RaphaëlJe ne réfléchis pas.Mes doigts composent le numéro comme si c’était une urgence, comme si appeler pouvait faire remonter le temps, recoller les morceaux d’un passé que je n’ai jamais su tenir en place, comme si entendre une voix, une seule, suffisait à apaiser ce qui hurle en moi depuis que tout s’est effondré cette nausée qui colle à la gorge, cette haine que je traîne à chaque pas, ce besoin maladif de comprendre pourquoi, comment, jusqu’à quel point on m’a laissé marcher dans le noir, croire à des demi-vérités, me construire sur du vide.Une tonalité puis deux et trois.Et puis cette voix connue , fatiguée , déformée par quelque chose que je n’arrive pas tout de suite à identifier.— Allô ?Je me redresse, comme piqué au vif, et la colère, cette colère que j’ai tenté d’enfouir sous la honte, revient en surface d’un seul bloc.— Tu le savais, pas vrai ? Tu savais pour elle. Tu savais qui elle était. Et tu m’as rien dit.Silence.Pas celui du doute, non. Celui qui jauge, qui
RaphaëlIl fait chaud, une chaleur épaisse, étouffante, presque visqueuse, qui colle à la peau comme une punition lente, qui s’accroche aux murs défraîchis, aux draps rêches, à mes pensées que je n’arrive plus à taire.La fenêtre est entrouverte, mais l’air ne bouge pas, il stagne, il pourrit, et dans cette immobilité suffocante, tout semble suspendu, comme si le monde entier retenait sa respiration en attendant que je réalise enfin ce que j’ai laissé mourir.L’odeur me monte au nez, un mélange de bière éventée, de poussière accumulée, de sueur froide et de solitude, un parfum que je connais trop bien, celui des endroits où l’on vient se cacher, se fuir, s’oublier.Je suis assis là, sur le lit qui grince, affalé comme un homme vidé de tout, les yeux rivés sur l’écran de mon téléphone qui refuse de s’éteindre, comme s’il voulait m’obliger à affronter ce que j’ai toujours refusé de voir, encore et encore, cette photo figée qui me lacère les entrailles.Elle est là, allongée, pâle, branc
LYRALa porte se referme doucement derrière le docteur Legrand, emportant avec lui le poids des regards, la tension, les doutes suspendus, les analyses en attente, et ne laissant derrière lui qu’un silence vibrant, un souffle posé, et nous deux, rassemblés dans une parenthèse où plus rien d’autre ne semble exister que la chaleur de cet instant, la respiration de cet homme à quelques centimètres de moi, chaude, lente, ancrée, comme un fil tendu vers la lumière.Je n’ose pas tourner la tête, pas tout de suite, de peur de briser ce miracle fragile, comme si son regard pouvait encore me consumer, me dissoudre, ou pire, s’éteindre, disparaître.Mais il est là, Alexandre, si proche, si solide, sa main fermement liée à la mienne, son corps ancré à côté du mien, comme un roc dressé dans l’univers encore vacillant, il ne dit rien, ne bouge pas, et pourtant je sens à chaque souffle qu’il retient un ouragan de mots, une tempête d’émotions, une peur toujours prête à éclater, lui qui, il y a si pe
ALEXANDREJe n’arrive pas à détacher ma main d’elle.De ce ventre encore invisible, mais déjà si vivant. Ce lien fragile et puissant à la fois. Ce souffle nouveau. Ce miracle que je ne mérite pas.Je la regarde, encore et encore, comme si chaque regard pouvait graver ses traits dans ma mémoire à jamais. Comme si j’avais peur qu’on me l’arrache encore une fois.Mais cette fois, non.Cette fois, je ne me tairai plus.— Il faut que je sois sûr, dis-je enfin, la voix ferme.Lyra tourne légèrement la tête vers moi. Sa main serre la mienne, incertaine.— Sûr de quoi ?Je respire lentement. Profondément.— Que le bébé de Cassandre n’était pas le mien.Un silence de plomb tombe dans la pièce.Les parents de Lyra, jusque-là en retrait, échangent un regard puis son père prend la parole, d’une voix calme mais ferme.— Alexandre, nous avons déjà obtenu certaines informations. Des analyses préliminaires ont révélé des anomalies dans le sang de Cassandre. Des substances qui ne devraient pas s’y tro
CASSANDREJe suis réveillée depuis longtemps.Mais je garde les yeux clos.Je respire lentement, profondément, comme une actrice qui attend son entrée en scène. Le drap encore froissé sous moi, le silence de la chambre, l’odeur fade des produits hospitaliers… tout est calme.Trop calme , mais ce n’est pas le calme du réconfort.C’est celui du vide.Alexandre n’est pas là.Il aurait dû être là.Assis à mon chevet, les doigts serrés autour des miens, les yeux humides d’angoisse, la voix tremblante. Il aurait dû me supplier de lui pardonner. De rester forte. D’endurer encore un peu, pour nous deux.Mais il n’y a rien.Aucun souffle, aucun mot.Juste cette absence.Et je sais, sans qu’on me le dise.Il est avec elle.Je souris.Lentement , froidement comme on sourit au moment où la dernière pièce d’un plan machiavélique vient de tomber à sa place.Parce qu’il ne sait pas.Il ne sait rien de ce que j’ai fait.De tout ce que j’ai détruit pour l’avoir à moi.De tout ce que j’ai risqué pour e
LYRAJ’ai oublié le monde.Le bruit incessant des moniteurs. Les pas feutrés des infirmières. Les chuchotements derrière la porte. Même le souffle inquiet de ma mère, quelque part dans un coin de la pièce, s’est dissous.Il n’y a plus que lui.Alexandre.Ses yeux dans les miens. Ses mains sur mon visage. Son souffle sur ma peau, trop proche, trop intime, comme une décharge au creux de mon ventre. Et ce silence entre nous, tendu, vibrant, chargé de tout ce que les mots n’ont jamais su dire.Il n’a pas demandé la permission.Il s’est penché, lentement, comme s’il avait peur de me faire mal . Fébrilement, comme s’il portait en lui toute la honte du monde. Et il m’a embrassée.Et moi, j’ai cédé.J’ai oublié les jours de solitude, les nuits pleines de doutes. J’ai oublié la colère, le vide, la peur. Parce qu’à cet instant, il n’y avait plus que ses lèvres, chaudes et tremblantes, contre les miennes. Ce baiser m’a prise par surprise, m’a coupé le souffle. Il était long, profond, déchirant.