Tania La salle d’accueil de l’hôpital sent le désinfectant et la fatigue. On m’y installe une chaise, une tasse de café tiède me chauffe les mains. Des agents en civil et en uniforme tournent autour, carnets ouverts. Ils parlent peu, posent des questions, notent. Leurs regards oscillent entre le professionnel et l’humain, comme s’ils essayaient de séparer les faits de la douleur. Je serre le morceau de tissu noir dans ma poche et je réponds.« Tania ? » lance un homme au visage fermé, qui se présente comme lieutenant Moreau. Sa voix est ferme mais sans dureté.— Oui, dis-je.— Racontez‑nous depuis le début, demande‑t‑il. Qui était présent chez les Devereux ce soir ? Décrivez la scène, sans vous perdre dans les émotions.Je respire. Dans ma tête, tout revient en vrac, mais j’essaie d’ordonner.— Il y avait une vingtaine de personnes, des amis. Lyra, Alexandre et Lucas étaient là. On a entendu du bruit dehors, puis des hommes sont entrés masqués. Ils ont frappé, crié. Ils ont pris Lyra
Tania Je rassemble quelques voisins volontaires. Ensemble, nous organisons des groupes de recherche improvisés, surtout des gens qui connaissent le quartier, des coureurs, des promeneurs de chiens. Nous passons en revue les caméras de surveillance privées aux alentours ; certaines ont bien filmé quelque chose mais, curieusement, plusieurs semblent avoir été brouillées ou coupées aux alentours du moment de l’enlèvement. C’est plus qu’un hasard. Ma colère monte d’un cran : ce n’est pas le travail d’amateurs.Je retourne à l’hôpital après avoir laissé des messages, la nuit est longue mais j’ai besoin d’être utile plutôt que simplement d’attendre. Là‑bas, on m’explique qu’on garde Lucas en observation, qu’il a subi un choc et une blessure importante mais que son pronostic semble stable. Je laisse mes coordonnées, je promets de rester joignable. Chaque seconde loin de Lyra me pèse comme une pierre.Entre deux allées de couloir, je pense à la dernière fois où j’ai vu Lyra. Elle riait, un v
Tania Mais il manque quelqu’un. Lyra. Et le vide qu’elle laisse est comme une plaie béante ouverte sur l’inconnu.La mère de Lyra s’affaisse sur un fauteuil, les mains vides ; son visage est devenu l’épuisement. Son mari ferme les yeux, respire une fois, deux fois, puis, d’une voix brisée mais déterminée, annonce :— Nous ne la laisserons pas. Nous la retrouverons.La promesse flotte dans l’air. Elle est fragile, et pourtant elle rassemble tous les corps douloureux qui restent. Au bout de l’allée, une ombre s’éloigne, rapide et basse , peut‑être une trace, peut‑être le simple rappel que la nuit n’a pas livré tous ses secrets. L’enquête commence, et avec elle la course contre le temps.Je n’ai jamais été bonne quand il s’agit de l’attente. Chaque minute me déchire comme un fil qu’on tire trop fort. Quand j’arrive enfin devant la maison, essoufflée, les chaussures couvertes de boue, la scène me frappe comme un coup sourd : sirènes, lumières clignotantes, silhouettes qui courent. Ma gor
Ils sont partis comme une tempête passe , laissant derrière eux le fracas et l’odeur de pneus brûlés. La porte du salon pend encore sur ses gonds, un souffle froid ouvre et referme les volets d’une maison vidée de sa tranquillité. Le silence qui suit est plus lourd que n’importe quel vacarme : il crie tout ce que les mots refusent.Alexandre est étendu sur le carrelage, la chemise ouverte, une tache sombre qui s’étend sous sa nuque. Il ne bouge pas. Son souffle est faible, comme un drap qu’on soulève à peine. À côté de lui, un verre renversé verdit la lumière ; une flaque de liquide se confond avec quelque chose de plus terrible. Le visage d’Alexandre est pâle, ses traits figés dans une expression qui n’appartient qu’à ceux qui ont tant donné qu’ils semblent s’éteindre.Lucas est à genoux sur la pelouse, la main serrée contre le côté, un bras qui refuse de rester propre. Il crache du sang qui tache l’herbe, rouge vif contre la pâleur nocturne. Ses yeux, quand on les capte, sont fous d
Lyra L’homme raccroche. Il revient s’asseoir, le visage impassible. Il croise les bras, puis me regarde comme l’on examine un animal malade. Il s’adosse au dossier, prend son temps, comme s’il offrait une pause à sa patience. Peut‑être cherchait‑il à me faire souffrir davantage, à voir jusqu’où j’irais dans l’incompréhension.— Vous savez très bien qui nous cherchons, dit‑il enfin. Vous savez ce qu’on veut dire par réparer. Ou vous faites la victime, et là… il hausse les épaules, comme si l’avenir de mes proches dépendait d’un haussement.Je sens la cage se resserrer autour de moi ; il me manque l’air. J’essaie de garder le calme, de me faire petite. Il ne faut pas s’énerver ; il faut comprendre, écouter. Alors je parle, doucement, chaque phrase mesurée.— C'est Cassandra qui vous a payé pour faire ça ? alors dites‑le clairement. Elle est en prison, vous pouvez… je m’arrête, incapable de finir. Il est absurde de proposer des solutions à des gens qui mènent ce théâtre de peur.Il incl
LyraLa silhouette reste dans l’embrasure, immobile quelques secondes comme pour jauger la scène, puis avance. La lumière du couloir découpe des contours nets sur son visage masqué. Je ne vois ni yeux, ni traits , seulement l’ombre d’un sourire peut‑être, ou le relief d’une mâchoire serrée. Les autres hommes reculent d’un pas, lui cédant la place comme à un capitaine.Je me redresse du mieux que je peux sur la chaise, la paille râpe ma peau, mes poignets me lancent. Ma voix sort rauque, mais je refuse de la laisser se briser.— Qu’est‑ce que vous voulez ? dis‑je d’un ton qui veut sonner autoritaire alors que j’ai peur de me trahir.Silence. Puis l’homme s’assoit en face de moi sans se défaire de son masque. Il contemple mes mains liées, mon visage, comme s’il cherchait à lire une carte. Un petit bruit sec : il pose quelque chose sur la table , un carnet ou une pochette dont je ne peux distinguer le contenu. Il attend que je parle, qu’un indice sorte de moi.— Parlez, insiste‑je. Si vo