Willow
Je me réveillai en sursaut, les sourcils froncés, comme si mon cerveau refusait de lâcher le sommeil. L’odeur du cuir mêlée au parfum musqué de Damon flottait dans l’habitacle. Mon cœur cognait dans ma poitrine sans que je comprisse encore pourquoi.
— « Chérie, réveille-toi, nous sommes arrivés ! » lança-t-il, sa voix douce comme une caresse. Douce, mais avec cette assurance arrogante qui, aujourd’hui, me donnait envie de vomir.Je bougeai mes jambes… et elles répondirent.
Pas de douleur. Pas de métal. Pas de roues. Juste… mes jambes. Libres. Vivantes.L’émotion me coupa le souffle. J’avais envie de hurler. C’était trop net, trop brutal, trop réel. Mon pouls s’affolait. Une sueur froide me glissait le long de la nuque.
Damon se pencha vers moi, un sourire éclatant plaqué sur le visage. Il tenta de m’embrasser sur la joue, comme si tout était normal. Je le repoussai d’un geste sec. — « Ne me touche pas, sale hypocrite. »Il me regarda, interloqué, mais son sourire ne vacilla pas. Trop bien entraîné. Cette tendresse simulée, je la connaissais par cœur maintenant. Il joua avec une mèche de mes cheveux auburn, la repoussant derrière mon oreille comme il l’avait fait mille fois. Sauf qu’aujourd’hui, je tapai sa main sans retenue.
Il fronça les sourcils, visiblement agacé.
— « T’as dû faire un cauchemar, mon amour… Regarde, on est chez tes parents. »Je levai les yeux. Et là, le monde s’arrêta.
La maison. Ma maison. Le platane tordu dans le jardin, les pierres du perron, la façade claire, les volets bleus. Chaque détail était là, intact. Comme si le temps s’était plié pour me ramener en arrière. Et surtout… eux. Mes parents. Vivants. Souriants. Debout en haut des marches. Le cœur me remonta dans la gorge. J’eus l’impression que mes jambes allaient me lâcher.Je sortis mon téléphone. Mes mains tremblaient. C’était l’ancien modèle, celui que Damon m’avait offert à la Saint-Valentin. Coque rose pâle, légèrement fendue.
18 juillet 2011. Le jour où nous avions annoncé nos fiançailles.J’étais revenue.
Pas dans un rêve. Pas dans une hallucination. Dans le passé.Damon sortit du véhicule et m’ouvrit la portière avec cette politesse programmée. Son sourire — celui qui m’avait charmée, autrefois — me fit l’effet d’une gifle. Je me souvenais parfaitement de notre première rencontre.
J’avais 22 ans. C’était à l’entreprise de mon père, William Leclair, PDG du Groupe Leclair, un pilier de l’énergie verte. J’étais venue déposer un dossier après mes examens. L’imprimante bloquait, je m’agaçais, stressée par cet univers d’adultes trop sérieux. Et Damon était apparu. Grand, élégant, sûr de lui. — « Besoin d’un coup de main ? » avait-il lancé, charmeur.Il avait résolu le problème en deux clics. Moi, j’étais conquise en deux secondes.
Nous avions discuté, ri. Il m’avait proposé un café. Il m’avait parlé de ses rêves, de son enfance difficile, élevé seul par sa mère. Il m’avait raconté comment, adolescent, il lavait les voitures du quartier pour lui offrir des cadeaux. Il me parlait avec cette passion sincère, cette ambition brillante qui vous attrape sans prévenir.À l’époque, je pensais qu’il était un jeune employé prometteur dans l’entreprise.
Ce que je ne savais pas, c’était qu’il était en réalité le fils illégitime de Richard Valdrake, fondateur du Groupe Valdrake, le conglomérat qui collaborait étroitement avec nous. Son père lui avait imposé un marché : séduire l’héritière du Groupe Leclair, infiltrer l’entreprise, la détruire, et en échange… il serait enfin reconnu comme héritier du Groupe Valdrake.Et moi ? J’étais juste une cible. Un pion dans un plan machiavélique.
Aujourd’hui, ce même sourire m’écœurait.
Je le fixai, et je vis. Ses yeux fuyaient. Son regard glissait. Et puis, je le surpris : un échange. Une seconde, à peine. Un regard entre lui et Cassidy. Elle était là. Elle aussi. Sourire discret, mais complice. Regard glissant comme une lame. Ils croyaient que je ne voyais rien. À l’époque, je ne voyais rien.
