WILLOW
Le dîner avait tout d’un tableau parfait : les rires de mes parents, la lumière des bougies, le parfum du rôti… Mais pour moi, tout sonnait faux.
En face de moi, Damon multipliait les allusions à notre passé, glissant des souvenirs en espérant que je craquerais devant mes parents.
— « Tu te souviens de notre premier rendez-vous, Willow ? »
Je lui adressai un simple sourire, puis détournai la conversation sur le vin. Je ne voulais pas parler de ça, pas à leur table.
Après le repas, nous sortîmes tous dans le grand parc du domaine. L’air frais du soir était agréable, mais je sentais le poids des regards : celui de Damon, appuyé, et celui de Cassidy, silencieux mais bien là, comme un poison dans l’ombre.
Soudain, Damon se tourna vers mes parents, la main sur le cœur, la voix pleine d’une sincérité forcée :
— « J’aime Willow de tout mon cœur. Je veux passer ma vie avec elle. Je vous demande officiellement sa main, je la rendrai heureuse, je vous en fais la promesse. »
Je pris la parole avant qu’il n’allât plus loin, ma voix douce mais ferme :
— « Je pense qu’il est un peu trop tôt pour parler de mariage. Nous ne nous connaissons pas encore assez bien. »
Damon cligna des yeux, déstabilisé. Ce n’était clairement pas le script qu’il attendait. Il tenta de rattraper le coup, l’air blessé :
— « Bébé, tu es le seul sens de ma vie… »
Cassidy bondit, comme un chien de garde :
— « Damon t’aime vraiment, tu sais. Il parle de toi sans arrêt. Même les collègues au bureau sont au courant. C’est un homme vraiment très bien ! »
Je plantai mon regard dans le sien, un sourire aussi froid que tranchant aux lèvres :
— « Tellement bien que je te le laisse avec plaisir, si ça t’intéresse. »
Cassidy eut un rire nerveux, clairement déstabilisée :
— « Willow… enfin… qu’est-ce que tu racontes ? Il n’a d’yeux que pour toi, voyons ! »
Je me tournai alors vers mon père, ignorant le malaise qui flottait derrière moi :
— « Je plaisante, bien sûr. Mais au fait, papa… j’aimerais intégrer l’entreprise. Et puis, ça me permettrait de discuter un peu avec tous ces fameux collègues qui semblent si proches de Damon. Ce serait une bonne façon d’apprendre à mieux le connaître, non ? Et à mieux connaître l’entreprise aussi ! »
Cassidy devint livide, les doigts crispés sur son verre. Damon blêmit à son tour.
— « Mais… travailler, c’est épuisant ! Toi, tu es notre petite princesse, tu devrais juste profiter de la vie… »
— « C’est vrai, » ajouta Damon. « Tu n’as jamais travaillé, j’ai peur que ce soit trop dur pour toi. »
Je le fixai droit dans les yeux, un sourire aiguisé aux lèvres :
— « J’ai quand même fait des études supérieures pour travailler, pas pour jouer à la princesse à la maison. »
— « Oui, mais tu sais, l’entreprise, ce n’est pas un jeu, » coupa Cassidy.
— « Pourquoi ? Vous avez peur que je découvre votre petite liaison au bureau ?. »
Le silence qui suivit fut immédiat. Épais. Glaçant. Ils bafouillèrent quelques mots, mais rien qui ne tînt debout.
J’éclatai d’un rire léger :
— « Calmez-vous… C’est juste un rêve bizarre que j’ai fait. Évidemment que je vous fais confiance. Damon et Cassidy ? Me trahir ? Jamais de la vie… hein ? »
Mon père semblait ravi et, ignorant la tension, ajouta :
— « Parfait ! J’ai toujours espéré que tu viennes bosser avec nous. Je m’en occupe dès demain. »
Je captai le regard paniqué que Damon et Cassidy échangèrent. Là, ils comprirent. Je n’étais plus leur marionnette. J’étais devenue leur problème.
