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Chapitre 6

Author: Harmonie Vaganay
Tiphaine a porté brusquement les mains à sa jambe, rencontrant la surface dure du plâtre.

Sa jambe était toujours là, un soulagement fugace mais vite submergé par le désespoir : sous ses doigts, qu'elle effleure ou presse fortement, aucun signal ne répondait. Comme un membre étranger greffé à son corps.

« Non... C'est impossible », a-t-elle murmuré, s'arc-boutant sur les draps pour se redresser. Mais alors qu'elle soulevait son torse, sa jambe droite a flanché, la précipitant lourdement au sol.

La voix anxieuse de Gaëtan a résonné dramatiquement à ce moment-là depuis la porte :

« Xavier, vraiment aucun autre moyen ? Elle est pilote... »

« Tout dépendra de sa rééducation », a répondu le médecin nommé Xavier, son ton teinté d'une résignation, « Mais je déconseille fortement la compétition. Une seconde blessure sous telle intensité aurait des conséquences irréversibles. »

Un bref silence avant la réponse rauque de Gaëtan : « D'accord. Merci. »

Chaque syllabe échangée entre eux martelait les derniers espoirs de Tiphaine.

Elle était née pour la course. Dès sa première main sur un volant, elle avait su sa vie liée au vrombissement des moteurs. On lui annonçait maintenant qu'elle ne pourrait plus jamais conduire, c'était pire que la mort.

Quand Gaëtan a poussé la porte, il l'a trouvée effondrée au sol. Il s'est précipité, s'est accroupi pour la relever, mais son geste s'est figé quand son regard a croisé son visage inondé de larmes : « Tu as tout entendu... ? »

Sans le regarder, Tiphaine a repoussé sa main tendue et a demandé d'une voix tremblante : « Et Jeannine ? »

Gaëtan a froncé les sourcils. Comme craignant une réaction extrême, il s'est hâté de la défendre : « Jeannine a effectivement été imprudente. Je l'ai sévèrement réprimandée pour avoir conduit sans permis. Elle est aussi blessée, cesse de lui en vouloir, d'accord ? »

Tiphaine a levé soudain les yeux vers lui, dévoilant ses pupilles écarlates.

Ainsi, cet homme savait depuis le début que Jeannine n'avait pas le permis ? Et il avait osé la laisser conduire, même l'inscrire à une course ?

C'était la quatrième fois. Trois fois déjà, des drames similaires s'étaient produits, chaque fois clôturés par un lit d'hôpital, sans jamais la moindre excuse sincère de la part de Jeannine.

Elle a eu soudain envie de rire, mais ses lèvres ont refusé de se courber. Seules des larmes lourdes et silencieuses ont chuté, telles un collier de pernes brisé.

Jusqu'au bout, son « mari » protégeait sa chère Jeannine...

« Et je mérite ça ? » La voix de Tiphaine était à peine un souffle, « Si je ne l'accuse pas, qui d'autre ? Moi-même ? Je ne remarcherai peut-être jamais, et tu trouves encore des excuses pour elle ! »

Gaëtan a serré les sourcils, une pointe d'impatience dans la voix : « Tiphaine, j'ai dit que ce n'était pas intentionnel. Pourquoi insistes-tu autant ? »

Il a marqué une pause, et a repris avec une nuance de reproche : « D'ailleurs, si tu n'avais pas brusquement tiré le volant, l'accident ne serait jamais arrivé. As-tu seulement considéré ta part de responsabilité ? »

Ces mots sont tombés comme un seau d'eau glacée sur Tiphaine, gelant instantanément le sang dans ses veines.

Pourtant, presque aussitôt, elle a poussé un rire. Un rire plus amer que ses larmes.

Bien sûr. Cela avait toujours été ainsi. Dès qu'il s'agissait de Jeannine, elle devenait systématiquement la coupable.

À cet instant, son cœur déjà brisé a semblé se déchirer une dernière fois, avant d'être réduit en poussière...

Elle a fermé les yeux, sa voix vidée de toute attente : « Je suis fatiguée. Pars. »

Ce n'était qu'en voyant son visage décomposé que Gaëtan a réalisé la brutalité de ses mots. Il a ouvert la bouche pour s'excuser, mais n'a trouvé rien. Il s'est résigné à partir, mais ses pas étaient étrangement chancelants.

Les trois jours suivants, Gaëtan a veillé sur Tiphaine sans presque la quitter. Il lui a donné ses médicaments de sa main, a cuisiné tous ses plats préférés d'autrefois, installant même un lit pliant à côté du sien pour la nuit.

Et Tiphaine ? Elle s'est comportée comme une marionnette sans âme. Il lui tendait les pilules, elle ouvrait la bouche. Il la soutenait, elle se levait. Pas un mot de plus, pas un regard.

Jusqu'à ce que Gaëtan, n'y tenant plus, ne lâche : « Je vais devoir organiser un faux mariage avec Jeannine. »

Enfin, elle a réagi.

« D'accord. J'y assisterai », sa voix restait plate.

L'inquiétude a étreint à nouveau Gaëtan. Il avait imaginé des larmes, des reproches, pas cette indifférence glaçante.

Il s'est hâté d'expliquer, une panique subtile dans la voix : « Tiphaine, les Suchet traquent Jeannine. Ils veulent la forcer à épouser leur fils. Je suis son plus vieil ami, je ne peux pas la regarder se jeter dans la gueule du loup. »

« Alors je vais annoncer notre divorce. Puis j'organiserai ce mariage avec Jeannine. Mais crois-moi, tout sera faux. Notre séparation est temporaire. Dès que ce sera réglé, tout redeviendra comme avant. »

À ces mots, Tiphaine s'est mise à rire doucement. Non par mépris ou colère, mais par un soulagement profond et tangible.

De toute évidence, Fernand passait enfin à l'action.

Gaëtan dépeignait les Suchet comme un antre monstrueux. Mais pour elle, ils représentaient l'unique planche de salut pour fuir cette relation étouffante.
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