Willow
L’air était chaud, chargé de l’odeur d’herbe fraîche, et la maison de mon enfance brillait sous le soleil de juillet.
Mes parents me précédaient pour se diriger vers la maison, leurs sourires si vivants qu’ils me serraient le cœur.Mais je n’arrivais pas à savourer cette chaleur familiale – pas avec Damon à mes côtés, son sourire faux plaqué sur son visage, et Cassidy qui nous rejoignait et s’approchait, les yeux brillants de larmes de crocodile.— « Willow, tu m’as tellement manqué ! » gémit-elle, m’enlaçant avec une effusion théâtrale.Je la repoussai d’un geste sec, mon regard glacial.— « Ne me touche pas. Tu vas me salir. »Elle se figea, son sourire se crispant comme un masque qui craquait.
— « Willow, qu’est-ce qui ne va pas ? Tu me fais peur… »— « Je parle de tes larmes, » dis-je, la voix tranchante. « Évite de salir ma robe toute neuve. »Un silence glacial s’installa, aussi lourd qu’une lame. Damon intervint, sa voix mielleuse brisant la tension.
— « Willow a fait un cauchemar dans la voiture. Elle est un peu à cran ! »Je le foudroyai du regard, mais me tus et entrai dans la maison. Mes doigts effleuraient les murs, caressant le papier peint comme pour réveiller des souvenirs enfouis.
Mon regard tomba sur une vieille photo encadrée : Cassidy et moi, enfants, tout sourire, inséparables, nos mains liées dans un éclat de rire.Cassidy avait trois ans de plus que moi. Elle avait été adoptée par mes parents avant même ma naissance. Pour moi, elle avait toujours été là. Ma grande sœur. Mon modèle. Mon ancrage.Je me souvenais d’un jour précis. Nous étions allées au cirque ensemble, un samedi d’automne. J’avais six ans, elle neuf. Nous riions comme des folles, assises tout devant, les yeux écarquillés devant les acrobates.
À un moment, un clown maladroit avait trébuché juste devant nous. J’avais sursauté, prête à pleurer. Cassidy m’avait alors pris la main, m’avait soufflé à l’oreille :
— « Il fait semblant, t’inquiète. Regarde, il va se relever et danser. »
Et il l’avait fait. Pile comme elle l’avait dit. Et nous avions éclaté de rire, soulagées, collées l’une à l’autre.
Ce jour-là, elle m’avait même offert un petit bracelet en perles, avec nos initiales gravées. Je l’avais porté pendant des années. Jusqu’à ce qu’elle me le retirât… symboliquement, en trahissant tout ce que nous avions été.
Une douleur me transperça. Un flash me frappa : le visage de Cassidy, déformé par la haine, ses mains sur mon fauteuil, l’eau glacée de la Tamise m’engloutissant.
Mon cœur se serrait, un étau dans ma poitrine.
— « Je ne me sens pas très bien… » murmurai-je à mes parents, forçant un sourire. « Je vais monter me reposer un peu, d’accord ? »
Ma mère fronça les sourcils, inquiète, mais acquiesça.
— « Bien sûr, ma chérie. Prends ton temps. »
Je grimpai l’escalier, chaque marche ravivant des souvenirs d’une vie d’avant – avant l’accident, avant les trahisons.
Dans ma chambre, je me dirigeai vers ma salle de bain privée, et me passai de l’eau froide sur le visage. Le miroir en face de moi me renvoyait l’image d’une femme que je ne reconnaissais plus.
Il fallait que je réfléchisse. Que je trouve un plan.
À cette époque, dans ma vie d’avant, je m’étais disputée violemment avec mes parents à cause de Damon. J’étais prête à tout pour lui, jurant que je n’épouserais jamais personne d’autre.
Ce que je ne savais pas, c’était que Damon et Cassidy étaient probablement déjà ensemble dès leur arrivée dans l’entreprise. Leurs sourires complices, leurs regards furtifs – je les voyais maintenant, là où avant j’étais aveugle.
Ils avaient tout fait pour me dissuader. Pour eux, une fille comme moi n’avait pas besoin de travailler. J’étais censée vivre comme une princesse, sans me soucier de rien.