Plus tard, j’annonçai que je resterais quelques jours à la maison. Damon, lui, rentra seul. Le masque du gentleman craquait.
Cette nuit-là, impossible de dormir. Le silence m’étouffait. Je descendis dans la cuisine pour me chercher un verre d’eau. Mes pieds nus glissèrent sur le parquet froid.
En passant devant la chambre de Cassidy, je m’arrêtai net. J’entendais des voix, des chuchotements. Je tendis l’oreille, que je collai contre la porte de la chambre de ma sœur adoptive.
— « Elle a complètement changé… »
— « Elle va foutre en l’air tout ce qu’on a préparé. »
— « Je t’aime, Damon, mais pour notre avenir… il faut que tu tiennes encore un peu. »
Mon cœur bondit. Je sortis mon téléphone. Un glissement d’écran. Un clic. L’enregistrement démarra.
Chaque mot était une arme. Et cette fois, j’étais prête à m’en servir.
Des preuves, j’allais en avoir. Ensuite, je les confronterais l’un après l’autre.
MAXIME— Willow, monte dans cette putain d’ambulance.Je crois que je hurle, mais ça sonne creux. Ma voix se perd dans le vacarme autour, dans les sirènes, dans la peur qui suinte de chaque regard.Ma main serre la sienne si fort que je sens mes propres phalanges trembler, presque à m’en faire mal. Elle vacille à peine, mais je sais qu’elle tient sur un fil, un mince fil qui menace de rompre à chaque instant. Le front en sueur, la robe déchirée et maculée de sang. Du sang. Son sang.— Je vais bien, insiste-t-elle, encore et encore, comme si répéter ces mots pouvait les rendre vrais.Mais son teint est trop pâle, presque translucide. Ses jambes flanchent comme une plante desséchée. Ce rouge vif qui coule lentement sur ses cuisses me rend fou, me fait perdre pied.— Tu te vides, bordel. T’as pas vu ta tête ? Tu saignes depuis cinq putains de minutes, Willow, t’as peut-être une hémorragie !Elle me regarde avec ces yeux fous, têtus, brisés, perdus dans un monde où la douleur n’a pas de r
DAMONMes oreilles sifflent. Un goût de sang, métallique, âcre, envahit ma bouche, me submerge, me noie. Mes côtes sont en feu, chaque inspiration un coup de poignard rouillé qui me lacère les poumons. Le volant, enfoncé dans mon torse, m’écrase, m’empêche de respirer. Mon bras gauche pend, mou, inutile, comme un poids mort accroché à mon épaule. Mes jambes… je ne les sens plus. Rien. Juste un vide glacial là où elles devraient être.Le moteur gémit, un râle d’agonie mécanique, un écho de ma propre douleur. L’odeur d’essence sature l’air, âpre, suffocante. Elle s’infiltre dans ma gorge, colle à ma langue, brûle mes narines. Je tousse, et le goût du sang s’intensifie, chaud, poisseux. Chaque mouvement, chaque souffle, est une torture. Je suis coincé, prisonnier d’une carcasse de métal tordu, un cercueil roulant qui m’enserre comme un étau.Et devant moi… Cassidy.Étendue sur le capot, brisée, désarticulée. Une poupée cassée abandonnée sur un tas de ferraille. Sa robe de fiancée, blanch
Fuir. C’est tout ce qui reste. Plus rien d’autre. Ma tête est vide, un brouillard épais où la raison n’a plus sa place. Je ne pense plus. Je ne réfléchis plus. Je fonce, comme un animal traqué, les tripes nouées par une rage qui brûle encore, un feu qui me dévore de l’intérieur. La clé tourne dans le contact, le moteur rugit, et sans savoir pourquoi, j’attrape le bras de Cassidy, la tirant vers la voiture.— Monte ! je grogne, la voix rauque, presque inhumaine.Elle obéit, tremblante, ses yeux écarquillés par la peur. L’automatisme, peut-être. Ou la lâcheté. Je ne sais pas. Mes mains tremblent sur le volant, mes phalanges blanchies par la pression. La pluie martèle le pare-brise, un rideau d’eau brouillant la route. Le goudron file sous les roues, un tapis noir déroulé devant le diable lui-même. Les gyrophares clignotent au loin dans le rétroviseur. Rouge. Bleu. Rouge. Bleu. Les flics. Ils nous collent au train, leurs sirènes hurlant comme des chiens affamés.Cassidy est à côté de moi
