Chapitre 5.1 – La fin d’un homme, la naissance d’un autre

Partie 1 : Le chaos intérieur

Alex resta longtemps debout dans la chambre, figé, comme si ses pieds s’étaient soudés au parquet. Isabella et Marc venaient de quitter la maison dans un silence de plomb, après cette confrontation où, pour la première fois, Alex n’avait pas cédé à ses tremblements intérieurs. Pourtant, dès qu’il fut seul, le masque de froideur qu’il avait réussi à maintenir se fissura.

Un poids écrasant lui broyait la poitrine. Sa respiration était irrégulière, presque douloureuse, et ses mains tremblaient légèrement comme si ses nerfs s’étaient enflammés. L’image de son mariage passé – ce jour qu’il croyait être le début d’une vie éternelle de bonheur – revenait le hanter comme une farce cruelle. Les rires, les promesses, les regards… tout n’avait été qu’un théâtre où il avait tenu le rôle de l’idiot amoureux.

Il se laissa tomber dans un fauteuil, les coudes appuyés sur ses genoux, la tête entre ses mains. Ses pensées se bousculaient sans ordre : la voix d’Isabella, douce et fausse ; le rire de Marc, son soi-disant frère de cœur ; et surtout le visage de sa fille, Stéphanie, qu’il avait tant aimé et qu’il avait perdue dans son autre vie.

Une partie de lui voulait hurler, briser des objets, laisser éclater la tempête qui grondait dans ses entrailles. Mais une autre, plus profonde, murmurait qu’il n’avait pas le droit de se laisser aller. Pas cette fois. Pas maintenant.

Il leva les yeux vers le miroir accroché au mur. Son reflet le fixait : traits tirés, yeux cernés, regard durci par une rage contenue. Il avait l’impression de voir un étranger. Un homme qu’il n’avait pas encore appris à connaître mais qui, bientôt, prendrait toute la place.

— Tu n’es plus celui d’hier, se dit-il à voix basse. Tu es mort une fois. Cette fois, tu renais.

Les mots résonnèrent dans la pièce vide comme un serment.

La tentation du gouffre

Pourtant, malgré cette lueur de détermination, le désespoir continuait de rôder, comme une bête qui tournait autour de lui en attendant une faille. Plusieurs fois, il sentit le vertige d’une idée sombre : tout abandonner, ne pas lutter, se laisser consumer par la douleur. Après tout, pourquoi combattre si l’issue était déjà écrite ?

Mais aussitôt, un autre souvenir se superposa : celui de l’accident, de ses dernières secondes dans l’autre vie. Cette impression glaciale de n’avoir rien accompli, de s’être fait voler son existence sans jamais riposter. L’humiliation de mourir en victime.

Non. Cette fois, il ne répéterait pas l’erreur.

Il serra les poings, ses ongles s’enfonçant dans la chair de ses paumes. Une chaleur étrange monta en lui, un mélange de colère et de lucidité. Chaque fibre de son être lui criait que la souffrance n’était pas une fin, mais un carburant.

Il allait transformer ce chaos intérieur en arme.

Le souvenir d’Isabella

Ses pensées revinrent à Isabella. Son visage, sa voix, ses gestes… tout était empreint de duplicité. Il repensa à la façon dont elle l’avait regardé plus tôt, cette étincelle de peur mêlée de haine dans ses yeux quand il avait osé l’affronter. Ce regard avait été plus révélateur que mille mots.

Elle n’était pas seulement une traîtresse. Elle était une ennemie. Et plus encore, une ennemie intime, qui connaissait ses faiblesses, ses habitudes, ses blessures.

Alex comprit alors que la guerre qui s’ouvrait ne serait pas une guerre de coups visibles, mais une guerre psychologique, un champ de bataille invisible où chaque regard, chaque silence, chaque choix deviendrait une arme.

Et il devait être prêt à frapper le premier.

Marc, le frère déchu

Puis son esprit glissa vers Marc. Celui qu’il avait considéré comme un frère, un allié. L’image de son rire résonna dans ses oreilles, mais cette fois, ce n’était plus la complicité passée qu’il voyait. C’était le serpent, le traître, l’homme qui avait profité de son aveuglement.

Marc représentait une menace différente d’Isabella. Là où elle manipulait avec douceur et séduction, lui avançait masqué, prêt à se nourrir de l’amitié qu’il feignait encore. Alex sut qu’il devrait être doublement vigilant : Marc était habile, calculateur, et il ne se dévoilerait qu’une fois qu’il aurait une arme sous la main.

Mais Alex avait désormais l’avantage d’un savoir que les autres n’avaient pas : il connaissait déjà leurs failles, leurs désirs, leurs ambitions. Et il allait les retourner contre eux.

L’appel du futur

Une idée commença à naître en lui. Floue, fragile, mais réelle. Il ne pouvait pas rester enfermé dans sa douleur. Il devait agir. Se construire une base solide, un plan, un avenir. Et pour cela, il lui fallait une arme redoutable : l’argent.

Dans son autre vie, il avait été lent, naïf, toujours à la traîne. Mais cette fois, il possédait un atout inestimable : les souvenirs du futur. Les événements économiques, les tendances, les opportunités… il avait la carte d’un terrain que les autres n’avaient pas encore exploré.

Un sourire amer étira ses lèvres. Oui, il pouvait se reconstruire. Oui, il pouvait se hisser au sommet. Mais pas seulement pour lui. Non, sa réussite serait l’arme ultime pour écraser Isabella et Marc. Leur faire goûter à la poussière de l’humiliation. Leur montrer qu’ils avaient trahi le mauvais homme.

La première étape

Il se leva enfin du fauteuil, comme si un poids venait de se détacher de ses épaules. Ses gestes étaient encore hésitants, mais sa résolution se solidifiait. Il prit un carnet posé sur une étagère, un vieux cahier qu’il n’avait pas utilisé depuis des années, et s’assit à son bureau.

Page après page, il commença à écrire.

Pas ses émotions. Pas ses douleurs. Non, des plans. Des idées. Des dates précises qu’il se souvenait avoir marqué son époque : le lancement d’une entreprise, la chute d’une autre, une opportunité immobilière, une fluctuation boursière. Des détails qui, à l’époque, lui avaient paru insignifiants mais qui avaient façonné l’avenir.

Chaque ligne tracée était comme une pierre posée pour bâtir son empire futur.

Il écrivit jusqu’à ce que sa main lui fasse mal, mais il ne s’arrêta pas. La rage se transformait en concentration. La douleur en lucidité. Le chaos intérieur en une symphonie de stratégies.

Le serment silencieux

Quand enfin il leva la tête, les premières lueurs de l’aube filtraient à travers les rideaux. La nuit avait été engloutie par son travail. Devant lui, le cahier débordait déjà de notes, de calculs, de rappels.

Alex s’adossa à sa chaise, épuisé mais étrangement apaisé. Il savait que la route serait longue, semée d’embûches, que ses ennemis ne resteraient pas inactifs. Mais il avait franchi le seuil. Il n’était plus l’homme naïf qui croyait en l’amour éternel.

Il posa une main sur le cahier et, dans un souffle à peine audible, prononça son serment :

— Je détruirai tout ce que vous croyez avoir bâti. Et je vous ferai regretter chaque mensonge, chaque baiser volé, chaque trahison.

Ses yeux, rougis par la fatigue, brillaient d’une lueur nouvelle. Celle d’un homme qui venait de renaître dans le feu de sa propre douleur.