Elina
Je ne trouve pas le sommeil.
Il est presque deux heures du matin et je suis encore là, allongée dans mon lit, les yeux fixés au plafond, le cœur battant trop vite pour la nuit, trop fort pour le silence. J’ai pourtant tout essayé : la tisane, la douche chaude, la musique douce. Rien n’y fait. Mon esprit refuse de s’apaiser. Il tourne en boucle, obsédé par ce qui s’est passé aujourd’hui. Par lui. Par Aiden.
Je ferme les yeux, espérant faire taire les images qui m’assaillent, mais c’est pire. Je le revois dans le couloir, son regard posé sur moi comme un feu lent, qui me consume sans même me toucher. Il ne m’a pas effleurée. Pas même un doigt sur mon bras, et pourtant… j’ai senti son emprise, comme si chaque mot qu’il prononçait s’imprimait sur ma peau.
Et cette façon qu’il a de me regarder… Ce n’est pas seulement de l’intérêt. C’est autre chose. Quelque chose de plus profond, de plus dangereux. Comme s’il me connaissait déjà. Comme s’il savait exactement ce que je cache derrière mes sourires polis, derrière mes silences prudents. Il me voit. D’une façon qui me trouble autant qu’elle me fascine. Et je déteste ça. Je déteste me sentir aussi vulnérable face à lui.
Je me redresse dans mon lit, repoussant la couverture avec agacement. L’air de la pièce est lourd. Étouffant. Comme s’il portait son odeur, sa présence. Tout me ramène à lui. Et c’est insupportable. Je ne devrais pas penser à lui. Je ne devrais même pas lui accorder une place dans mon esprit. C’est mon supérieur. Il n’y a rien à espérer, rien à construire. Juste une limite claire à ne pas franchir.
Et pourtant… je l’ai déjà franchie dans ma tête des dizaines de fois. J’ai imaginé ses doigts glisser sur ma peau, sa bouche prononcer mon prénom dans un souffle rauque. J’ai honte de l’avouer, même à moi-même, mais c’est la vérité. Je suis attirée par lui. Atrocement. Irrémédiablement.
Ce n’est pas juste une attirance physique. C’est plus insidieux que ça. Il me fait perdre mes repères. Me fait douter de mes certitudes, de ma logique, de mes principes. Il suffit qu’il entre dans une pièce pour que tout se brouille, pour que mon corps oublie ce que mon esprit s’acharne à lui rappeler.
Je me lève brusquement et vais jusqu’à la fenêtre. Dehors, la ville dort. Seule la lueur orangée des réverbères éclaire les trottoirs vides. Un chat traverse la rue, furtif, libre. Je pose mes mains contre la vitre froide, espérant calmer le tumulte intérieur. Ce n’est qu’une phase. Ce trouble va passer. Il doit passer.
Je ferme les yeux et j’inspire lentement. Je me rappelle ses mots. Sa voix grave, posée, chaque syllabe choisie avec soin, comme si parler était pour lui un art calculé. Rien n’est laissé au hasard avec lui. Et je crois que c’est ce qui me dérange le plus. J’ai l’impression qu’il sait exactement ce qu’il fait. Qu’il connaît l’effet qu’il produit sur moi. Et qu’il s’en amuse.
Et puis, il y a Sarah.
Elle m’a appelée ce soir.
Sa voix sonnait étrange, tendue, comme si elle savait quelque chose. Comme si elle avait vu quelque chose. Elle m’a posé des questions, détournées, mais précises. Tu es restée tard aujourd’hui ? Aiden était là ? J’ai menti. Bien sûr que j’ai menti. Ce n’était pas un mensonge total — il ne s’est rien passé. Pas vraiment. Mais j’ai senti sa méfiance. Comme si elle savait que j’étais sur le fil, à deux doigts de tomber.
Je retourne m’asseoir sur le bord du lit, les mains crispées sur mes genoux. J’ai envie de fuir. De partir loin de cet appartement, loin de cette ville, loin de lui. Mais je ne peux pas. Parce que malgré tout ce que je ressens, malgré la peur, malgré la confusion… une partie de moi a envie de voir jusqu’où ça ira.
