Elina
Je suis en retard.
Pas pour un rendez-vous formel, pas pour un entretien, pas pour une réunion autour d’une table froide où l’on feint d’être important. Non. Je suis en retard pour ce qui est devenu mon quotidien : la scène, les lumières tamisées, les regards qui glissent sur moi comme des griffes douces, les billets coincés entre mes cuisses ou glissés dans ma jarretière.
Je suis en retard pour être ce que je déteste et ce que j’incarne à la perfection : une femme que l’on regarde, que l’on convoite, mais que personne ne touche vraiment.
Le Velvet est déjà vivant quand j’arrive. Les néons rouges vibrent dans la pénombre, les basses grondent comme un cœur qui cogne trop fort. J’entre par la porte arrière, maquillée à la va-vite, le cœur au bord des lèvres. Pas à cause du trac. À cause de lui.
Aiden.
Il ne vient pas tous les soirs. Mais quand il est là, je le sais avant même de le voir. C’est comme une tension dans l’air. Une chaleur étrange sur ma peau nue. Une présence qui réveille tout en moi, même ce que je croyais endormi à jamais.
Je pousse la porte des loges. L’ambiance est électrique. Les filles se préparent, enfilent des plumes, des corsets, des sourires feints. Il y a trop de rires, trop de regards échangés. Et des murmures, aujourd’hui plus insistants que jamais.
— Tu as vu comment il la regarde ?
— Si j’étais elle, je serais déjà dans sa voiture.
— C’est pas normal qu’il vienne juste pour Elina…
Je fais mine de ne rien entendre. Je passe devant le miroir, ajuste mes bas, retouche mon rouge à lèvres. Mes mains tremblent.
Parce que je sais.
Il est là ce soir. Et je vais devoir danser.
Pour lui. Pour eux. Pour tous ceux qui veulent une part de mon corps, sans jamais rien comprendre à ce qu’il contient.
Mais ce n’est pas lui le seul problème.
Depuis quelques jours, les clients me regardent autrement. Avec plus d’audace. Plus de désir brut. Comme si quelque chose avait changé dans mon corps, dans mon aura. Ils me convoitent. Tous. Avec une voracité nouvelle.
Peut-être parce qu’ils sentent qu’un autre homme me veut.
Peut-être parce que mon corps ne ment plus.
Et ce soir, c’est pire.
Je monte sur scène à minuit. La salle est pleine à craquer. Il fait chaud. Trop chaud. Mes talons claquent sur le bois comme un appel.
La lumière se tamise.
La musique commence — lente, charnelle, moite. Un rythme qui épouse mes hanches, qui guide mes gestes, qui m’ouvre en deux.
Je le cherche.
Et je le trouve.
Aiden est là. Dans un coin sombre, presque caché par l’ombre, mais je sens son regard brûler ma peau nue. Il ne bouge pas. Il ne sourit pas. Il me fixe. Il me dévore.
Il me possède du regard.
Et tout explose en moi.
Je danse. Pour lui. Uniquement pour lui. Même si cent autres paires d’yeux me suivent, même si des mains se crispent sur des verres, même si des bouches s’ouvrent en silence. Rien n’existe que lui. Que cette tension entre nous.
Chaque geste est une provocation.
Chaque courbe offerte est un aveu silencieux.
Je le tente. Je le défie.
Je veux qu’il craque. Je veux qu’il vienne. Qu’il me prenne, là, maintenant, peu importe qui regarde.
Quand je descends lentement mon bustier, je vois sa mâchoire se contracter.
Quand je laisse tomber mon dernier voile, je sens sa colère.
Oui, sa colère.
Parce qu’ils me regardent comme il voudrait être le seul à le faire.
Et ce regard-là… me brûle. Il n’est plus seulement fasciné. Il est au bord de l’explosion.
Et je l’alimente.
Volontairement.
Cruellement.
Je termine ma danse. Les applaudissements fusent, les cris aussi. Certains lèvent leur verre. D’autres hurlent mon nom.
Mais moi, je n’entends rien.
Je tremble.
Pas de froid. Pas de fatigue. Juste… d’excitation. De peur. D’attente.
Dans le couloir, il m’attend.
Aiden.
Silencieux. Les bras croisés. Appuyé contre le mur. Son regard m’attrape, m’écartèle.