Et même quand j’avais voulu prouver que j’en étais capable, ils avaient tout fait pour me faire échouer. On m’avait laissé gérer un dossier mineur, juste pour me faire plaisir. J’y avais mis tout mon cœur, j’étais stressée, appliquée… et pourtant, ils avaient modifié des données derrière mon dos. Résultat : le dossier était parti incomplet.
Mon père avait été déçu. Je l’avais vu dans ses yeux. Il n’avait rien dit, mais j’avais compris.
Alors j’avais laissé tomber. J’avais lâché ma place, mon envie, mes rêves. Je m’étais convaincue que j’étais faite pour autre chose. Que l’amour, un foyer, une famille… valaient mieux que des tableaux Excel et des réunions sans fin.
Et ils m’avaient encouragée à ne plus jamais remettre les pieds dans l’entreprise.
Et moi, comme une idiote, je les avais laissés faire.
Pendant ce temps, Damon et Cassidy s’étaient servis de moi, pillant ce que mes parents avaient bâti.
Leur relation ? Cachée dans l’ombre, dissimulée derrière des sourires, des faux-semblants, des “liens professionnels”. Personne ne soupçonnait qu’ils étaient amants. Pas même moi.
Je fermai les yeux, la rage bouillonnait dans mes veines. Mais pour l’instant, je n’avais aucune preuve. Rien de tangible pour les démasquer. Un faux pas, et je risquais de tout perdre – mes parents, l’entreprise, ma seconde chance.
Un bruit de pas dans le couloir. Léger, mais trop calculé. Je me figeai, essuyant mes joues humides.
La poignée de la porte tremblait, comme si quelqu’un hésitait à entrer.Cassidy ?Damon ?
Ou juste un fantôme de mon passé ?
Mon cœur cognait encore un peu trop fort, mais je redressai les épaules, prête à affronter ce qui venait.
Cette fois, je ne serais pas leur proie.
WILLOWL’ambulance dévale la route en secousses, la nuit est noire, les gyrophares balayant l’obscurité comme des lames de feu. J’essaie de tenir bon, mais ma tête me lance à chaque virage, un marteau qui frappe sans répit. Ma main serre celle de maman, elle est froide et tremblante, son souffle est court, son visage blême. Elle ne parle plus, les yeux vides, comme figée dans un état que je ne comprends pas vraiment. L’état de choc, sûrement.La porte de l’hôpital s’ouvre devant nous, un éclair blanc et froid. Je sens mes jambes flancher, mais je me raccroche à maman. Elle vacille, elle aussi. Je suis blessée à la tête, j’ai du mal à garder les yeux ouverts, le goût du sang dans la bouche. Mais je dois avancer. Je dois rester debout.On est rapidement pris en charge par une équipe médicale qui bouge vite, trop vite. Je suis posée sur un brancard, la tête soutenue.J’entends des voix, des questions, des ordres, mais tout est flou, comme au ralenti.Je ne sais pas ci c'est les suite de
MAXIME— Willow, monte dans cette putain d’ambulance.Je crois que je hurle, mais ça sonne creux. Ma voix se perd dans le vacarme autour, dans les sirènes, dans la peur qui suinte de chaque regard.Ma main serre la sienne si fort que je sens mes propres phalanges trembler, presque à m’en faire mal. Elle vacille à peine, mais je sais qu’elle tient sur un fil, un mince fil qui menace de rompre à chaque instant. Le front en sueur, la robe déchirée et maculée de sang. Du sang. Son sang.— Je vais bien, insiste-t-elle, encore et encore, comme si répéter ces mots pouvait les rendre vrais.Mais son teint est trop pâle, presque translucide. Ses jambes flanchent comme une plante desséchée. Ce rouge vif qui coule lentement sur ses cuisses me rend fou, me fait perdre pied.— Tu te vides, bordel. T’as pas vu ta tête ? Tu saignes depuis cinq putains de minutes, Willow, t’as peut-être une hémorragie !Elle me regarde avec ces yeux fous, têtus, brisés, perdus dans un monde où la douleur n’a pas de r