DAMONLe monde s'écroule. Alors je frappe.Je sens que tout m’échappe. Les regards. Les murmures. Les flashs. L’humiliation.Maxime vient de m’arracher la verrine. Il me grille devant tout le monde. Ce mec que j’aurais dû écraser depuis le début est là, debout, avec mes secrets dans la main. Et tout le monde le regarde, lui. Pas moi.J’ai envie de hurler.Cassidy s’effondre à genoux. Elle m’a trahi. Ou elle panique. Je ne sais pas. Je ne sais plus.Je fais un pas en arrière, prêt à me tirer. Faire ce que je sais faire : fuir, vite, et cogner si besoin.Mais une main m’attrape violemment le bras.— Pas si vite, enculé.C’est Bastien. L’ancien flic. Le chien errant de Maxime. Il m’empoigne comme s’il venait de me retrouver après dix ans de chasse.Son regard est noir. Implacable. Il veut m’arrêter. Ici. Devant tout le monde.Il croit que c’est fini ? Que j’ai perdu ?Mon poing part. Un direct dans sa gueule. Il recule, surpris par la violence. Il tente de se reprendre, me bloque l’ép
MaximeJe dévale les marches comme un homme consumé par les flammes. Mes jambes s’élancent avec une fureur contenue, mon cœur cogne dans ma poitrine tel un tambour de guerre.Dans l’enceinte de mon esprit, une seule image tourne en boucle, obsédante : Damon, la verrine cristalline, la gélule dissimulée.L’air siffle, coupant, tandis que je jaillis dans le jardin, un théâtre festif s’étendant devant moi, ignorant et insouciant. Les violons grincent leur mélodie mielleuse, des rires éclatent encore parmi les invités, des bulles de champagne dansent dans les flûtes.Et là, au cœur de cette mascarade, lui.Damon.Un sourire ourle ses lèvres, un toast scintille dans une main, et dans l’autre, la verrine en cristal – celle qu’il a souillée de son crime. Mon regard s’aiguise, se mue en lame affûtée. Je fends la foule avec détermination, esquivant un plateau d’argent, un bouquet de roses, un éclat de rire. Il tend la verrine à William Leclair, le père de Willow, qui s’apprête à la saisir, con
WILLOWLe jardin de mes parents est terne avec l'hiver qui arrive.La réception a lieu dans le hall , le salon et la salle a mangé chez mes parents.Chaque pétale semble avoir été sélectionné à la pince.Chaque verre de champagne brille comme un piège.Maxime serre ma main plus fort que nécessaire. Il sourit. Je fais semblant aussi. Tout le monde fait semblant.C’est la fête. C’est les fiançailles officielles de Cassidy et Damon.Et pourtant, moi, je suis à deux doigts de vomir devant toute cette mascarade.Je n'ai rien dit a mes parents mais j'imagine qu'ils vont tombé de haut les pauvres...Avec la santé fragile de maman, ils n'avaient pas besoin de ça !— Respire, murmure Maxime. Dans une heure, tout sera terminé.Je lève les yeux vers lui.Il est beau.Trop calme.Trop propre pour l’homme que je sais capable de faire tomber un empire à mains nues.— Tu crois vraiment qu’il va tenter quelque chose aujourd’hui ?— Il va le faire. Parce qu’il pense qu’il a gagné. Et c’est exactement