Chapitre 2 – Les restes d’un “nous”

Le tic-tac de l’horloge résonnait comme un compte à rebours.

09h48.

Chaque minute qui passait alourdissait la pièce. Jade avait proposé de rester, mais Lya avait refusé. C’était leur histoire à deux, leur champ de ruines. Personne d’autre n’avait le droit d’y mettre les pieds.

Elle s’était habillée sans trop y penser. Un jean noir, un pull ample. Ni trop sobre, ni trop apprêtée. Le genre de tenue qui dit : je ne m’effondrerai pas devant toi.

Ses cheveux, elle les avait attachés. Sa main tremblait encore légèrement.

Quand la serrure tourna, Lya sentit son cœur louper un battement. Une partie d’elle voulait courir se cacher. L’autre voulait l’attendre, droite, digne, comme s’il n’avait plus aucun pouvoir sur elle.

Thomas entra. Il portait cette chemise bleu nuit qu’elle lui avait offerte l’an dernier. Il était rasé de frais, sentait le parfum, et il avait les traits tirés. Mais son regard… son regard était vide. Il ne la regardait plus comme avant.

— Salut, dit-il simplement.

— Salut.

Il referma la porte doucement, posa ses clés sur la table, puis s’arrêta à quelques pas. Pas de baiser, pas de main tendue, même pas un sourire gêné. Le silence s’imposa, violent, épais.

— Tu veux un café ? demanda-t-elle, simplement, pour combler l’espace.

— Non, ça va. J’ai pas beaucoup de temps.

Pas beaucoup de temps. Ces mots résonnèrent comme une gifle. Même pour la fin, il n’avait pas le temps.

Lya inspira profondément.

— Tu voulais parler. Je t’écoute.

Thomas passa une main dans ses cheveux, nerveux. Il semblait chercher ses mots, comme s’il récitait une scène apprise trop vite.

— Lya, je… Je crois qu’on se perd, tous les deux.

— On se perd ? Depuis quand ?

Il baissa les yeux.

— Je sais pas… Ça fait un moment que je ressens plus les choses comme avant.

Elle hocha la tête, doucement.

— Tu couches avec elle depuis combien de temps ?

Son regard se releva, choqué.

— Quoi ?

— Je suis pas idiote, Thomas. Juste blessée.

Il se passa une main sur le visage.

— Ce n’est pas ce que tu crois. Ce n’est pas… prémédité. Je l’ai pas cherché, c’est arrivé.

— Tu l’aimes ?

Il ne répondit pas. Ce silence-là disait tout.

— Elle s’appelle comment ?

— Lya…

— Dis-moi son prénom.

Un silence. Puis :

— Carla.

Elle recula d’un pas. Elle connaissait Carla. Une collègue, croisée deux fois. Sourire parfait, faux compliment. Et maintenant… le lit de Thomas.

— Tu sais ce qui fait le plus mal, Thomas ? C’est pas que tu sois tombé amoureux d’une autre. C’est que tu m’aies regardée, encore et encore, sans rien dire. Que tu m’aies laissée espérer. T’as pas eu le courage de me perdre, alors t’as attendu que moi je tombe.

Il sembla vouloir répondre, mais elle leva la main.

— Non. T’as eu ta chance de parler. Maintenant c’est moi.

Sa voix tremblait, mais tenait.

— J’ai donné cinq ans de ma vie à un homme qui, en réalité, n’avait juste pas le cran de dire qu’il ne m’aimait plus. Tu sais combien de nuits j’ai passé à douter de moi ? À croire que j’étais le problème ?

— Lya, c’est pas…

— Tu t’es juste éloigné. Tu as fait comme si j’existais pas. Et moi, je m’accrochais à un fantôme.

Thomas sembla soudain accablé. Il recula d’un pas, comme s’il n’avait plus d’arguments.

— Je suis désolé.

— Garde tes excuses pour celle que tu vas trahir après moi.

Elle se détourna, essuya une larme.

— Prends tes affaires. Et ton silence. Y’a plus rien à sauver ici.

Il la regarda longuement, comme s’il découvrait une autre version d’elle. Une femme debout. Une femme blessée, oui, mais plus brisée.

Et sans un mot de plus, il tourna les talons.

Quand la porte claqua, Lya sentit ses jambes lâcher. Elle tomba à genoux, dans ce salon vide, et pleura pour la première fois… pas pour ce qu’elle avait perdu, mais pour ce qu’elle n’avait jamais eu.