CASSANDREIls m’ont arrachée à lui.Comme on arrache un morceau de chair encore vivant.Je pleure , je sanglote comme ceux qui brûlent, qui creusent les joues, qui étranglent la gorge jusqu’à la douleur. Mon souffle est haché, mon corps tremble comme si j’avais froid, alors qu’il fait trop chaud. Je sens encore ses yeux sur moi, même si je sais qu’il ne me regardait déjà plus.J’ai crié. J’ai supplié. J’ai dit tout ce que je pouvais dire. Et rien n’a changé. Rien ne changera.Et pourtant… je ne regrette pas. Pas une seconde.J’ai agi comme il fallait. Pour le garder. Pour nous protéger. Pour éviter qu’elle prenne tout. Je me répète ça comme un mantra, comme un bouclier invisible. Même si ce bouclier est fissuré de partout.La voiture de police m’aspire dans un silence de tombe. Les vitres défilent, floues, et derrière elles, la ville se dissout. J’ai envie de frapper contre le verre, de hurler encore. Mais mes mains sont engourdies par les menottes, mes poignets me font mal, et ma têt
ALEXANDREJe la tiens entre mes bras, et plus rien n’existe, rien d’autre que la chaleur de sa peau, l’odeur douce de ses cheveux contre mon visage, la pression fébrile de ses lèvres contre les miennes, ce baiser qui dure et dure encore, comme une liane enroulée autour de mon souffle, comme un fil qu’on retisse après l’avoir trop arraché.Elle ne tremble plus.Moi si.Parce que j’ai peur qu’elle m’échappe, encore, d’une seconde à l’autre, qu’elle recule, qu’elle s’efface, qu’elle se souvienne trop fort, qu’elle doute, qu’elle me repousse. Mais non. Ses bras m’enlacent, sa bouche cherche la mienne comme une promesse chuchotée dans le noir, et mon cœur, ce traître indocile, bat comme aux premières heures, comme si je redevenais cet homme fou qui l’avait aimée à en crever.J’ai envie de pleurer.Mais je l’embrasse encore.Encore, et encore, comme pour rattraper le temps perdu, les silences, les absences, les erreurs, les blessures. Chaque battement contre sa peau est un pardon. Chaque so
DANIELJe reste là, figé, incapable de bouger, incapable de parler, comme si ses mots m’avaient cloué au sol, comme si sa voix, dans sa fragilité tremblante, avait soudain tout éclairé, tout brisé, tout désarmé.Lyra n’a pas crié, elle n’a pas supplié, elle a parlé comme on saigne, lentement, douloureusement, en silence, mais avec une vérité qui ne laisse aucune place à l’orgueil, aucune place à la colère.J’ai mal à l’intérieur de la poitrine, cette douleur sourde qu’on ne peut pas soulager, ce regret qui s’accroche à la gorge, ce remords acide de n’avoir pas su voir, pas su entendre, pas su être là au bon moment.Et je comprends enfin.Je comprends que je ne suis pas venu pour elle, pas vraiment, pas entièrement. Je suis venu pour moi. Pour sauver ce qui me restait d’espoir, de rêve, de ce que nous aurions pu être, comme si je pouvais tout réparer d’un mot, d’une présence, d’un regard, comme si elle m’appartenait encore un peu, quelque part.Mais elle ne m’appartient pas.Elle ne no
DANIELIl ne me faut que quelques minutes pour quitter le cabinet, tout laisser en plan, et foncer vers la clinique.Lyra est hospitalisée.Les mots résonnent encore en moi comme une claque. Froids. Brutaux. Arrachés à un appel à peine compréhensible. On ne m’a pas donné de détails, juste un nom, une chambre, un étage. Maternité.Maternité.Le mot me vrille le cœur. Maternité, alors que tout en moi se tendait vers elle, vers un avenir que j’osais à peine espérer. J’avais cru qu’il me restait du temps. J’avais cru qu’elle n’était pas encore perdue pour moi.J’ai eu tort.Je traverse les couloirs sans voir les visages, sans répondre aux questions, aux sourires polis des infirmières. Il y a un bourdonnement dans mes oreilles, une sorte de bête sourde qui hurle de peur et de rage mêlées.J’arrive enfin devant la porte. Je l’ouvre sans frapper.Et je le vois.Lui.Alexandre Delcourt. Son ombre. Son poison. Son plus grand amour et sa plus grande blessure.Il est là, près d’elle. Sa main dan
CASSANDRELa lumière est tamisée, douce, presque irréelle.Les draps sentent la lavande chimique et la désinfection récente. L’infirmière est passée il y a une heure, a vérifié mes constantes, m’a adressé un sourire poli avant de refermer la porte, comme si tout allait bien, comme si j’étais une patiente ordinaire.Je suis allongée sur le côté, une main posée sur mon ventre.Vide.Mais ça, personne ne doit le savoir.Pas encore.Il va venir.Alexandre va venir.Il a mis du temps, oui. Mais il a dû être secoué , évidemment. Il a besoin de comprendre , d’intégrer.Il était perdu, confus, manipulé.Mais je suis là.Je suis celle qui l’aime.Celle qui est restée quand tout s’effondrait. Celle qui a protégé son nom, son image, sa réputation. Celle qui a effacé Lyra Belval comme on nettoie une cicatrice infectée.Il m’en remerciera un jour.Je caresse la couverture, d’un geste lent, presque félin.Tout est prêt. Le discours. Les larmes. Le récit de la douleur. De la perte.La victime, c’est
ALEXANDREJe sens encore ses larmes contre mon cou, tièdes, salées, pleines d’un soulagement que je n’aurais jamais cru pouvoir offrir à nouveau.Mes bras l’enserrent, doucement, sans hâte. Je voudrais arrêter le temps ici, figer ce battement suspendu où elle me croit, où je la crois, où plus rien ne compte que ce ventre, ce miracle, ce nous.Mais la réalité n’attend pas.Et cette fois, je ne détournerai plus le regard.Je la serre une dernière fois, fort, tendrement, avant de me pencher pour cueillir son front d’un baiser, là où la fièvre a quitté sa peau mais où la vie revient, éclatante.Elle me regarde, étonnée, encore un peu tremblante.— Qu’est-ce que tu fais ?Je tends la main vers le téléphone posé sur la tablette médicale.Mon ton est calme et inattaquable.— Ce que j’aurais dû faire depuis longtemps.Je compose le numéro.Pas celui d’un assistant. Pas celui d’un avocat.Celui de la police judiciaire.Ligne directe.Ma voix ne vacille pas.— Commandant Arlès ? Ici Alexandre D