— Aiden : Tu veux jouer à ça combien de temps encore ?
— Elina : À quoi ? je murmure, la voix rauque.
— Aiden : À exciter tous ces types alors que tu sais très bien que tu me rends fou.
Ses mots sont secs. Mâchés comme une gifle.
— Aiden : Tu veux que je te dise ce que j’ai eu envie de faire quand tu t’es penchée ?
— Elina : Non.
Mais c’est faux.
J’en meurs d’envie.
Je veux qu’il me le dise. Je veux l’entendre, sale, brut, réel.
Il s’approche. Trop près. Mon dos touche le mur glacé du couloir.
Ses mains ne me touchent pas, mais son souffle… son souffle est partout.
Il me traverse. Me déshabille. Me détruit.
— Aiden : Je ne suis pas comme eux, Elina. Je ne vais pas juste te regarder. Si tu continues, je vais te prendre. Pour de vrai. Et il n’y aura plus de retour en arrière.
Mon cœur s’emballe. Mon corps aussi. Tout me pousse vers lui, tout crie oui.
Et pourtant, je souris. Lentement. Dangereusement.
— Elina : Peut-être que je veux qu’il n’y ait plus de retour en arrière.
Un silence. Chargé. Intenable.
Il me fixe encore quelques secondes. Puis il part. Sans un mot. Sans un regard.
Et je reste là, haletante, le corps tendu comme une corde prête à se rompre.
Parce que ce soir, quelque chose a basculé.
Ce n’est plus un jeu.
Ce n’est plus un frisson.
C’est une guerre.
Et je sens qu’il est prêt à la mener pour moi.
Contre tous les autres.
Contre lui-même.
Et moi…
Moi, je n’ai plus envie de fuir.
Je veux
qu’il me perde.
Je veux qu’il me retrouve.
Je veux qu’il me brise et qu’il m’embrase.
J’ai envie de tomber.
ElinaJe ne remonte pas dans les loges.Pas tout de suite.Pas maintenant.Pas alors que mes jambes refusent d’obéir à autre chose qu’à cette brûlure silencieuse en moi.Je reste figée dans le couloir, dos au mur, le cœur au bord des lèvres. Le mur est encore chaud de son passage. Comme s’il avait laissé une empreinte invisible. Une signature. Une morsure.La musique continue. Les basses cognent. Les lumières s’écrasent contre les murs. Mais je suis ailleurs. Plus dans le spectacle. Plus dans mon corps. J’ai quitté la scène, mais c’est sur une autre que je viens de tomber.Celle qu’il écrit avec son regard. Celle qu’il orchestre sans dire un mot de trop.Aiden.Ce prénom me claque à l’intérieur comme une gifle qui laisse une traînée de fièvre.Il n’a rien fait.Rien que me regarder.Mais son regard m’a mise à nu.Déshabillée sans retirer un seul vêtement.Mon ventre se contracte au souvenir de sa voix, de ce timbre grave, plus dangereux qu’un couteau. Il m’a frôlée de mots, et mon cor
ElinaJe suis en retard.Pas pour un rendez-vous formel, pas pour un entretien, pas pour une réunion autour d’une table froide où l’on feint d’être important. Non. Je suis en retard pour ce qui est devenu mon quotidien : la scène, les lumières tamisées, les regards qui glissent sur moi comme des griffes douces, les billets coincés entre mes cuisses ou glissés dans ma jarretière.Je suis en retard pour être ce que je déteste et ce que j’incarne à la perfection : une femme que l’on regarde, que l’on convoite, mais que personne ne touche vraiment.Le Velvet est déjà vivant quand j’arrive. Les néons rouges vibrent dans la pénombre, les basses grondent comme un cœur qui cogne trop fort. J’entre par la porte arrière, maquillée à la va-vite, le cœur au bord des lèvres. Pas à cause du trac. À cause de lui.Aiden.Il ne vient pas tous les soirs. Mais quand il est là, je le sais avant même de le voir. C’est comme une tension dans l’air. Une chaleur étrange sur ma peau nue. Une présence qui réve