DAMONMes oreilles sifflent. Un goût de sang, métallique, âcre, envahit ma bouche, me submerge, me noie. Mes côtes sont en feu, chaque inspiration un coup de poignard rouillé qui me lacère les poumons. Le volant, enfoncé dans mon torse, m’écrase, m’empêche de respirer. Mon bras gauche pend, mou, inutile, comme un poids mort accroché à mon épaule. Mes jambes… je ne les sens plus. Rien. Juste un vide glacial là où elles devraient être.Le moteur gémit, un râle d’agonie mécanique, un écho de ma propre douleur. L’odeur d’essence sature l’air, âpre, suffocante. Elle s’infiltre dans ma gorge, colle à ma langue, brûle mes narines. Je tousse, et le goût du sang s’intensifie, chaud, poisseux. Chaque mouvement, chaque souffle, est une torture. Je suis coincé, prisonnier d’une carcasse de métal tordu, un cercueil roulant qui m’enserre comme un étau.Et devant moi… Cassidy.Étendue sur le capot, brisée, désarticulée. Une poupée cassée abandonnée sur un tas de ferraille. Sa robe de fiancée, blanch
Fuir. C’est tout ce qui reste. Plus rien d’autre. Ma tête est vide, un brouillard épais où la raison n’a plus sa place. Je ne pense plus. Je ne réfléchis plus. Je fonce, comme un animal traqué, les tripes nouées par une rage qui brûle encore, un feu qui me dévore de l’intérieur. La clé tourne dans le contact, le moteur rugit, et sans savoir pourquoi, j’attrape le bras de Cassidy, la tirant vers la voiture.— Monte ! je grogne, la voix rauque, presque inhumaine.Elle obéit, tremblante, ses yeux écarquillés par la peur. L’automatisme, peut-être. Ou la lâcheté. Je ne sais pas. Mes mains tremblent sur le volant, mes phalanges blanchies par la pression. La pluie martèle le pare-brise, un rideau d’eau brouillant la route. Le goudron file sous les roues, un tapis noir déroulé devant le diable lui-même. Les gyrophares clignotent au loin dans le rétroviseur. Rouge. Bleu. Rouge. Bleu. Les flics. Ils nous collent au train, leurs sirènes hurlant comme des chiens affamés.Cassidy est à côté de moi
DAMONLe monde s'écroule. Alors je frappe.Je sens que tout m’échappe. Les regards. Les murmures. Les flashs. L’humiliation.Maxime vient de m’arracher la verrine. Il me grille devant tout le monde. Ce mec que j’aurais dû écraser depuis le début est là, debout, avec mes secrets dans la main. Et tout le monde le regarde, lui. Pas moi.J’ai envie de hurler.Cassidy s’effondre à genoux. Elle m’a trahi. Ou elle panique. Je ne sais pas. Je ne sais plus.Je fais un pas en arrière, prêt à me tirer. Faire ce que je sais faire : fuir, vite, et cogner si besoin.Mais une main m’attrape violemment le bras.— Pas si vite, enculé.C’est Bastien. L’ancien flic. Le chien errant de Maxime. Il m’empoigne comme s’il venait de me retrouver après dix ans de chasse.Son regard est noir. Implacable. Il veut m’arrêter. Ici. Devant tout le monde.Il croit que c’est fini ? Que j’ai perdu ?Mon poing part. Un direct dans sa gueule. Il recule, surpris par la violence. Il tente de se reprendre, me bloque l’ép
MaximeJe dévale les marches comme un homme consumé par les flammes. Mes jambes s’élancent avec une fureur contenue, mon cœur cogne dans ma poitrine tel un tambour de guerre.Dans l’enceinte de mon esprit, une seule image tourne en boucle, obsédante : Damon, la verrine cristalline, la gélule dissimulée.L’air siffle, coupant, tandis que je jaillis dans le jardin, un théâtre festif s’étendant devant moi, ignorant et insouciant. Les violons grincent leur mélodie mielleuse, des rires éclatent encore parmi les invités, des bulles de champagne dansent dans les flûtes.Et là, au cœur de cette mascarade, lui.Damon.Un sourire ourle ses lèvres, un toast scintille dans une main, et dans l’autre, la verrine en cristal – celle qu’il a souillée de son crime. Mon regard s’aiguise, se mue en lame affûtée. Je fends la foule avec détermination, esquivant un plateau d’argent, un bouquet de roses, un éclat de rire. Il tend la verrine à William Leclair, le père de Willow, qui s’apprête à la saisir, con