Et c’est ça le pire. Ce n’est pas lui qui m’entraîne. C’est moi qui marche vers lui, volontairement, comme attirée par un précipice. J’ai conscience du danger, mais je ne freine pas. Parce que sous cette tension, il y a quelque chose de grisant. De vivant. Comme si, pour la première fois depuis longtemps, quelqu’un venait réveiller une partie de moi que j’avais oubliée.
Depuis combien de temps n’ai-je pas été regardée comme ça ? Pas simplement pour ce que je montre, mais pour ce que je suis, là-dessous, au fond. Aiden n’est pas un homme que l’on peut ignorer. Il est là, il impose, il fascine. Et je sens que plus je tente de me dérober, plus il resserre les fils invisibles entre nous.
Un bruit. Léger. Un claquement dans le couloir. Je me fige, tend l’oreille. Mon cœur s’emballe. Peut-être un voisin. Peut-être le vent. Mais une partie de moi espère, idiote que je suis, que ce soit lui. Qu’il soit là. Qu’il vienne. Qu’il traverse cette distance qu’on s’impose et qu’on brise à moitié, chaque fois que nos regards s’accrochent.
Mais personne ne frappe.
Et c’est peut-être mieux ainsi.
Ou peut-être pas.
Je reste là, encore longtemps, à écouter le silence. À sentir ce manque étrange m’envahir, ce vide qu’il a laissé sans même m’avoir touchée. C’est vertigineux. C’est absurde. Et c’est trop réel.
Je sais que ce n’est que le début.
Que ce qui s’est joué entre nous aujourd’hui n’était qu’une mise en bouche.
Un avant-goût.
Et que bientôt, très bientôt, la frontière entre nous ne sera plus qu’un souvenir.
Parce qu’il me trouble.
Parce qu’il me veut.
Et parce que je sens déjà que je suis en train de le vouloir aussi.
Bien plus que je ne l’aurais jamais cru.
Bien plus que je ne peux me l’avouer.
Et ce
tte nuit ne sera plus jamais tout à fait la même.
ElinaJe ne remonte pas dans les loges.Pas tout de suite.Pas maintenant.Pas alors que mes jambes refusent d’obéir à autre chose qu’à cette brûlure silencieuse en moi.Je reste figée dans le couloir, dos au mur, le cœur au bord des lèvres. Le mur est encore chaud de son passage. Comme s’il avait laissé une empreinte invisible. Une signature. Une morsure.La musique continue. Les basses cognent. Les lumières s’écrasent contre les murs. Mais je suis ailleurs. Plus dans le spectacle. Plus dans mon corps. J’ai quitté la scène, mais c’est sur une autre que je viens de tomber.Celle qu’il écrit avec son regard. Celle qu’il orchestre sans dire un mot de trop.Aiden.Ce prénom me claque à l’intérieur comme une gifle qui laisse une traînée de fièvre.Il n’a rien fait.Rien que me regarder.Mais son regard m’a mise à nu.Déshabillée sans retirer un seul vêtement.Mon ventre se contracte au souvenir de sa voix, de ce timbre grave, plus dangereux qu’un couteau. Il m’a frôlée de mots, et mon cor
ElinaJe suis en retard.Pas pour un rendez-vous formel, pas pour un entretien, pas pour une réunion autour d’une table froide où l’on feint d’être important. Non. Je suis en retard pour ce qui est devenu mon quotidien : la scène, les lumières tamisées, les regards qui glissent sur moi comme des griffes douces, les billets coincés entre mes cuisses ou glissés dans ma jarretière.Je suis en retard pour être ce que je déteste et ce que j’incarne à la perfection : une femme que l’on regarde, que l’on convoite, mais que personne ne touche vraiment.Le Velvet est déjà vivant quand j’arrive. Les néons rouges vibrent dans la pénombre, les basses grondent comme un cœur qui cogne trop fort. J’entre par la porte arrière, maquillée à la va-vite, le cœur au bord des lèvres. Pas à cause du trac. À cause de lui.Aiden.Il ne vient pas tous les soirs. Mais quand il est là, je le sais avant même de le voir. C’est comme une tension dans l’air. Une chaleur étrange sur ma peau nue. Une présence qui réve