Maintenant, je voyais tout.Je sortis de la voiture. Mes talons claquaient sur le gravier. Chaque pas était une victoire, un cri silencieux. Après cinq ans à ramper dans un fauteuil, sentir le sol sous mes pieds, c’était comme renaître. J’avais presque envie de retirer mes chaussures et de courir dans l’herbe comme une gosse.
Mais pas maintenant.
Pas tant qu’ils ne savaient pas que j’étais réveillée.Maman descendit les marches, ses cheveux relevés en un chignon doux. Elle sentait toujours le jasmin. Elle m’enlaça, et je m’accrochai à elle comme si ma vie en dépendait.
— « Bienvenue à la maison, ma chérie. Tu nous as tant manqué. »Je fermai les yeux.
— « Vous aussi… » soufflai-je, au bord des larmes.Papa arriva à son tour, fier, solide. Il posa sa main sur mon épaule, comme il le faisait quand j’étais enfant.
Je retins mes sanglots. Je savais ce que j’allais perdre. Ce que je devais sauver. Maman. Ce cancer. Cette fin injuste. Je devais l’arrêter. Je devais la prévenir. Papa. Son cœur. Sa loyauté. Sa confiance en Damon. Je devais lui ouvrir les yeux. Cassidy. Sa trahison. Sa haine déguisée. Tout ce que je n’avais pas vu, j’allais l’écraser.Je regardai autour de moi. Les murs de la maison, les photos, les rideaux, la lumière dorée. Tout était là. Tout était intact. Et lui, derrière moi, Damon. Il croyait toujours avoir la main.
Mais ce qu’il ignorait, c’était qu’aujourd’hui, j’étais l’arme.
Et ce sourire qu’il affichait comme un trophée ? J’allais le lui faire ravaler.MAXIME— Willow, monte dans cette putain d’ambulance.Je crois que je hurle, mais ça sonne creux. Ma voix se perd dans le vacarme autour, dans les sirènes, dans la peur qui suinte de chaque regard.Ma main serre la sienne si fort que je sens mes propres phalanges trembler, presque à m’en faire mal. Elle vacille à peine, mais je sais qu’elle tient sur un fil, un mince fil qui menace de rompre à chaque instant. Le front en sueur, la robe déchirée et maculée de sang. Du sang. Son sang.— Je vais bien, insiste-t-elle, encore et encore, comme si répéter ces mots pouvait les rendre vrais.Mais son teint est trop pâle, presque translucide. Ses jambes flanchent comme une plante desséchée. Ce rouge vif qui coule lentement sur ses cuisses me rend fou, me fait perdre pied.— Tu te vides, bordel. T’as pas vu ta tête ? Tu saignes depuis cinq putains de minutes, Willow, t’as peut-être une hémorragie !Elle me regarde avec ces yeux fous, têtus, brisés, perdus dans un monde où la douleur n’a pas de r
DAMONMes oreilles sifflent. Un goût de sang, métallique, âcre, envahit ma bouche, me submerge, me noie. Mes côtes sont en feu, chaque inspiration un coup de poignard rouillé qui me lacère les poumons. Le volant, enfoncé dans mon torse, m’écrase, m’empêche de respirer. Mon bras gauche pend, mou, inutile, comme un poids mort accroché à mon épaule. Mes jambes… je ne les sens plus. Rien. Juste un vide glacial là où elles devraient être.Le moteur gémit, un râle d’agonie mécanique, un écho de ma propre douleur. L’odeur d’essence sature l’air, âpre, suffocante. Elle s’infiltre dans ma gorge, colle à ma langue, brûle mes narines. Je tousse, et le goût du sang s’intensifie, chaud, poisseux. Chaque mouvement, chaque souffle, est une torture. Je suis coincé, prisonnier d’une carcasse de métal tordu, un cercueil roulant qui m’enserre comme un étau.Et devant moi… Cassidy.Étendue sur le capot, brisée, désarticulée. Une poupée cassée abandonnée sur un tas de ferraille. Sa robe de fiancée, blanch
