendant ce temps, dans le silence feutré de son appartement luxueux, Aidan fixait toujours la fiche d’Éléa.
Il l’avait imprimée.
Et pourtant, il n’imprimait jamais rien. Tout était numérique, sécurisé, codé.
Mais là… Il avait besoin de la toucher du doigt. De vérifier qu’elle existait. Qu’elle n’était pas une illusion de sa mémoire ou de son désir.Il s’était promis de ne jamais mélanger le personnel et le professionnel.
De ne jamais laisser le regard d’une femme interférer avec ses décisions.Mais voilà.
Elle était entrée sans rien dire.
Et maintenant, elle ne quittait plus ses pensées.Son instinct, toujours affûté, le lui murmurait déjà :
Cette femme n’est pas une distraction. Elle est un danger.
Un danger doux, imprévu.
Un de ceux qu’on ne voit pas venir. Et qui, justement, changent tout.Et Aidan Blackwell, l’homme que rien n’atteignait, ne reculait jamais devant le danger. Jamais.
Et Il sourit dangereusement.
La décision était prise. Le plan d'Aidan ne serait pas une attaque frontale, mais une infiltration méticuleuse, une réintroduction lente et calculée dans la vie qu'il avait autrefois reniée. Les jours suivant sa découverte traumatisante au parc avaient été une succession d'insomnies et de rages silencieuses, mais au travers de cette tempête émotionnelle, une stratégie froide et implacable avait commencé à émerger. Il avait passé des heures avec son avocat, Martin Reed, un homme aguerri et discret, spécialisé dans les affaires complexes des familles puissantes, dont la réputation n'était plus à faire en matière de résolution de crises sans éclat public.« Monsieur Blackwell, la première étape est de ne surtout pas créer de choc ou de traumatisme pour les enfants, » avait insisté l'avocat, un homme aux cheveux gris soigneusement coiffés, au regard perspicace qui semblait sonder l'âme de ses clients. « Une action juridique abrupte pourrait entraîner un conflit de garde dévastateur et nu
Le monde avait continué de tourner pour Éléa après ce paisible après-midi au parc. Anya et Léo avaient dévoré leurs glaces, leurs rires emplissant l'air, insouciants et joyeux. Thomas, avec sa présence rassurante, avait partagé ce moment de bonheur simple. Éléa n'avait rien remarqué. Aucune ombre ne s'était allongée sur leur petit tableau familial. Pourtant, à quelques mètres de là, un homme était resté figé, son propre monde s'étant effondré autour de lui, laissant derrière lui les débris d'une vie qu'il n'avait jamais vraiment vécue.Aidan ne savait pas combien de temps il était resté appuyé contre le tronc rugueux de cet arbre, ses poumons brûlant, son cœur battant la chamade, menaçant de s'échapper de sa poitrine. L'image gravée sur ses rétines était une torture constante, une boucle infernale : Éléa, souriante, rayonnante, un éclat de bonheur qu'il ne lui avait jamais vu, entourée de leurs enfants. Et l'autre homme, l'intrus, l'étranger, qui partageait leur intimité, qui touchai
Le monde avait continué de tourner pour Éléa après ce paisible après-midi au parc. Anya et Léo avaient dévoré leurs glaces, leurs rires emplissant l'air, insouciants et joyeux. Thomas, avec sa présence rassurante, avait partagé ce moment de bonheur simple. Éléa n'avait rien remarqué. Aucune ombre ne s'était allongée sur leur petit tableau familial. Pourtant, à quelques mètres de là, un homme était resté figé, son propre monde s'étant effondré autour de lui.Aidan ne savait pas combien de temps il était resté appuyé contre le tronc rugueux de cet arbre, ses poumons brûlant, son cœur battant la chamade, menaçant de s'échapper de sa poitrine. L'image gravée sur ses rétines était une torture : Éléa, souriante, rayonnante, avec leurs enfants. Et l'autre homme, l'intrus, l'étranger, qui partageait leur intimité, qui touchait Éléa avec une familiarité déchirante, qui riait avec ses enfants.Des jumeaux.Le mot résonnait dans sa tête comme un coup de tonnerre. Des jumeaux. Il n'avait pas s
Les destins, en ce mois de printemps sur la côte Est, s'entremêlaient sans que les principaux intéressés le sachent. Éléa et Thomas aimaient emmener Anya et Léo au parc principal de la ville, un vaste espace vert avec des aires de jeux animées et un lac pittoresque. C'était leur rituel du samedi matin, un moment de pure insouciance pour les enfants, et de tranquillité pour les adultes. Les rires cristallins de Anya et Léo résonnaient souvent parmi les balançoires et les toboggans, un son doux et familier pour Éléa, qui observait avec un sourire les boucles sombres de ses enfants virevolter au gré de leurs jeux.Ce même samedi, Aidan avait décidé de prendre une pause dans ses intenses négociations. Son jet privé était garé à l'aéroport local, et il devait se rendre à une exposition d'art caritative dans cette même ville côtière dans la soirée, une obligation sociale imposée par l'un de ses nouveaux partenaires. Il avait quelques heures devant lui avant la réunion de l'après-midi, et i
Le déménagement sur la côte Est des États-Unis avait été une transition douce, presque inespérée pour Éléa. La ville, une agglomération dynamique et verdoyante, nichée entre des parcs nationaux et l'océan Atlantique, offrait un contraste saisissant avec le petit village canadien qu'elle avait quitté. Moins la rusticité, plus d'opportunités, mais toujours une atmosphère plus tranquille que le tumulte parisien. La filiale de l'entreprise familiale de Thomas s'y développait rapidement, offrant à ce dernier une stabilité professionnelle et un défi stimulant.Ils s'étaient installés dans une belle maison spacieuse, avec un grand jardin où Anya et Léo pouvaient courir et jouer. Thomas avait aménagé une salle de jeux lumineuse pour les jumeaux et un atelier de menuiserie où il pouvait s'adonner à sa passion, créant des meubles uniques et des jouets en bois pour ses enfants. Son aisance financière et son sens de l'organisation avaient rendu la transition facile, sans le moindre stress matéri
La vie d'Éléa devint un tourbillon de nuits courtes et de jours remplis d'un amour infini, mais doublé. Anya et Léo étaient des bébés calmes, aux grands yeux curieux, qui s'éveillaient au monde avec une douceur désarmante. Éléa redécouvrit des joies simples : les premiers sourires en simultané, les babillements jumeaux, le parfum unique de la peau de ses bébés. Elle était mère, deux fois mère, et cette identité la définissait désormais plus que toute autre. Elle travaillait toujours à temps partiel au café, Martha et parfois Thomas l'aidant à garder Anya et Léo pendant ses heures de service.Thomas s'investit pleinement dans son rôle de quasi-père. Il était incroyablement patient avec les jumeaux, ses grandes mains de charpentier se montrant étonnamment délicates pour changer deux couches, préparer deux biberons, ou les bercer simultanément. Il les berçait, leur lisait des histoires d'une voix grave et douce, et leurs rires d'enfants emplissaient la petite maison. Sa présence était u