ElinaJe ne trouve pas le sommeil.Il est presque deux heures du matin et je suis encore là, allongée dans mon lit, les yeux fixés au plafond, le cœur battant trop vite pour la nuit, trop fort pour le silence. J’ai pourtant tout essayé : la tisane, la douche chaude, la musique douce. Rien n’y fait. Mon esprit refuse de s’apaiser. Il tourne en boucle, obsédé par ce qui s’est passé aujourd’hui. Par lui. Par Aiden.Je ferme les yeux, espérant faire taire les images qui m’assaillent, mais c’est pire. Je le revois dans le couloir, son regard posé sur moi comme un feu lent, qui me consume sans même me toucher. Il ne m’a pas effleurée. Pas même un doigt sur mon bras, et pourtant… j’ai senti son emprise, comme si chaque mot qu’il prononçait s’imprimait sur ma peau.Et cette façon qu’il a de me regarder… Ce n’est pas seulement de l’intérêt. C’est autre chose. Quelque chose de plus profond, de plus dangereux. Comme s’il me connaissait déjà. Comme s’il savait exactement ce que je cache derrière
AidenJe suis assis derrière mon bureau, l’ombre de la nuit tombée se faufilant à travers les rideaux. Le silence de ce bureau me pèse, presque autant que le poids de mes pensées. Il est tard, mais je ne peux pas décrocher. Pas encore. Pas après ce qu’il s’est passé. Elle est là, dans mon esprit, comme une empreinte laissée sur ma peau, impossible à effacer.Elina. Elle ne sait pas encore à quel point je la veux. À quel point chaque instant passé près d’elle, même celui où elle m’ignorait, a laissé une marque. Une marque brûlante que je ne peux ignorer. Elle est en moi, tapie dans un recoin de ma conscience, m’échappant encore, mais je sais qu’à chaque rencontre, elle deviendra de plus en plus présente, plus envoûtante, jusqu’à ce qu’elle occupe tout l’espace.Je pose mes mains sur le bureau, les doigts effleurant le bois poli. L’image de son visage, la façon dont ses yeux se sont baissés quand je lui ai parlé… C’était plus qu’une simple conversation. C’était un avertissement, pour el
ElinaL’eau chaude ruisselle sur ma nuque, glisse le long de ma colonne vertébrale, se faufile entre mes omoplates et s’échappe en douce, comme pour me rappeler qu’il y a un monde à l’extérieur de cette douche. Mais il n’est pas loin. Aidan. Il est là, dans ma tête, dans chaque pensée, chaque battement de cœur. Je ferme les yeux, essayant de me concentrer sur la chaleur de l’eau, sur ce besoin d’effacer cette tension qui me ronge. Mais le feu qu’il a allumé en moi brûle encore. Et je suis incapable de l’éteindre.Je me souviens de la sensation de ses doigts effleurant le nœud de mon peignoir. Lentement. Si lentement que j’avais l’impression qu’il prenait son temps, comme si chaque geste était une promesse, une promesse qu’il n’avait pas besoin de dire pour être entendue. Sa voix grave, son souffle contre ma peau. J’aurais voulu qu’il aille plus loin, et en même temps, j’avais peur de ce qu’il pourrait déclencher.L’eau continue de couler, mais je ne ressens plus rien. Je ferme les yeu
ElinaMinuit. L’heure où les corps deviennent des promesses. Où le regard des hommes ne pèse plus, il dévore.La musique bat comme un cœur sauvage. Mon talon claque sur la scène, une seconde avant que mes hanches ne glissent dans la lumière crue. Chaque mouvement est calculé. Mais ce soir, je ne joue pas. Ce soir, je m’offre. À lui.Je le sens avant de le voir. Dans l’ombre, il est là. Un bloc de silence. Une présence qui aspire l’air autour. Il ne bouge pas. Ne boit pas. Ne parle pas. Il regarde. Et sous son regard, je perds le contrôle.Mes doigts accrochent la barre. Je monte lentement, laisse mes cuisses se refermer autour du métal glacé. Mes cheveux me frôlent la nuque. La sueur perle entre mes seins. Le monde entier se resserre à l’intérieur de ses pupilles noires.Il ne réagit pas. Et ça me rend folle.Je pousse plus loin. Cambrure lascive. Langueur du bassin. Une langue qui effleure ma lèvre. Je veux qu’il cède. Je veux qu’il rompe sa posture glaciale et me dévore du regard. M