Fuir. C’est tout ce qui reste. Plus rien d’autre. Ma tête est vide, un brouillard épais où la raison n’a plus sa place. Je ne pense plus. Je ne réfléchis plus. Je fonce, comme un animal traqué, les tripes nouées par une rage qui brûle encore, un feu qui me dévore de l’intérieur. La clé tourne dans le contact, le moteur rugit, et sans savoir pourquoi, j’attrape le bras de Cassidy, la tirant vers la voiture.— Monte ! je grogne, la voix rauque, presque inhumaine.Elle obéit, tremblante, ses yeux écarquillés par la peur. L’automatisme, peut-être. Ou la lâcheté. Je ne sais pas. Mes mains tremblent sur le volant, mes phalanges blanchies par la pression. La pluie martèle le pare-brise, un rideau d’eau brouillant la route. Le goudron file sous les roues, un tapis noir déroulé devant le diable lui-même. Les gyrophares clignotent au loin dans le rétroviseur. Rouge. Bleu. Rouge. Bleu. Les flics. Ils nous collent au train, leurs sirènes hurlant comme des chiens affamés.Cassidy est à côté de moi
DAMONLe monde s'écroule. Alors je frappe.Je sens que tout m’échappe. Les regards. Les murmures. Les flashs. L’humiliation.Maxime vient de m’arracher la verrine. Il me grille devant tout le monde. Ce mec que j’aurais dû écraser depuis le début est là, debout, avec mes secrets dans la main. Et tout le monde le regarde, lui. Pas moi.J’ai envie de hurler.Cassidy s’effondre à genoux. Elle m’a trahi. Ou elle panique. Je ne sais pas. Je ne sais plus.Je fais un pas en arrière, prêt à me tirer. Faire ce que je sais faire : fuir, vite, et cogner si besoin.Mais une main m’attrape violemment le bras.— Pas si vite, enculé.C’est Bastien. L’ancien flic. Le chien errant de Maxime. Il m’empoigne comme s’il venait de me retrouver après dix ans de chasse.Son regard est noir. Implacable. Il veut m’arrêter. Ici. Devant tout le monde.Il croit que c’est fini ? Que j’ai perdu ?Mon poing part. Un direct dans sa gueule. Il recule, surpris par la violence. Il tente de se reprendre, me bloque l’ép
MaximeJe dévale les marches comme un homme consumé par les flammes. Mes jambes s’élancent avec une fureur contenue, mon cœur cogne dans ma poitrine tel un tambour de guerre.Dans l’enceinte de mon esprit, une seule image tourne en boucle, obsédante : Damon, la verrine cristalline, la gélule dissimulée.L’air siffle, coupant, tandis que je jaillis dans le jardin, un théâtre festif s’étendant devant moi, ignorant et insouciant. Les violons grincent leur mélodie mielleuse, des rires éclatent encore parmi les invités, des bulles de champagne dansent dans les flûtes.Et là, au cœur de cette mascarade, lui.Damon.Un sourire ourle ses lèvres, un toast scintille dans une main, et dans l’autre, la verrine en cristal – celle qu’il a souillée de son crime. Mon regard s’aiguise, se mue en lame affûtée. Je fends la foule avec détermination, esquivant un plateau d’argent, un bouquet de roses, un éclat de rire. Il tend la verrine à William Leclair, le père de Willow, qui s’apprête à la saisir, con
WILLOWLe jardin de mes parents est terne avec l'hiver qui arrive.La réception a lieu dans le hall , le salon et la salle a mangé chez mes parents.Chaque pétale semble avoir été sélectionné à la pince.Chaque verre de champagne brille comme un piège.Maxime serre ma main plus fort que nécessaire. Il sourit. Je fais semblant aussi. Tout le monde fait semblant.C’est la fête. C’est les fiançailles officielles de Cassidy et Damon.Et pourtant, moi, je suis à deux doigts de vomir devant toute cette mascarade.Je n'ai rien dit a mes parents mais j'imagine qu'ils vont tombé de haut les pauvres...Avec la santé fragile de maman, ils n'avaient pas besoin de ça !— Respire, murmure Maxime. Dans une heure, tout sera terminé.Je lève les yeux vers lui.Il est beau.Trop calme.Trop propre pour l’homme que je sais capable de faire tomber un empire à mains nues.— Tu crois vraiment qu’il va tenter quelque chose aujourd’hui ?— Il va le faire. Parce qu’il pense qu’il a gagné. Et c’est exactement