ElinaJe ne trouve pas le sommeil.Il est presque deux heures du matin et je suis encore là, allongée dans mon lit, les yeux fixés au plafond, le cœur battant trop vite pour la nuit, trop fort pour le silence. J’ai pourtant tout essayé : la tisane, la douche chaude, la musique douce. Rien n’y fait. Mon esprit refuse de s’apaiser. Il tourne en boucle, obsédé par ce qui s’est passé aujourd’hui. Par lui. Par Aiden.Je ferme les yeux, espérant faire taire les images qui m’assaillent, mais c’est pire. Je le revois dans le couloir, son regard posé sur moi comme un feu lent, qui me consume sans même me toucher. Il ne m’a pas effleurée. Pas même un doigt sur mon bras, et pourtant… j’ai senti son emprise, comme si chaque mot qu’il prononçait s’imprimait sur ma peau.Et cette façon qu’il a de me regarder… Ce n’est pas seulement de l’intérêt. C’est autre chose. Quelque chose de plus profond, de plus dangereux. Comme s’il me connaissait déjà. Comme s’il savait exactement ce que je cache derrière
AidenJe suis assis derrière mon bureau, l’ombre de la nuit tombée se faufilant à travers les rideaux. Le silence de ce bureau me pèse, presque autant que le poids de mes pensées. Il est tard, mais je ne peux pas décrocher. Pas encore. Pas après ce qu’il s’est passé. Elle est là, dans mon esprit, comme une empreinte laissée sur ma peau, impossible à effacer.Elina. Elle ne sait pas encore à quel point je la veux. À quel point chaque instant passé près d’elle, même celui où elle m’ignorait, a laissé une marque. Une marque brûlante que je ne peux ignorer. Elle est en moi, tapie dans un recoin de ma conscience, m’échappant encore, mais je sais qu’à chaque rencontre, elle deviendra de plus en plus présente, plus envoûtante, jusqu’à ce qu’elle occupe tout l’espace.Je pose mes mains sur le bureau, les doigts effleurant le bois poli. L’image de son visage, la façon dont ses yeux se sont baissés quand je lui ai parlé… C’était plus qu’une simple conversation. C’était un avertissement, pour el
ElinaL’eau chaude ruisselle sur ma nuque, glisse le long de ma colonne vertébrale, se faufile entre mes omoplates et s’échappe en douce, comme pour me rappeler qu’il y a un monde à l’extérieur de cette douche. Mais il n’est pas loin. Aidan. Il est là, dans ma tête, dans chaque pensée, chaque battement de cœur. Je ferme les yeux, essayant de me concentrer sur la chaleur de l’eau, sur ce besoin d’effacer cette tension qui me ronge. Mais le feu qu’il a allumé en moi brûle encore. Et je suis incapable de l’éteindre.Je me souviens de la sensation de ses doigts effleurant le nœud de mon peignoir. Lentement. Si lentement que j’avais l’impression qu’il prenait son temps, comme si chaque geste était une promesse, une promesse qu’il n’avait pas besoin de dire pour être entendue. Sa voix grave, son souffle contre ma peau. J’aurais voulu qu’il aille plus loin, et en même temps, j’avais peur de ce qu’il pourrait déclencher.L’eau continue de couler, mais je ne ressens plus rien. Je ferme les yeu
ElinaMinuit. L’heure où les corps deviennent des promesses. Où le regard des hommes ne pèse plus, il dévore.La musique bat comme un cœur sauvage. Mon talon claque sur la scène, une seconde avant que mes hanches ne glissent dans la lumière crue. Chaque mouvement est calculé. Mais ce soir, je ne joue pas. Ce soir, je m’offre. À lui.Je le sens avant de le voir. Dans l’ombre, il est là. Un bloc de silence. Une présence qui aspire l’air autour. Il ne bouge pas. Ne boit pas. Ne parle pas. Il regarde. Et sous son regard, je perds le contrôle.Mes doigts accrochent la barre. Je monte lentement, laisse mes cuisses se refermer autour du métal glacé. Mes cheveux me frôlent la nuque. La sueur perle entre mes seins. Le monde entier se resserre à l’intérieur de ses pupilles noires.Il ne réagit pas. Et ça me rend folle.Je pousse plus loin. Cambrure lascive. Langueur du bassin. Une langue qui effleure ma lèvre. Je veux qu’il cède. Je veux qu’il rompe sa posture glaciale et me dévore du regard. M